[E1] Un peu de calme

[Tiberius]

Le temps est agréable, le vent s'est levé en ce début de soirée et il fait bruisser les petites feuilles des oliviers. Il descend sur quelques tiges de lavande et emporte leurs essences. Au passage, il fait frémir quelques brins de romarin avant de nous rejoindre en passant par l'ouverture de la salle de banquet. Les senteurs portés par cette brise rafraîchissante entre dans les salons. Beaucoup d'hommes et de femmes sont présents. Les parfums manquent de choir dans l'eau d'un des bassins où un couple d'androïde s'effeuille. Evitant ces corps qui s'emmêlent, l'onde de fraîcheur passe entre quelques coupes de vin. Elles se heurtent, s'entrechoquent et chacun se félicite, se congratule et flatte son ego pour les réussites de cette année.

Je regarde mon verre encore et j'ai cette drôle de sensation, ce vertige qui me saisit. C'est comme lorsque votre attention se fixe sur un point de détail. Là ce sont les lèvres rouges et criardes d'une sénatrice enkilosée par la bourgeoisie. Elle parle en mâchant son pain. Je n'entends pas ce qu'elle dit tant le brouhaha ambiant est insupportable. Rires, messes basses, quolibets allaient bon train. La brise a laissé place à une sorte de flatulence de l'esprit. Nous étions à quelques mètres de l'hémicycle ou le destin de Rome se jouait. L'apéritif précédent un banquet venait d'être servi. Les sénateurs avait invité les différents prêtres de la ville dans le but. Bien entendu, ils souhaitaient simplement s'assurer leur réélection. Déjà quelques prêtres de Jupiter négociait convaincu que les rumeurs n'étaient pas fondés et que, comme chaque année, il serait les grands arbitres des nominations à venir.

Sur le plateau qu'un androïde portait, une coupe bascula et se renversa légèrement. Désolé, il s'éclipsa avec précipitations par une porte dérobée. J'en profitai pour quitter la pièce. Quand la porte se referma derrière moi, le calme me frappa. J'étais dehors, sur l'une des grandes terrasses, j'inspirai profondément pour retrouver les senteurs de ma Méditerranée.

-- Par les seins de Venus, qu'ils sont abjectes ! Je marquai une pause... ... Euh non Venus, je parlai d'eux pas de tes seins.

Tout en m'approchant du garde-fou en roche sculpté, je ris de ma propre bêtise trop heureux d'avoir pu m'absenter quelques instants. Cela ne durerait pas. J'étais le Grand-Prêtre de Venus. Cela ne m'ennuyait pas, ce pouvoir impliquait de grandes responsabilités dont j'étais fier. Mais à part en ramenant la femme d'un sénateur dans ma couche, il ne risquait pas de se passer grand chose pour moi ce soir. C'était aujourd'hui la dernière séance sénatoriale avant les grandes festivités. Une semaine de vacances pour les sénateurs pensaient la Plèbe. La ville de Rome s'étendait à mes pieds. Quelle merveille.
Au loin, le soleil terminait sa descente pour se plonger dans notre Mer. Mais avant cela, il y avait toute cette foule, tout ce peuple plein d'attentes, d'espoirs. Je regardai les remparts où les soldats de Pluton montait la garde. Cela faisait quelques mois que les attaques étaient moins violentes, moins nombreuses. Du coup, évidemment, les adeptes de Minerve souhaitait relancé une expédition. Je ne savais pas quoi en penser.

Le romarin est toujours plus parfumé dans les jardins du voisin.

Derrière moi, la porte s'ouvre, les médisances de cette caste sociale m'assaillent les oreilles. Je me sens agressé par tant de bienséance et de félicitations hypocrites. Je referme les yeux mais leur image efface celle de la ville. Rouvrant les yeux sur l'horizon, je lance une phrase sonnant comme une énigme à l'envahisseur de mon espace .

