Il aurait cru mon esprit plus vif que cela ? Classique... Encore un de ceux qui confondent intelligence et connaissance. Je ne prétendais pas être un génie, mais je ne pouvais de toutes façons pas deviner des éléments qui étaient hors de mon savoir. Je ne dis pourtant rien, le laissant répondre jusqu'au bout. Il disait qu'il ne voulait pas me soumettre... Mais il en avait la possibilité, et j'avais suffisamment appris des politiciens pour savoir qu'il me tuerait à la seconde où je ferais quelque chose qui lui déplaisait.
Mais la fin de son discours me surprit. Il aime comprendre. Il veut savoir. Il ne veut pas être dans les méandres de l'inconnu. Ces derniers mots me tirèrent une expression abasourdie, comme si je n'imaginais pas une seconde qu'il dise ça un jour. Était-ce de la manipulation ? Sûrement... Mais pour une fois il n'avait pas cet air absolument hautain que je détestais tant. Il jouait bien le jeu... Ou il était sincère... Je ne comptais pas prendre le risque de trop le croire, mais soit, au moins il cherchait à arrêter le cycle d'agression qui avait été lancé.
Je fermai donc les yeux, soupirant longuement une fois que Mettius eut fini de parler, semblant réfléchir à ce que j'allais dire. Je marchais sur un terrain hautement miné... Je me méfiais. C'était visible. Je savais que ma nature humaniste et dans l'ensemble plutôt gentille avait un fort effet sur les personnes honnêtes, qui en général m'appréciaient immédiatement. Mais je savais aussi que face à quelqu'un de mauvais, cela me donnerait l'image d'une proie. Cela dit... J'étais déjà une proie donc au point où j'en étais.
- J'aime apprendre. J'aime faire savoir. J'aime sortir les autres des méandres de l'inconnu, démarrai-je en écho aux dernières paroles du préfet. Ou du général. Ou le... prévôt je pense. Ça doit être quelque chose comme ça. Enfin Mettius, quoi.
Beaucoup disent que je suis... méprisante, avec ma technologie, comme si je m'imaginais plus intelligente que tous les romains. C'est faux, assénai-je d'une voix ferme.
Je suis ainsi, car je sais qu'aucun de nous, moi incluse, vous inclus, Rome inclus, ne vaut rien et est totalement pitoyable.Je dirigeai mon regard vers la tablette, qui projeta de nouveau des images. C'était une photographie de Mettius, qui était affichée cette fois-ci, dans l'air, au dessus du sol.
- Voici un humain. La "caméra" recula alors vers le haut, laissant voir Rome ; Mettius n'était plus visible.
Voici Rome. La caméra recula encore, laissant voir la Terre ; Rome n'était plus visible.
Voici la Terre. La caméra recula encore, laissant voir le système solaire ; la Terre n'était plus visible.
Voici notre soleil. La caméra recula alors, laissant voir le groupe local ; notre soleil n'était qu'un petit point lumineux.
Voici le groupe de soleils local. Il y a des milliards de milliards de milliards d'autres soleils comme le nôtre. La caméra recula, laissant voir la galaxie ; le groupe local n'était plus visible.
Voici notre galaxie. Des milliards de milliards de fois plus grande que le groupe local. La caméra recula, montrant le groupe local de galaxies ; la voie lactée n'était qu'un petit point parmi des centaines d'autres.
Voici le groupe de galaxies local. La caméra recula alors, laissant voir l'univers connu ; le groupe galactique local n'était qu'une minuscule trace lumineuse dans
un réseau immense.
Et voici l'univers que nous connaissons. Moins de 10% de ce qu'est vraiment l'univers.Je laissai l'image telle quelle, observant Mettius d'un air sévère, parlant avec une conviction rare.
- Vous êtes déçu que je sois "commune" ? Mais je suis moins que ça. Vous êtes moins que commun aussi. Rome est moins que commune. Nous sommes tous invisibles, anonymes, pitoyables. Nous n'avons aucune importance. Il existe des milliards d'autres planètes comme la Terre, avec des milliards de peuples intelligents comme le nôtre avec chacun sa culture, sa langue, sa technologie. Si demain la Terre disparaissait, ils n'en auraient rien à foutre. Ces milliards de civilisations continueraient et leurs existences ne seraient pas affectées une seule seconde pas notre disparition silencieuse et invisible. Je pointai alors du doigt l'image de l'immense réseau de galaxies, parlant plus fort.
- Vous vous battez pour avoir le pouvoir sur le lopin de terre MERDIQUE qu'est Rome, avec sa population d'imbéciles anonymes. Je me bats pour ÇA ! Pour que l'humanité voyage et explore chaque recoin de cet univers immense ! C'était le grand projet de ma civilisation, éteinte il y a moins de trois mois. Éteinte par une force plus grande encore que cet univers hypnotisant... L'imbécillité. La projection fut alors coupée, alors que je refixai mon regard sur le sénateur. Enfin le sénéchal... le politicien quoi. Je doutais fort qu'il soit réceptif à mon petit speech... Pouvoir comprendre à quel point l'humanité est minuscule demandait une capacité d'abstraction immense que n'avaient pas la majorité des romains.
- Vous proposez de me donner ce que je veux en échange de connaissance ? Soit. Laissez tomber les beaux mâles à mon service. Je souhaite autre chose, même si je doute que vous acceptiez de me donner quoi que ce soit de toutes façons. Ce que je souhaite c'est d'imposer le sens moral de la Citadelle à Rome. Beaucoup s'imaginent que je veux fabriquer d'immenses bâtiments d'acier et de verre, mais non. Chez moi, l'idée même de tuer quelqu'un ne nous serait jamais venu à l'idée. Nous avons eu un seul crime en 700 ans, une seule tentative de viol, punie par la peine maximale. Nous n'avions pas de police car nous n'en avions pas besoin. Les conflits se réglaient en parlant, par le jeu, ou par le sexe ; il était commun que des gens se réconcilient en couchant ensemble.Je dirigeai alors mon regard vers la fenêtre, regardant une énième fois la sombre ville de pierre et de bois dans laquelle je m'étais retrouvée par la force des choses.
- Je sais que Rome est violente. Mauvaise. Vulgaire. Brutale. Horrible. Et que la transformer ne sera pas tâche facile. Soit. Je suis patiente. S'il faut 300 ans, il faudra 300 ans. Ce que je souhaite c'est que vous meniez la marche. Que vous oubliez ce lopin de terre ridicule qu'est Rome et vous serviez de votre influence pour forcer la main aux gens. Les forcer à oublier leur soif de sang, leur haine, leur minable sens de la propriété, leur cupidité vomitive. Comme je l'ai dit, je sais que ça sera long. Peu importe. Je veux vous faire devenir un parangon de moralité. Je ne pus m'empêcher d'afficher un sourire triste.
- Je sais pertinemment que c'est naïf. Peu importe. Je veux faire ce que je peux pour corriger ça. Je vous propose donc... D'oublier le bluff, les menaces, ma maladresse, et cette utilisation de votre pouvoir. Pour une fois, faisons non pas comme à Rome mais comme chez moi. Réconcilions-nous, dis-je alors en reprenant les mots que j'avais prononcés peu avant,
en parlant, par le jeu, ou par le sexe... Après toute cette agitation, je ne dirais pas non à un instant de détente, signalai-je d'un air amusé, avant de reprendre ensuite un air sérieux.
Je sais que vous avez une influence immense sur Rome, et que vous pouvez faire ce que vous voulez de la ville. Un cloaque écœurant rempli de singes hurlants, ou une gemme qui éclairera l'univers.