par Caecilius le 05 Septembre 2012, 09:19
C'est sûr que si ça n'était que de moi, je serai déjà loin d'ici, déjà loin d'elle. Je ne haïssais pas les androïdes à un point physique qu'il me fallait quitter tout endroit où s'en trouvait un, leur présence m'était simplement cruellement désagréable. Chacun d'eux me renvoyait à cet androïde qui avait refusé d'aider mon frère, d'aller essayer de lui porter secours, de le sauver, même si ce jour là l'androïde avait échoué je ne lui en aurais pas tenu rigueur. Seulement il n'avait même pas daigné bougé, à peine avait-il regardé mon frère mourir sous la griffe de cette créature qui avait attaqué les fortifications, c'était ça le pire, le plus douloureux, qu'il n'ait strictement rien fait comme s'il n'en avait rien à faire. Je savais que les androïdes pouvaient ressentir la peur, la souffrance, la crainte face à la mort ou la destruction j'ignore quel terme ils peuvent préférer, mais et moi alors ? Tous les hommes de la cité doivent paraitre quatre fois plus épais et forts que moi mais je m'étais battu, en vain malheureusement mais faute de mieux j'avais essayé. Lui, cet androïde, il n'avait rien fait que d'attendre que ça n'arrive, sans bouger, sans utiliser l'épée à côté de lui, sans même prendre un bouclier, il était resté là, assis, simplement à attendre que les choses se fassent, que mon frère soit tué et ça, je ne parvenais à le pardonner. Aujourd'hui c'était donc surtout ce sentiment qui me dominait en présence d'un androïde, celui d'une nostalgie lourde à porter, d'une peine douloureuse semblant infinie, la raison de mon mépris envers eux, ça n'avait rien de personnel envers aucun d'eux, mais ça s'appliquait à tous. Pourquoi ferai-je semblant d'être agréable avec eux alors qu'ils ne m'inspiraient que peine, tristesse et souffrance ?
Elle me suit "monsieur", un terme qui me fait étrange à entendre, souvent c'est "jeune homme" parfois juste un sobriquet du genre "hé" ou plus régulièrement "l'aveugle". Elle est androïde, elle se doit d'être docile, obéissante et surtout polie envers les humains, ça fait parti de sa programmation, mais si un monstre m'attaquait là tout de suite que ferait-elle ? Me défendrait-elle ou se contenterait-elle de regarder la bête me tailler en pièces de ses griffes ? Je la conduis pourtant vers les plantes qu'elle voulait avoir, des fleurs de camomille, je les imaginais belles, tout monde monde était imaginé, tout ce que je touchais je l'inventais en ma tête, même les couleurs, peut-être que le blanc de mon esprit avait un nom autre pour elle et les voyants, mais je m'en fichais. Je suis doux avec les fleurs, je sais ne pas les abimer malgré mon handicap, j'ai toujours vécu avec, je sais comment m'y prendre pour ne pas froisser ou casser une fleur ni quoi que ce soit de fragile. On apprend des gestes, des techniques, des trucs tout bêtes comme de poser un doigt sur le bord d'un verre pour savoir quand arrêter de verser, de toujours poser les bouilloires brulantes aux mêmes endroits pour ne pas les toucher par inadvertance, ne pas perturber l'ordre des objets et meubles de la maison pour ne pas provoquer de casse ou se faire mal. Des détails qui font la différence. Sa question me fait sourire, on me la pose souvent, un aveugle qui sait reconnaitre les plantes, à croire que ça dérange :
- Je suis herboriste, je fais ça depuis des années. Ceux qui voient se laisser abuser par leurs yeux quand les fleurs se ressemblent, mais chaque fleur à sa propre odeur, c'est une signature unique, une façon bien plus sûre de les reconnaitre.
Après des années au milieu des fleurs, je savais les reconnaitre et les faire pousser avec brio, ça surprenait souvent les voyants, comment savoir si la fleur est en santé, si elle ne manque pas d'eau, de soleil ou au contraire en souffre ? Ces choses-là se sentaient bien mieux avec le toucher et l'odorat, quand les feuilles tombent, que la plante semble faible, que son odeur "s'éteint", des signes que les voyants manquent parfois, alors que les doigts et le nez ne peuvent passer à côté et les manquer. Elle me remercie d'une façon sympathique, qui me fait hocher doucement la tête avant que je ne lui réponde d'une voix radoucie et plus chaleureuse qu'auparavant :
- De rien.
C'est que je pourrai presque finir par apprécier sa présence. Elle me fit quelque peu oubliée qu'elle est androïde et puis elle semble plutôt douce et agréable. Je tressaille quand je la sens me toucher, s'il y a bien une chose qui a la fâcheuse tendance à m'insupporter c'est bien d'être touchée de la sorte sans en avoir été prévenu. Ne peut-elle donc pas comprendre que je patauge dans le noir complet et qu'un contact de la sorte puisse être surprenant ? Comme réagirait-elle dans une pièce entièrement noire et que quelqu'un la touche sans la prévenir, n'aurait-elle pas un sursaut comme ça a été mon cas ? En ça je détestais les voyants, il ne comprenait pas la différence entre la façon de se comporter avec un voyant et celle à adopter avec une personne qui ne voyait pas. Elle a en prime eut l'impolitesse de se déplacer dans le plus grand silence, alors quoi elle a eu ce qu'elle voulait et s'en est allée ? Non elle est encore là, elle parle et je parviens à me tourner dans sa direction, du moins celle de sa voix :
- Me décrire la camomille ? Vous savez depuis ma naissance je ne vois pas, je n'ai jamais vu, alors j'ai inventé dans ma tête tout ce que je connais. Je touche pour voir, j'associe les couleurs aux odeurs, les matières aux sensations. Je n'ai jamais tenu à ce qu'on me décrive, je préfère imaginer, et je n'ai pas envie de voir un jour car qui sait si ce que j'ai imaginé comme beauté ne serait pas moindre si j'avais des yeux ?
Ton de la discussion, agréable, pas de reproches, je le lui dis comme je le dirai à un pair humain et puis je reprends après un soupir, comme avec un pair humain j'explique :
- Ce sont les yeux pas vrais ? Ils ne sont pas blancs, pas vides comme on s'y attendrait, mes parents sont à blâmer pour ça. Ils étaient obsédés par ma différence, ma tare comme ils disaient, alors ils m'ont fait mettre des yeux d'androïde en pensant que je pourrai alors voir mais ça a été un échec. Ca me donne l'air plus "normal", ça leurs convenait mieux ainsi, d'avoir un fils "comme les autres". J'ai appris à compenser ma tare avec des techniques comme par exemple quand mon frère m'a apprit à écrire. Je comprends que ça rend sceptique sur ma cécité mais jetez-moi un truc dessus et vous verrez.