-- Le calme est hors de nos moyens pécuniers.

Sans doute philosophera-t-il dessus. J'aurais peut-être du me taire en fait.

[Camila]

Ce soir était la dernière séance sénatoriale avant les grandes festivités. Les enjeux étaient dès plus évident et chaque sénateur se devait de récupérer les voix de chacun des temples des Dieux et Déesses, un agrément reçu par les divinités pour pouvoir continuer au sein du pouvoir de la ville, se faire réélire. J’avais en ma possession le soutien des trois maisons sur quatre. Il me manquait la dernière, celle de Vénus. Délicate mission que de trouver une personne pour m’aider à poursuivre mon mandat de sénatrice. Assise en bout de cette immense table, mes yeux gris aux éclats bleutés observaient sans modération cet échiquier humain qui se jouait devant moi. Entre les rires, les séductions, des conversations plus sérieuses, de secrets murmurés au creux de l’oreille, je m’adossais plus confortablement contre le dossier de ma chaise, dégustant avec délices les mets de mon assiette. Jouer le jeu, je le devais ! Je ne pouvais me permettre de laisser filer ma place au Sénat : un peu pas fierté mais aussi pas devoir. Chacun magouillait à sa façon. Moi, je préférai la loyauté d’une parole et d’un pacte. Ce qui paraissait être de plus en plus compliqué de nos jours.

Je connaissais pratiquement tous ces visages autour de moi : des sénateurs, amis, alliés, adversaires sur certains points, sur certaines idées, et des représentants de chaque temple. Courtoise et polie, je conversais avec mes voisins de table, sur cette semaine très particulière qui allait éclore d’ici quelques heures. Une semaine de relâche pour le Sénat pour profiter des joutes annuelles qui se voulaient encore plus impressionnantes cette année d’après le programme qui avait été annoncé un peu partout dans la ville. A la fin de toutes ces festivités, tout se jouera aussi bien pour moi que pour mes confrères, et j’avais bien l’intention de garder ma place. Il ne peut être autrement quand on sait que le changement se dessine peu à peu.

Un pauvre androïde maladroit fut le centre de tous les regards, s’excusant pour la coupe qui s’était renversée légèrement, il s’éclipsa de la salle du banquet pour sortir. Il fut suivi par le grand prêtre du temple de Vénus : Tibérius Scribonius Festus qui paraissait étouffer dans ce haut lieu. Je m’excusai à mon tour auprès de mes collègues, me redressant pour contourner la grande table. Posant sur mes épaules, un châle de couleur ocre sur mes cheveux noirs, je pris la même direction que le Grand Prêtre, dans le bruissement de ma longue robe. Je poussais la porte me retrouvant dans un petit couloir qui menait certainement vers les cuisines. Je croisais l’androïde malhabile, nerveux avec son plateau qu’il tenait. Un petit sourire très discret, et je me remis à la recherche de Tibérius. Je n’étais pas du genre à demander une faveur surtout pas à ce type. Pour le moment, je ne savais même pas si je le ferai et pourquoi soudainement j’avais eu l’envie de le suivre. Je freinais mes pas alors qu’un second androïde me présentait une nouvelle porte sur ma droite sans aucun mot.

Je fronçais les sourcils, le regardant s’en aller dans la grande salle avec d’autres esclaves à sa suite. Plusieurs autres plats arrivés, et le brouhaha des convives me parvint brutalement. Un androïde tenait la porte ouverte pour laisser passer les autres. Une grimace se dessina sur mes lèvres, poussant finalement cette fameuse porte pour me retrouver sur une grande terrasse qui dominait la ville de Rome. Avec moi, j’apportai le vacarme de la soirée, et la réflexion de Tibérius me fit sourire.

- On ne peut malheureusement pas tout acheter … La facilité n’est jamais une solution à un problème donné.

Avant qu’il puisse se retourner, je me rapprochais du garde-fou, détaillant notre ville qui se laissait bercer par les derniers rayons du soleil.

