L'absence. C'est par son absence que je ressens Julius. Que je comprends des choses. Curieusement, c'est son absence qui le rends présent, souvent, à mes côtés. J'entends sa voix, je sens sa main sur mon bras, ma joue. Ses lèvres sur les miennes... et puis je rouvre les yeux, et tout disparaît de nouveau. Il s'est éloigné depuis son funeste retour. Il ne voulait pas que je souffre de le voir s'emmurer vivant. Car c'est ce qu'il fait, et je n'arrive pas à le comprendre. J'ai essayé. Je sais qu'il n'y est pour rien. Que ce n'est pas sa faute. Mais j'aurais voulu le forcer. Le forcer à ressentir, à souffrir, à avoir peur, mal, comme tout le monde. Enfermer son coeur est presque un crime pour moi, qui ne vis que par mes émotions. Il a bien fait de partir. C'était le mieux pour tout le monde... même si je regrette cette absence, ce qu'il s'est passé, tout ce que j'ai pu dire, faire, taire. Rien ne s'est passé comme je l'aurais souhaité, rien. Mais je n'ai pas le choix. Je laisse le temps faire. Il viendra quand il sera prêt. En attendant, je le ressens près de moi. En attendant de pouvoir ressentir son coeur, ses émotions, je me contente de son fantôme. Il viendra bientôt, me dis-je chaque jour. Et chaque jour passe sans que personne ne vienne. Je ne désespère pas. J'ai confiance en lui. Il me reviendra. Parce que je l'aime, parce qu'il m'aime, et que c'est ainsi que les choses doivent être.
En ce jour comme un autre, je suis d'aide au temple de Vénus. C'est le jour. Vêtue d'une tunique de lin blanche qui découvre mes épaules et qui laisse entrevoir lorsque les plis s'écarte la peau blanche de mes cuisses. Arrangeant les bouquets, je l'attends. Comme hier, comme avant-hier et comme demain je l'attendrais encore. Mes mains ôtent les fleurs fanées, coupent les bourgeois abîmés. Et soudain, j'entends les pas d'un homme. C'est lui. C'est ce dont je rêve à chaque fois. Il viendrait vers moi, et me prendrais dans ses bras. Il embrasserais mes lèvres en me jurant de ne plus me laisser. Et alors je pourrais être à lui. C'est lui, et pourtant, je sais que ce n'est pas lui. Comme hier, comme avant-hier et comme demain encore. Pieds nus sur les dalles, je me cache derrière les colonnes. Je ne suis pas prêtresse, aussi je n'ose pas me faire voir. Pourtant, j'aime observer les gens qui arpentent ce sol. Alors j'épie, je vais de colonnes en colonnes pour les suivre, les regardant avancer, les écoutant parler avec Vénus. Souvent, ce sont des prêtresses.
Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui est un jour unique tout en étant absolument identique au précédent.
Car aujourd'hui, Julius me revient.
Il est debout devant la grande statue, me tourne le dos. Je m'avance derrière lui dans un bruissement imperceptible de tissu, dans le chuintement tout relatif de mes pieds sur le sol. Je ne sais s'il m'a entendue, s'il me sait derrière lui ou s'il l'ignore encore.
- Vous n'avez pas peur que vos muscles explosent un jour?
Dans ma voix, il n'y a pas de sourire. Ce n'est pas la joie qui m'habite, c'est bien plus profond que ça. Je m'avance doucement vers le centurion, faisant les quatre pas qui me séparent de lui. Doucement, ma main s'élève pour aller se poser sur son torse. Doucement, j'effleure les abdominaux sous l’étoffe, traçant sans me presser le dessin de ses pectoraux, avant de redescendre sur les biceps. Puis je me jette contre lui sans force, sans violence, simplement animée de toute la vie qui coule en moi. La joue posée contre son torse, j'inspire.
- Tu m'es revenu...
Et tant pis si je suis orgueilleuse de présumer ça.