par Mnemio Tullius le 12 Février 2013, 15:06
Qu'il était agréable d'écouter la douce mélopée du fracas des lames croisées, noyée d'une part dans les supplications des mourants démembrés gisants dans un mélange de sang, de crasse et de sable et de l'autre par les cris d'une foule exaltée qui résonnaient dans l'imposant édifice en pierres. Si certains hommes savaient apprécier à sa juste valeur le grandiose spectacle de la violence et de la mort, se tapaient violemment dans le dos en riant à gorge déployée et lançaient des paris sur la manière dont le prochain combattant se fera estourbir, d'autres restaient de marbre face à autant de barbarie. C'était le cas de mon voisin de siège, un vieil ami, Cratus, Consul, qui tamponnait frénétiquement ses lèvres avec un petit morceau d'étoffe et transpirait à grosses gouttes, donnant l'impression que le pauvre homme allait renvoyer les raisins dont il s'empiffrait à longueur de journée. Non content de paraitre aussi maladif, Cratus était en plus secoué par de violents haut-le-coeur à chaque fois qu'une lame se frayait un chemin dans la chair d'un adversaire. Moi ? Je fais partie de la première catégorie et je m'amusais autant de l'affrontement qui se déroulait sous mes yeux que de la pâleur du visage de mon voisin et ami qui se confondait presque avec le blanc de sa toge.
« Comment fais tu pour supporter ça ? Je n'aurai pas dû venir ici, je t'avais bien dit que ce n'était pas un endroit pour moi, Mnemio.»
Je ris. Pas totalement par arrogance, mais parce que je savais exactement que ce genre de divertissement n'était pas au goût de ces hommes en toge qui prêchent la violence mais ne peuvent pas s'empêcher d'en détourner les yeux lorsqu'ils y sont confrontés. Soldat de mon état, la violence m'amuse et la gloire des vainqueurs me fascine. Je portais mes deux mains à ma gorge et délassais les deux lanières de cuir qui nouaient encore les oreillettes de mon casque à crête que je posais sur mes genoux. Après un soupir, je me tournais vers mon vieil ami avec un sourire joueur et hautain.
« Tu me déçois Cratus. Je pensais que tu étais un homme... La prochaine fois je viendrai ici avec ta femme. Dis moi, c'est cette maudite sorcière qui t'a arraché les testicules ?»
Je ris à nouveau, fier, avant d'être interrompu par un soldat essoufflé qui me salua en frappa son torse de son poing et en tendant complètement le bras envers moi. Agacé (pour rien, mais agacé tout de même), je décidais de ne lui accorder aucun regard, préférant largement regarder un colossal gladiateur s'en prendre à deux androïdes simultanément. D'un geste, je l'invitai à me divulguer l'objet de sa visite, au cas où cela concernerait les récentes vagues d'attentat dans la cité, mais il n'en fut rien. Au lieu de cela, le soldat, probablement l'idiot de la Légion, baragouina quelques mots que je n'avais pas véritablement envie d'essayer de comprendre, ce qui me poussa à faire signe à mon Optio, mon "adjudant", de prendre la situation en main et de me laisser profiter du massacre qui s'offrait à moi.
...
Un massacre que je regardai jusqu'au bout, sans en perdre une miette, contrairement à Cratus qui avait décidé de partir peu de temps auparavant, sous un flot de moqueries de ma part, et qui avait surement vomi ses entrailles à la sortie du Colisée. Peu importe. Les combats étaient terminés et des esclaves balayaient sommairement l'arène à l'aide de balais rudimentaires, afin de préparer le prochain spectacle. Je soupirai longuement en balayant, moi aussi, du regard l'assemblée. Je vis au loin un Sénateur qui me fit signe d'approcher. Ce dernier souhaitait bénéficier d'une protection plus soutenue que ses pairs afin d'éviter de subir le courroux des rebelles, étant très connu pour la célérité dont il faisait preuve pour acquérir les androïdes et s'en débarrasser dans des circonstances toujours un peu plus louches que les précédentes. A cette demande paniquée, je me contentais de poser lourdement ma main sur l'épaule du Sénateur bedonnant en lui murmurant un simple «Cela risque de vous coûter cher.» avec un sourire satisfait.
J'avais conscience qu'il n'était pas très honnête de profiter de la position de faiblesse d'un homme de pouvoir pour lui subtiliser quelques pièces, mais tout était devenu monnayable à Rome. Moi y compris depuis que le Sénat m'avait écarté de l'Expédition et privé de mes rêves d'aventures. Le Sénateur hésita mais acquiesça en hochant du triple menton. A la bonne heure. Mon optio se chargeait du reste, de récupérer l'argent et d'envoyer quelques hommes de plus à la porte de ce bon monsieur. Je m'éloignais peu à peu avant de croiser la route d'une élégante femme arborant la tenue des Sénateurs, elle aussi. Mon honneur d'homme prenait un coup à chaque fois que je voyais une femme au Sénat, mais celle ci était connue pour être une, si ce n'est la, plus grande oratrice en faveur de Minerve. Puisqu'elle engagea la conversation, j'essayais de paraître le moins désinvolte possible et me redressai, tentant de cacher mon amertume derrière mon uniforme de Centurion.
- Centurion Tullius. Que Minerve soit louée, que de vous avoir dans nos rangs. Comment se passe votre traque de la Rebellion androïde?
Je levais sobrement et respectueusement la main droite pour saluer la Sénatrice de manière convenable. Cette maudite Rebellion et leurs actes de terrorisme étaient des problèmes, qui, je le sentais, allaient vite me gâcher l'existence. J'espérais intérieurement que la Sénatrice abordait ce sujet afin de se montrer polie, simplement pour engager la conversation et pas pour me demander des comptes, auquel cas je tomberai vite à cours d'argument visant à justifier l'incompétence de mes hommes. Je me raclais la gorge et répondit à mon tour sur le ton de la conversation, avec un demi sourire.
« Salvé, Sénatrice. La situation concernant la Rébellion Androïde s'est plus ou moins stabilisée. Nous avons lancé un recrutement massif parmi les citoyens de la cité, mais je déplore le manque d'efficacité de ces hommes peu entraînés... Mes meilleurs soldats sont partis avec l'expédition. Plaise à Minerve que nous capturions ces parjures et que nous leur infligions une mort lente et douloureuse, ici même. »
Je marquais une courte pause, ne souhaitant pas m'étendre sur le sujet à moins que la Sénatrice ne m'en intime l'ordre. D'ordinaire, je préférais éviter de me lancer dans des discussions avec les politiciens, à moins que je sois certain de pouvoir en diriger le cours en les intimidant. Mais en ce qui concernait la Sénatrice Atilius, c'était différent, je ne pouvais pas me permettre de poser mes sales pates sur son épaule et tenter de trouver une faille derrière ce visage angélique. Mon regard se posa brièvement sur l'androïde qui la suivait comme un chien... Probablement son esclave. Mon visage afficha, pendant un bref instant, une pointe de mépris. La Sénatrice était toujours là et le silence devenait incommodant, me poussant à relancer la conversation.
« Pardonnez moi d'avance pour cette remarque tout à fait triviale, mais je m'étonne de voir une femme de votre... Envergure assister ainsi à un tel spectacle de barbarie.»