- Vous ne sembliez pas à l’aise parmi toute cette assemblée ?
Pourquoi ?... Trop de magouilles, d’hypocrisies, de mensonges ?

[Tiberius]

Je ne m’étais pas trompé. L’envahisseur de mon espace, le perturbateur de ma quiétude philosophait sur ma petite réplique, non sans ajouter une pointe d’ironie dans sa dernière remarque. J’avais évidemment reconnu la voix de Camila Veturia Noctua, sénatrice attirante, pratiquante du culte de Minerve. Il existait pire compagnie. Elle s’approcha et ses mots ne trahirent pas la réputation de son franc-parler.

-- Exactement. Parce que. Oui. Oui. Aussi.

Je marquai une petite pause entre chacun de mes mots hachés pour répondre avec le même franc-parler frondeur. Seul le ton de ma voix indiquait aux bonnes oreilles que je ne me moquais pa. J’enjambais le garde fou et m’assis sur la roche, les pieds dans le vide. Je ne frimais pas. Nous n’étions qu’à quatre mètres de la terrasse inférieure. Au pire, je risquai une entorse. Mon organisme la soignerai en quelques heures. Je m’installai, signe évident que je ne comptais pas partir. Pour accentuer mon geste, j’inspirai profondément. M’installai-je avec le maigre espoir de profiter seul ? Ou m’installai-je pour une conversation que je souhaitai longue ?

-- Vous le savez. Je n’aime pas me faire lustrer le cuir. J’ai le sentiment qu’on insulte mon intelligence en pensant pouvoir me bercer d’illusions aussi aisément.

J’avais donné consigne à mes prêtres de me prévenir quand des sénateurs dans la situation de Camila demandait notre soutien. Pour leur quatrième mandat, il leur fallait le vote d’un prêtre de chaque temple. Cette règle avait été imposée pour renouveler le Sénat. Mais les vieux tromblons étaient rompus aux manipulations sénatoriales. Ils savaient y faire pour convaincre un prêtre. Seulement, pour Camila, j’avais indiqué à mes prêtres que je m’occupais de tout. En avait-elle eu écho ? Je ne savais pas.

Je tournai la tête vers le Nord. Le palais de Mettius, les remparts, les plaines agricoles, le désert et au loin le Mont Olympe. Du sable, l’oppressante chaleur s’échappait en déformant la réalité d’une onde dansante. D’ici, on avait l’impression que le Mont Olympe flottait à quelques dizaines de mètres au-dessus des premières dunes.

-- En dehors des Oracles, personne n’a réussi à L’atteindre.

Comment réagirait-elle à ces mots lourds de sens ? Je m’amusai de la situation et je ne pensai pas une seconde que cela lui échappât.

[Camila]

- L’hypocrisie serait-elle un hommage à l’intérêt ? Certainement au vue de tous ces rapaces qui vous entourent depuis un moment. Vous les grand prêtres et prêtresses des Dieux et des Déesses.

Bon, d’accord, tous les sénateurs se démenaient pour récupérer et acquérir les voix de chaque temple, de chacun de leur représentant. J’étais la première à me jeter dans ce combat, dans l’arène du pouvoir mais pas de cette façon-là, pas en « lustrant le cuir » -pour reprendre les mots de Tibérius- des Grands de notre monde. Je suivis son mouvement lorsqu’il s’installa sur le rebord du garde-fou, les jambes dans le vide. Juste un haussement de sourcils de le voir ainsi. Ah non, non, je ne me souciai pas de sa vie, de son bien-être ou de ses blessures. Il s’en sortirait tout seul, dans un cas comme ça. Non, ce qui me surprenais c’était cette façon nonchalante de discuter – si je peux appeler notre échange ainsi – il détenait toutes les cartes en mains, et s’amusait à narguer lui aussi les sénateurs que nous étions. Alors qui jouait l’hypocrite et le vaniteux ici ? Qui se jouait de sa puissance devant les marionnettes que nous étions ? Je ne savais pas vraiment si Tibérius se rendait compte qu’il agissait un peu comme tous ces hommes et toutes ces femmes à force. A moins que cela ne soit qu’une sorte de lassitude qu’il essayait de masquer ? Je pense que je n’arriverai jamais à le connaitre. Il était comme les ombres : il vous échappe quoi que vous puissiez faire.

