Cela faisait un moment que je vivais terrer dans la grande bibliothèque de Pluton. Les ouvrages recelaient de trésors culturels et d’informations précieuses. Mais ils vieillissaient également très vite. La chaleur de Rome n’aidait pas à leur conservation. Les pages s’asséchaient bien rapidement et leur conférait une trop grande fragilité pour que je puisse lire les livres sans les abîmer.
Valeria avait besoin de matières premières pour panser les livres. Elle ne me demandait rien, ne me donnait aucun ordre. Mais je m’étais proposé pour acheter cela au marché. Je préférais m’y rendre personnellement. Si les romains la voyait chiner par elle-même au marché, ils se s’interrogeraient rapidement sur ce que, moi, son androïde, je faisais. Et je n’avais pas envie que les tribunaux et les soldats enquêtent sur notre respectueuse relation. Je connaissais des esclaves condamnés à être réinitialisés car leur maître leur en demandait peu. Certains Consuls pensaient voir en le moindre relâchement d’un androïde ou la moindre politesse d’un maître le début d’un risque d’émancipation. Ils nous craignaient, ils nous avaient implanté des plots pour éviter que nous pensions par nous-même. Et ils vivaient dans la paranoïa que nous nous libérions de nos entraves psychiques.
Comble d’ironie, je m’étais libéré de mon plot à force de réinitialisation. Mais, maintenant que j’éprouvais des sentiments, je connaissais la peur, la peur de la réinitialisation et de perdre à nouveau tous mes souvenirs. Alors, ce matin, au marché, je me faisais discret. Je marchais entre les étales à la recherche de ais de bois, de bandes de cuir ainsi que du ruban résistant.
S’approvisionner devenait difficile pour les androïdes. Face à l’augmentation de population, de plus en plus de romains voulaient des androïdes. Mais il y en avait de moins en moins sur le marché. Alors, bien des romains faisaient eux-mêmes leurs emplettes. Du coup, dès lors qu’ils remarquaient notre nature, ils passaient devant nous. Sans compter les commerçants qui papotaient avec les humains et les faisaient passer devant nous en les reconnaissant.
Cela faisait vingt minutes que je patientais chez un tisserand renommé pour la qualité de ses rubans. Valeria ne recherchait pas des produits luxueux, mais des produits de qualité. Malheureusement, ce genre d’établissement se voulait fréquenter par la haute société. Devant moi, il y avait un seul androïde. J’aurais dû passer passer rapidement. Mais, c’était déjà la sixième humaine à venir devant l’étale et évidemment les humains nous passaient naturellement devant. Je ne perdais pas patience, pour autant. Je gardais mon calme. Toute preuve d’impatience serait vite interprétée comme une rupture de mon plot d’asservissement. Une interprétation très judicieusement, par ailleurs ! Et je finirais au cachot.
Alors que l’androïde passait enfin la commande de sa maîtresse, derrière nous, un grand fracas retentit. Une roue de carriole trop chargée venait de se briser. Le chargement avait alors basculé sur le côté et les barils venaient d’écraser l’étale du marchand derrière nous. Nous étions sur le pont menant à Isola Sacra. La voûte de ce pont de pierre offrait une pente fabuleuse à la course de ses barils. Ils n’allaient pas très vite, mais rempli de vin, mieux valait éviter leur chemin. Je fis un pas sur le côté, non pas pour éviter un baril, j’étais au dessus d’eux. Non je voulais que mon visage se retrouve dans l’ombre. Plus que tout, je tenais à rester discret.
J’observais la scène. Les barrils descendaient encore et encore. Un soldat eut la stupide ou courageuse idée de s’interposer. ll détourna un barril qui s’arrêta contre la rembarde de pierre du pont, mais il fut également projeter et il aurait du mal à marcher pendant quelques temps. Le dernier barril suivait la pente et se dirigeait vers un groupe composé de deux femmes, dont une aux étonnants cheveux clairs.