La peur, une terreur sourde et inconsciente, une angoisse permanente et incompréhensible flottait en lui comme une impression infime, un pressentiment étrange… Recroquevillé dans un coin de la pièce vide, collé au mur glacial, sa tête reposant sur la paroi salvatrice, Eli frémissait alors qu’un froid inexplicable paraissait s’être entiché de lui, couvrant son épiderme d’un voile de givre, illusion tactile... Et ce grésillement continu qui embuait ses pensées, sous-jacent, comme un bruit de fond désagréable, un bourdonnement constant et imperturbable depuis qu’il était revenu de chez cet homme… Tremblant, ses genoux vinrent se serrer un peu plus fort contre son torse, ses bras encerclant avec plus de poigne cuisses et tibias comme pour se rassurer alors qu’un tic secouait son pied dans un rythme endiablé, signe certain de la nervosité qui l’envahissait alors... Cette vague de sensations étranges, à peine une vision tactile, seulement des émotions inexplicables, le submergeait régulièrement dans ses moments de solitude intense depuis qu’il avait trouver porte close devant la demeure de Promethéus… Il n’avait osé en faire part à son maître provisoire, craignant de l’inquiéter, bien qu’en un sens, Spurius ne s’était guère intéressé aux détails de la mission avortée, le mécontentement de voir son affaire repoussée à une date ultérieure primant sur toute autre pensée logique…
La porte s’ouvrit brusquement, rompant le vide et laissant apparaître le maître des lieux, visiblement préoccupé alors que l’androïde sursauta, soudain persuadé que ses sombres pensées avaient attiré les foudres de son garant… Il se redressa promptement, prêt à subir ou à obéir, au bon vouloir de son propriétaire d’alors… Mais le visage de Spurius s’enticha d’un sourire malsain, vénal alors qu’il tendait une main, qu’il voulait sans doute rassurante, vers son esclave…
- Viens par là, Eli, allons… Quelqu’un est venu pour toi…
Ô le jeune homme savait très bien ce que cela signifiait… Un éventuel changement de propriétaire se profilait, espoir vain ou terrifiante malédiction, peu importait, Eli s’y plierait, il n’avait pas le choix…
Docile esclave, il suivit le maître à travers les couloirs de la riche propriété jusqu’à une porte close devant laquelle ils s’arrêtèrent. Le marchand d’esclave jaugea sa marchandise, scrutant attentivement la tenue de ce dernier comme pour s’assurer que tout était bien en place. Un léger grognement s’échappa de sa gorge, à peine satisfait…
- çà devrait aller… Allez, rentre là dedans et surtout, ne me fait pas honte, tu entends ?
L’androïde acquiesça d’un signe de tête convainquant, bien que ce geste ne représentait en rien une garantie aux yeux de Spurius, tant Eli savait parfois faire montre de maladresse dans les relations sociales…
Soupirant, Spurius actionna néanmoins la poignée de la porte et entra le premier, suivi de près par sa marchandise qu’il présenta sommairement à la jeune femme seule présente dans la pièce… Ceci fait, il se retira, non sans lancer un regard d’avertissement à l’esclave, laissant les deux protagonistes faire connaissance.
Le regard légèrement fuyant de l’androïde trouva bientôt la silhouette sombre de l’inconnue qu’il détailla avec un peu trop d’insistance sans doute tant la tenue vestimentaire de l’étrangère le troubla soudain… Affichant un très léger sourire comme pour se donner contenance, Eli s’avança de quelques pas, tendant une main en direction de la jeune femme, tremblant, sans vraiment se rendre compte que les esclaves n’étaient normalement pas censé saluer la classe supérieure de la sorte…
- Bonjour Madame…. Je m’appelle Eli. Eli Aebutius, Madame.
La main tendue, il observait avec insistance la jeune femme, son regard se perdant quelque peu sur les formes aguicheuses de cette dernière, indescence involontaire de sa part…
- Venez-vous m’acheter ?
La question était pour le moins directe et peut-être même impolie, mais Eli ne s’en rendit pas compte… Il n’avait jamais été conçu pour plaire, il n’avait jamais appris à se plier aux codes imposés par la société romaine, il ne savait simplement pas se comporter en public… Pouvait-on lui en vouloir ?