- Vous avez certainement raison, mais n’est-ce pas le but du jeu Tibérius ? La règle d’or de vous caresser dans le sens du poil pour obtenir de vous quelque chose ? Mais vous dans tout cela, ne vous amusez-vous pas de cette situation ? Vous tenez les ficelles du jeu entre vos doigts.

Mes mains posées sur la roche, je me penchais légèrement en avant, suivant quelques silhouettes au loin.

- Délier les toiles du mensonge et de la vérité devient si usant à la fin. Ne jamais baisser sa garde pour éviter que l’on ne vous poignarde bien trop vite dans le dos. Mais que reste-t-il de ce que nous sommes véritablement à force d’être plongé dans ce maelström ?

Suivre sa voie, son instinct, ses intuitions, ses idéaux. De belles paroles face aux prédateurs. Devenir comme eux et perdre sa vraie nature, sa véritable personnalité ? Je ne le pourrai jamais même si je savais que cela pouvait être ma faiblesse face à certains rapaces. Je portais ma main sur mon front pour admirer le Mont Olympe et me protéger de la lueur intense des derniers rayons du soleil qui s’agitaient. Ses mots étaient lourds de sens mais je n’en prenais pas ombrage.

- Résidence des Dieux cachée par les nuages.
Il y a beaucoup de sénateurs, ce soir, qui aimeraient toucher cette puissance. Je préfère rester simple humaine. Je laisse cet ultime pouvoir à ces Etres sublimes. Mais faites attention à vous, Tibérius. Il n’y a pas que l’hypocrite dont il faut vous méfier. Il y a la jalousie de votre statut, de votre position.
Je suis peut-être sur la sellette par rapport à mon mandat mais n’attendez pas de moi que je vous lèche les pieds.

Devrai-je me taire ? Non, absolument pas ! S’il croyait que je serai capable de courber l’échine devant lui, il se trompait totalement. Ma voix ne reflétait aucune aversion. Ce n’était en aucun cas un manque de respect mais bien de lui prouver que je ne tenterai ni mensonge, ni arrogance, ni manipulation. Je restais fidèle à ce que j’étais, et l’on m’appréciait ou l’on me détestait pour cela.

[Tiberius]

La sénatrice n'avait pas sa langue dans sa poche et son franc-parler était tout à son honneur. Je comprenais de mieux en mieux pourquoi elle dérangeait tant. Je ne répondis pas à ses propos. Le vent m'apportait la douce chaleur des pavés de la place. Le brouhaha des marchands qui remballaient leurs étales captait mon attention et j'observai distraitement un jeune homme tenter une dernière approche. Une androïde semblait faire désormais partie des négociations mise en vente comme un vulgaire objet désuet.

Puis je tournai les yeux vers Camila. Je sortis la main de ma poche de façon distraite et mes doigts jouait avec le fil d'une de mes poches mal cousue. Qui est véritablement le marionnettiste de Rome ? Je chassai ce fil de mes doigts. Éole s'empressa de le faire virevolter. Mes yeux devinrent aussi sombre que le pétrole et j'observai les champs d'Orgone qui remontaient avec parcimonie jusqu'à mon temple. Clignant une nouvelle fois des paupières, mes iris reprirent leur couleur habituelle. Je décidai de rompre mon silence par une provocation.

