Appuyé sur la balustrade d'un pont, je regarde l'eau du Tibre couler lentement. C'est un de ces jours où je ne suis pas de garde, un jour où l'on a pas besoin de moi aux Portes de la Ville. Mais il s'agit d'un de ces jours où je ne sais pas quoi faire de mes mains. De temps à autres, j'offre mes services au Temple de Pluton, directement, car je n'aime pas rester sans rien faire. Mais aujourd'hui, Aurélia a besoin de moi. Aurélia, c'est l'autre androïde qui travaille au service des Lurio. Elle joue les gardes malades, Madame est très souffrante ces jours-ci, et Aurélia ne peut pas aller au marché, alors je m'en suis occupé. Et puis, il y a la jeune Lucia qu'il faut surveiller aussi. Cela me peine de la voir jour après jour dans le petit jardin de la maison. Je me redresse, ce monde tourne à l'envers. Après avoir servi les humains en esclave enchaîné, voilà que je suis libre, mais que je veux aider ces humains. Où se trouve l'ironie de la chose, hmm? Enfin, qu'importe. Lucia Lurio ne m'a jamais rien fait et j'ai beaucoup de peine pour l'enfant. Personne ne sait ce qu'elle a, et pourquoi elle reste dans son coin. Je me dois de l'aider. Elle ne mérite pas cette vie recluse.
Mes pas me guident alors au travers de la ville, errant sans but véritable. Où pourrais-je aller? Qui pourrais-je rencontrer qui m'aiderait à trouver la solution? Mais je ne peux pas faire sortir Lucia. Elle déteste le bruit de la ville, avec tous ces chariots qui brinquebalent, avec tous ces gens qui crient à qui mieux mieux. Il me faudrait un endroit calme. Le soir peut-être quand tout le monde s'endort? Les Jardins Suspendus? Ça serait l'idée la plus facile, oui, mais ils se trouvent bien loin de la maison et je ne veux pas marcher des heures. Alors où p...
Je m'arrête brusquement, je sens l'odeur du cuir, de la graisse, de la paille, du métal. J'entends le hennissement des chevaux. Ce n'est pas une simple écurie, l'odeur serait moins forte et plus confiné. Non, ces chevaux-là devaient vivre à l'extérieur, probablement. Mes pas se dirigent vers la source du bruit, avant même que je ne sache où je vais. Et en quelques minutes, je me trouve devant une grande barrière et des chevaux magnifiques. Des chevaux taillés pour la guerre, puissants, infatigables, fantastiques. Certains ont entendu mon arrivée et ont tourné leur tête vers moi. Je m'appuie sur la barrière. Cela fait longtemps que je n'ai vu des chevaux. Ils sont la propriété de Neptune et Neptune a ce que l'on dit, a disparu de la circulation. Mais ces bêtes restent magnifiques. Aux Portes de la Ville, il n'y a pas de division équestres. La Cavalerie ne sort que pour les grandes occasions. Je ne pourrais pas dire si j'aime les chevaux ou non, mais je pense qu'ils sont comme nous, obligé de servir les humains. Je tends ma main gauche et un des animaux s'approche pour la renifler. Et devant l'aspect de cette main noire, il renâcle, mais ne prend pas peur et vient poser son nez au creux de ma paume.
Ça, c'est sur, tu n'en verras pas souvent des mains comme ça.
Je suis habillé tel un humain. Je ne porte pas les loques des esclaves, mais une toge noire, propre et lavée avec soin par Aurélia. Ni elle, ni moi, ne voulons faire savoir à Rome que la lignée des Lurio s'est éteinte à tout jamais. Alors nous continuons à jouer les esclaves modèles. Avec les affres du temps, je passe pour un humain et je préfère cela. De toutes manières, le code barre est calciné sur cet avant-bras à l'aspect bien plus qu'étrange. Mais je ne m'en fais pas. Beaucoup d'humains ont sur le corps la marque de leur dieu, alors peut-être que je passe pour l'un d'entre eux. Je caresse le nez du cheval et sa tête, sans penser que quelqu'un pourrait m'observer.