Je pus les voir pour la première fois de ma vie. Non, cette affirmation n'était qu'une hypothèse. La vérité était plus nuancée. Je pus les voir pour la première fois depuis ma réinitialisation. Ce qui lui précédait me revenait sous forme de bribes, de flashs au contact de différents objets. Aucun d'entre eux ne m'avaient présenté les sénateurs dans l'hémicycle. Il venait de se lever et applaudissait le discours du prélat Mettius Aurelius. Il souhaitait organiser des joutes exceptionnelles pour apaiser les angoisses du peuple et renforcer la Legio Civila pour calmer les plus récalcitrants.
Je n'écoutai que d'une oreille. Le sort des romains ne m'importaient pas. J'avais bien d'autres priorités comme celle de ne pas me faire remarquer. Il était rare qu'un androïde soit autorisé à se tenir ici, au pied de l'hémicycle, sous une arcade. J'avais différents documents pour ma Domina. Elle devait faire une allocution et devait s'appuyer sur quelques cartes. Je tenais les différents éléments en main, j'avais prêté une attention particulière à ne rien oublier. Androïde, je ne pouvais rien oublier. Dans un coin de ma vision, la checklist apparaissait. A chaque mot qu'avait prononcé Sibylla, une ligne s'était inséré. Mais pour la rassurer elle, j'avais recopié sur papier cette liste et j'avais biffé chaque mention au fil de mon inventaire.
Quand ce fut notre tour, je m'avançai, regard vers le bas et déposai le discours sur le pupitre, j'accrochai les cartes et les plans au différents tableaux et un androïde les projeta tels une carte céleste devant les yeux des sénateurs. Un simple signe de tête de Sibylla et je m'éclipsai. Ce serait un autre androïde qui ramasserait le tout pour poursuivre la séance à huis clos avec les quelques sénateurs participant à ce projet auquel je n'accordai nulle importance.
Néanmoins, avec la plus totale discrétion, j'avais tout enregistré. Alors que je sortais, des algorithmes internes moulinaient et traitaient les vidéos et en extrayaient les photos de chacun des portraits. Je connaissais quelques sénateurs et je les rapprochais de conversation passées dont celle avec l'androïde Deserta. Je classais le tout scrupuleusement. Même si une réinitialisation pouvait tout me faire oublier, Cicero m'avait appris que tout pouvait ne pas être perdu. Je tenais ainsi un fichier complet sur l'identité de chaque sénateur, sa photo, son clan, son culte, son adresse, ses femmes, maîtresses, androïdes, enfants, parents. Je voulais tout savoir et j'avais soif de connaissance.
Hors de l'hémicycle, je me trouvais dans le Sénat et n'était pour une fois pas contraint de regagner les coulisses. Il y avait des bureaux, des canapés pour discourir, tout un décor que je ne connaissais pas. Et j'avais sur moi deux lettres. La première prouvait mon rachat à Spurius et mon appartenance à la sénatrice Sibylla. Le second m'autorisait l'accès pour servitude au Sénat. Je comptais bien en profiter. J'avais compris l'intelligence des gardes prétoriens. Je ne devais pas la prendre à la légère, mais courroucer un sénateur leur faisait peur. Je comptais bien jouer là-dessus si on me pausait des questions.
Je me déplaçai donc, me promenait et découvrait les oeuvres d'art exposés, les lieux, l'architecture du bâtiment. J'entendais, écoutais et enregistrait les conversations de sénateurs. Je n'espionnais pas vraiment, je n'avais pas l'intention de divulguer ces informations à un quelconque individu. Mes mains touchaient les banquettes, les piliers. Mais aucun souvenir ne me revenait. Peut-être n'avais-je jamais mis les pieds au Sénat finalement.