-- Je me doutais que vous ne me lécherez jamais les bottes. Pour les pieds, j'avoue par contre que je l'espérai. Tant pis ! L'idée de vous découvrir à genou devant moi était inspirante...

Maladresse volontaire et jeux de mots explicites, ces paroles témoignaient combien j'ignorai volontairement ses conseils de prudence face à la jalousie humaine.

-- ... Mais si vous réalisiez vos fantasmes, la déontologie m'interdirait de voter pour vous, Sénatrice Camila Vetulia Noctua.

J'avais l'intention de l'interroger sur ces derniers mots qu'elle avait prononcés. Ma question sur le mont Olympe, sur les Oracles qui étaient les seuls à s'y être rendu concernait en réalité les projets des adeptes de la déesse de la Guerre et leur projet de lever un corps expéditionnaire. Camila m'avait fourni une humble réponse, mais j'aurai aimé qu'elle m'en dise un peu plus. Je ne laisserai pas cette discussion en suspens, mais j'avais préféré jouer sur les mots et la provoquer. Seulement maintenant, je devais surtout me préparer à affronter sa réaction.

[Camila]

- Vous lécher les pieds ?

J’étais à deux doigts de le pousser hors de son perchoir. Il ne tomberait pas de bien haut. Il y avait une autre terrasse en dessous de lui. Bref, restons calme, posée… Euh,…enfin …

- Grand Prêtre du Temple de Vénus, j’ai autre chose de plus délicieux à faire que de lécher les pieds d’un homme quand je suis à genoux entre ses jambes. Donc, effectivement, vous ne me verrez pas faire cela avec vous… Mais, je vois que votre imagination ne vous porte pas très loin. C’est bien dommage …

Mutine et malicieuse, voilà ce que je lui dévoilais tout en gardant un ton dès plus détaché. Jouer à l’ingénue, à la femme scandalisée d’entendre de telles paroles venant d’un homme? Très peu pour moi ! J’ai reçu une excellente éducation de par mes parents mais je suis loin d’être une femme naïve et trop candide. Minerve préfère les femme-guerrières. Mon sourire se raffermit sur mes lèvres rosées. Je n’avais pas lâché des yeux Tibérius. Me dévoilerait-il une facette de lui que je ne connaissais pas encore ?... Réponse loin d’être ambiguë avec un petit zeste d’indécence. Croyez-t-il juste que j’allais rougir ? Devenir silencieuse ? Non, absolument pas. Et je m’amusais de ce tête-à-tête avec lui car comme à chaque fois, nos échanges étaient indescriptibles malgré le sérieux de notre conversation.

Ma petite réponse sur le Mont Olympe et les Oracles, très floue, très succincte, il ne l’avait pas appréciée. Je me détournais de la vue splendide d coucher du soleil et de notre cité, m’adossant contre la roche. Pour le moment, personne n’était venu ouvrir cette porte qui nous protégeait du brouhaha du banquet, un peu plus loin.

- Vous voulez parler de ce corps expéditionnaire pour aller découvrir ce qui se cache derrière nos remparts, au-delà des déserts de sable, derrière le Mont Olympe ?
Oui, c’est une idée à laquelle je tiens et que je défends et dont j’aimerai qu’elle prenne réellement forme. Minerve souhaite que les soldats soient entraînés avec plus de détermination, elle souhaite voir l’armée être renforcée pour aller détruire ces créatures entourant la ville. Pourquoi ne pourrions-nous pas voir ce qu’il y a à l’extérieur ? Pourquoi avoir peur de l’inconnu ? Pourquoi devrions-nous vivre cloitrés entre ces remparts ?

La porte s’ouvrit sur notre terrasse intime. Un androïde s’excusa de nous avoir dérangés, et bien vite il la referma. Continuant ainsi mon petit laïus.

