Une nouvelle vie commençait pour moi. Malgré toutes mes années de bons et loyaux services, j'éprouvais une certaine appréhension. Mon ancien maître avait été le dernier de sa lignée. Contrairement à ses aïeux, il se montrait plus capricieux, moins respectueux à mon égard. Je ne lui en voulais pas. Après tout, on m'avait créé pour servir et protéger, il me résumait à cela sans plus de réflexion. Mon plot était inactif mais tout le monde l'ignorait. Et ça allait continuer ainsi encore longtemps, du moins je l'espérais. Le fait de me retrouver à nouveau sur le marché des esclaves, à la merci de Spurius m'inquiétait. On pouvait très bien décider de façon arbitraire de me réinitialiser. J'ai redoublé de vigilance pour que ça n'arrive pas. Tous les jours, j'assistais, impuissant et docile à l'éternel manège auquel se livraient les humains. De l'aube au crépuscule, des centaines de romains arpentaient la place à la recherche d'un "esclave". J'avais oublié comment c'était. Et je fus très surpris par l'audace de certains. Les guerriers testèrent ma résistance en me donnant un grand coup de poing dans le ventre ou dans le tibia. On examina aussi ma dextérité en me faisant manier une épée et un bouclier en bois. Les femmes m'observaient avec une envie certaine. Ma créatrice m'avait voulu beau, désirable... et son œuvre persistait toujours aujourd'hui. Quelques unes, sans-gêne, n'hésitèrent pas à toucher mes attributs, avec un air envieux qui me mit mal à l'aise. Je voulais qu'on me choisisse pour mes compétences, pas pour ma plastique. Je gardais un souvenir plutôt sombre de mes précédentes relations sexuelles. Un instant, je craignis qu'on ne me destine à satisfaire des désirs purement charnels.
Mais Spurius ne voulait plus me vendre pour une bouchée de pain comme il avait été contraint de le faire autrefois. Il connaissait ma valeur et son côté vénal reprenait le dessus. Il me fixa donc un prix élevé qui calma nombre d'intéressés. Ce ne fut qu'au bout de six jours que j'eus un acquéreur. Une femme, qui m'avait observé plus tôt dans la matinée. Elle se prénommait Camila Veturia. Je devinai rapidement qu'elle était guerrière, à sa tenue et à son maintien, fier et solide. La vaillance se lisait sur son visage mais j'y décelais aussi une forme d'inquiétude, comme si elle appréhendait quelque chose. On ne m'avait pas informé de certaines tractations politiques et des dangers qui en découlaient. Cette femme m'était étrangère et la seule chose que je souhaitais, c'est qu'elle ne me cogne pas dessus. Je ne sentais peut-être pas grand chose mais j'espérais la servir dignement et la protéger véritablement, pas simplement jouer les potiches... Camila et Spurius s'isolèrent pour finaliser la transaction et pendant ce temps, je mis mes affaires sur mon dos. Je n'avais pas grand chose, à part mon armure de cuir et des toges. J'espérais qu'elle me demande de me couvrir une fois chez elle et qu'elle m'autorise à me laver. Attendre en simple pagne sur la place publique par un soleil caniculaire ne me dérangeait pas, si après je pouvais ôter cette odeur de transpiration et de crasse naissante. Alors que je patientais, un imbécile heureux me jeta un grand seau d'eau glacée. Je l'avais vu venir... mais je ne devais pas répliquer sous peine de me trahir. Cela déclencha des rires et une myriade de moqueries.
Puis les énergumènes s'en prirent à un autre androïde plus loin. Pourquoi agissaient-ils ainsi ? Nous ne leur avions rien fait... parfois les humains ont de drôle de façon de se comporter envers les plus faibles... à mi-chemin entre l'animal et le chaos. Dix longues minutes passèrent avant que Camila ne ressorte. Sans plus tarder, elle m'ordonna de la suivre, ce que je fis promptement. Je n'avais pas envie de la décevoir dès le premier jour. Durant tout le trajet, je me fis silencieux, me contentant de regarder autour de moi pour essayer de me repérer. Elle m'emmenait au Sénat, quelques souvenirs anciens me revinrent en tête. Un idée les effaça... Et si elle n'était qu'une intermédiaire, envoyé par un Sénateur pour m'acheter ? Malgré mon courage, l'inquiétude me gagna. Dans quoi allais-je tomber ? Les souvenirs de maltraitance restaient ancrés au fond de moi, comme s'ils avaient été imprimés au fer rouge. Nous parcourûmes les couloirs du bâtiment pour arriver bientôt à une grande pièce ajourée. Sans doute le bureau du politique. Je restais près de l'entrée, n'osant m'approcher davantage ni même poser mes maigres affaires. Le soleil m'illuminait de ses rayons, venant sublimer mon corps d'éphèbe. J'étais encore un peu mouillé mais ça séchait vite par ce temps. Je restais silencieux, attendant qu'elle prenne la parole d'elle-même. Mes craintes allaient peut-être être balayées ou pas... je l'ignorais et cette attente était le pire des supplices.