- Allons, Tibérius, votre déontologie vous aveuglera-t-elle ? Il faut savoir regarder parfois plus loin sans pour autant arriver à spolier son éthique. C’est un peu ça l’évolution, non ?
Les hommes parlent, de plus en plus. Ils sont convaincus qu'il existe d'autres cités autour de la ville. Pourquoi ne pas franchir ses barrières et aller voir plus loin ?
Si une Déesse souhaite nous pousser vers d’autres contrées pourquoi ne pas l’écouter ?

Je venais de me livrer, à son tour. Je penchais ma tête sur le côté pour l’observer plus attentivement.

- Que pense l’homme de tout cela ?

Ce n’était pas la vision du Grand Prêtre mais bien de l’homme qui m’intéressait avant tout. Vénus, déesse de la luxure, était bien connue pour ne pas apprécier les affaires politiques de la cité. Allait-il faire tomber juste un peu son masque ? J’en doutais … mais qui ne tente rien, n’a rien.

[Tiberius]

Je souris intérieurement à sa répartie. Je m’avouai apprécier cette façon de se défendre par l’attaque. Mais mon visage tentait de ne rien en montrer et la politique m’avait aguerri à ces discussions où je devais cacher mes réactions ou mon émoi. Comme absent, je fixai tranquillement la foule affairée à nos pieds. Pieds ! Voilà que je regardai les miens et l’imaginai à mes genoux. Mais pour le moment, je l’imaginai plus encline à me mordre pour me rappeler avec quelle femme j’avais affaire. Je dis bien “femme” et non “sénatrice”. À mes yeux, elle me répondait de la sorte non pas en raison de son rang, mais à cause de son caractère franc et affirmé. Une femme ne pouvait réussir sans ce caractère au sein du culte de Minerve.

Sans réponse de ma part, elle enchaîna sur le corps expéditionnaire comme je m’y attendais. Ce qu’elle prononça ne m’étonna nullement. Cette femme avait un caractère trempé dans l’acier et avait déjà tenu maintes fois ce discours au Sénat. Je ne m’apprenais rien. J’écoutai bien plus les discours du Sénat que je ne le laissai envisager. J’avais depuis longtemps adopté une attitude désinvolte. Bien des sénateurs me sous-estimaient et j’appréciai cela. Jouer mes atouts se faisait avec bien plus d’effroi et j’aimai lire le regard des Hommes qui réalisaient combien ils m’avaient sous-estimé quand l’étau se refermait sur eux.

-- Minerve a bon dos, Camila. Je ne l’ai jamais entendue prononcer ces mots, c’est vous adeptes de Minerve qui interprétez ainsi les signes divins.

L’androïde vint nous interrompre, ma main glissa sur le parapet et un petit caillou se décrocha. Il chut une seconde avant de rebondir sur la terrasse en contrebas. Il rebondit et roula quelques secondes avant de s’immobiliser au pied d’une statue en marbre. Qu’est-ce que je pourrais dire pour l’agacer au point qu’elle veuille me pousser l’y rejoindre ? J’adorerai la foutre hors d’elle. Jusqu’à maintenant, elle tenait bon. Et son self-control m’énervait. Je ne réagissai pas et ça l’énervait à son tour.

Mais la donne changea, car la suite de ces propos me surprit et m’affecta même. Ainsi, elle pensait que ma déontologie m’aveuglait. Elle se permettait même de me dire qu’il fallait regarder parfois plus loin. Susceptible, j’acceptai difficilement cette remarque. Je n’étais pas ainsi et je me sentis blessé. J’aimai qu’on me sous-estime. Mais je n’aimais pas qu’on se trompe ainsi sur moi. La nuance paraissait fine. À mon goût, elle était importante. Finalement, c’était peut-être moi qui la pousserait en bas de ce parapet. Une sénatrice, bras et jambes plâtrés pour la cérémonie serait drôle, non ? Non !

Comme si elle attisait le chaud et le froid, la suite me plut. Enquiquineuse ! Que pensait l’homme de tout cela ? Que pensais-je de tout cela ? C’était bien l’une des premières fois où on s’intéressait à la volonté de l’homme et non du grand prêtre. Elle m’énervait. Elle savait toucher juste, me plaire et me faire enrager dans la même discussion. Bien, à mon tour de la provoquer.

-- Le mâle pense que vous essayez de le vexer en vous attaquant à sa virilité et il a suffisamment d’imagination, de confiance et de vanité pour ne pas douter de lui. Et je pense que de nous deux vous apprendriez beaucoup à mes pieds que moi aux vôtres. Je marquai une pause. Et cessez de m’imaginez à vos pieds !

Voilà pour la première remarque.

-- Le Grand Prêtre pense que votre démarche est noble, que votre courage et votre franc parler vous honore, mais que vous ne devriez pas penser que ma déontologie l’aveugle, que vous devriez savoir que je regarde loin pour Rome, pour Venus mais aussi pour les autres dieux et les adeptes de tout culte.

Je me lève agacer et quitte mon parapet. Je me dirige vers la porte d’où je suis venu, mon absence va être remarquée et on conclurait rapidement qu’elle tentait de m’acheter. Ce qu’on pensait de moi m’importait peu. Mais Camila était honnête et droite, je ne voulais pas que la fausse rumeur entachât sa réputation. Je la respectai quand bien même, je désirai lui foutre mon pied aux fesses ! Fort jolies fesses au demeurant. Mais elle ne me prendrait pas à les regarder. du moins, pas pour le moment.

Je saisis la poignée de porte et la fit pivoter. Mais avant de quitter la pièce, l’homme voulait répondre. Je relâchai la porte et me ravisa. Je m’approchai d’elle. Désormais, c’était moi qui pouvait la pousser et l’idée me démangeait. De l’index, je lui montrai deux tour au loin. La première était un petit château d’eau potable et la seconde était un grenier à céréales. Si elle regardait, elle me tournerait le dos et la pousser en contrebas serait un jeu d’enfants.

-- Quant à l’homme, il voit les réserves de nourriture diminuer... Mon doigt désignait désormais les champs au Nord. L’homme, il voit les plaines agricoles s'étendre tous les ans un peu plus loin... Je pointai désormais les remparts. et il voit que les gardes de Pluton peinent tous les ans à les protéger. Alors, l’homme n’est pas surpris de voir des prêtres manipuler ses ouailles et faire croire que leur déesse désire lever un corps expéditionnaire. Une grande armée envoyée en pâture aux créatures, c’est autant de bouches en moins à nourrir, Femme !

Sur ce, je repris la poignée et entrouvris la porte. Elle m’avait énervé. À la façon dont j’avais prononcé le mot Femme, elle ne pouvait en douter et elle pourrait même s’en vanter. Oui, bon Camila n’est pas une vantarde à se pavaner devant autrui. Mais quelque part, j’avais confiance en ma rhétorique. Le doute était levé. J’étais convaincu de ce que j’avançai car je savais également lire les signes. Et en toute franchise, je doutai profondément de l’interprétation que les prêtres de Minerve en faisait.

[Camila]

J’attendais que le grand Prêtre passe à l’offensive. J’avais titillé le côté viril du mâle, il ne me resterait plus qu’à observer ses réactions et écouter ses paroles – qui je n’en doutai pas- seraient assez acerbes venant d’un homme tel que lui. Sans attendre une réponse de sa part, j’avais enchainé sur le fameux corps expéditionnaire qui ne devrait pas tarder se lever sous l’aura de Minerve. Les soldats attendaient patiemment de franchir les remparts, les haut gradés rongeaient leurs freins pour amener leurs hommes combattre au-delà de la cité. Et certains sénateurs étaient aussi impatients. Pour le moment, j’étais certainement la seule à apaiser toute cette folie. Ne jamais se précipiter. Ne jamais plonger tête la première sans avoir entre les mains toutes les données. J’avais beau avoir un caractère impulsif, j’étais aussi une femme qui savait prendre du recul au moment venu.

Les premiers mots de Tibérius ne me surprirent pas. J’aurai pu parier. J’aurai gagné haut la main en l’entendant me dire que c’était bien les adeptes de Minerve qui interprétaient les signes de la Déesse à leur façon. Comment un disciple de Venus pouvait-il écouter et entendre Minerve ? Je secouai légèrement ma tête amusée devant ces propos tout en restant silencieuse. La suite ne serait qu’encore plus délicieuse car c’était un homme susceptible et arrogant qui n’aimait en aucun cas qu’on lui dicte ses intentions, ni encore moins de devoir se justifier devant une femme. Alors Tibérius, j’attends ! Il ne fit pas défaut à sa personnalité ni à mes attentes, croisant mes bras contre ma poitrine, je tentais d’être la plus sérieuse possible devant son agacement. Je dus faire un terrible effort sur moi-même pour ne pas. J’aurai pu le couper dans sa réponse mais je ne le fis pas. Ecoutant la suite de son laïus. Mais il ne perdait rien pour attendre.

Mon sourire s’effaça devant son discours plus sérieux. Si j’avais peut-être touché l’homme dans son égo, Tibérius me dévoilait une facette de lui que je ne connaissais pas et dont j’avais beaucoup de mal à saisir toute l’ampleur. Il serait toujours une énigme pour moi malgré les quelques pièces du puzzle qu’il dispensait au fil de nos conversations, plus encore ce soir. Il s’apprêta à quitter la terrasse qui avait abrité pour quelques instants notre tête-à-tête avant de se retourner vers moi, de se rapprocher pour me montrer l’étendue des contrées, dans mon dos. Je me tournais sur le côté, mon regard suivant la direction qu’avait prise son index. Ses explications me glacèrent le sang, totalement figée devant ce qu’il m’annonçait. Cela ne pouvait être le cas. Les prêtres ne pouvaient pas ainsi manipuler les adeptes de Minerve ? Que pensait Aquila de tout ceci ? Etait-ce vrai ? Mes yeux se posèrent sur Tibérius. Serait-il enclin à me mentir ? Non. Il pouvait être énervant, insupportable, exaspérant mais pas menteur. Etais-je devenue si aveugle à mon tour pour me laisser utiliser ? Je ne fis même pas cas du mot « Femme » qu’il avait employé sur un ton hautain, m’empressant de repousser la porte avec la paume de ma main pour la refermer et l’empêcher de retourner dans la grande salle principale. Me dressant devant lui.

- Vous êtes entrain de me dire que les prêtes de Minerve ne pensent qu’à envoyer ces soldats simplement pour avoir moins d’âmes à nourrir ? Pour alléger la population ? Pour soulager les disciples de Pluton ? Tout ceci serait qu’une mascarade, sacrifiant des vies inutilement ?? !!
Comment tout cela peut être possible… ? Comment j’ai pu me laisser avoir aussi facilement ? Je me demande si Minerve sait tout cela. Elle ne sacrifierait pas ses adeptes ainsi. Mais qui tire les ficelles de tout ceci ?

Beaucoup de questions mais aucune réponse qui viendraient apaiser mes doutes et toutes ces réflexions qu’il avait éveillés en moi. J’inspirai nerveusement, fermant les yeux l’espace de quelques secondes avant de retirer ma main et de la faire glisser sur la poignée pour ouvrir cette porte. Je ne pouvais montrer ce bouleversement en moi, pas durant la suite du banquet. Mon quatrième mandat allait m’échapper mais était-ce finalement ma priorité après tout ce que venait de me dévoiler Tibérius ? Que ferai-je de plus dans ce Sénat ? Complètement ébranlée, je regagnais la scène sans un autre regard au Prêtre de Vénus.

La partie était loin d’être terminée.

[Fin du Rp]