Debout dans le désert, je tourne le dos aux murailles de Rome, que l'on peut encore apercevoir au loin. Je ne crains pas les bêtes qui hantent ces lieux. Si je dois mourir aujourd'hui, telle aura été la volonté de Nantosuelta. Je crois qu'elle me protégerait. Ce n'est pas pour moi que j'ai peur, mais pour elle. Je suis sa dernière prêtresse, et peut-être la dernière à lui vouer un culte. Et si, ayant pour une raison ou une autre, offensé les autres dieux, ils décidaient de me supprimer? Je ne pourrait aller à l'encontre de leur volonté, mais je crains d'abandonner ma déesse. Ma mère me racontait que lorsqu'un dieu perds la foi de son dernier fidèle, il disparaît. Je n'ai jamais su si c'était pour que jamais ma foi ne s'ébranle, ou bien si c'était la réalité. C'est pour cela qu'aujourd'hui je viens implorer la bonté de Nantosuelta.
Tout est près pour le rituel. Pas de sacrifices, Nantosuelta n'est pas déesse à aimer le sang. Non, rien que des pierres disposées en cercle, de l'eau, et mon corps, nu. La purification est au centre du culte. Agenouillée dans le sable, Tyl posé sur mon bras, j'oscille de droite à gauche, psalmodiant une mélopée qui n'a de sens que pour moi. Si quiconque m'observait en ce moment, nul doute qu'il me prendrait pour une folle païenne. Mais pour communiquer avec Nantosuelta, les Cridas, ses prêtresses, doivent rentrer en transe. Nul besoin de plante hallucinogènes ou de sacrifice animal, simplement une communion avec le cercle, avec l'animal-lien, pour pouvoir atteindre le non-sens et parler... en espérant qu'elle écoute. Je commence à perdre pied. Autour de moi, ce ne sont plus les dunes, mais des masses informes, aux couleurs passées. Le bleu de la nuit s'éclaircit, et puis soudain, tout est blanc. Je ne sens plus mon corps, je n'en ai plus, il n'y a que mon esprit, et la présence de Tyl, qui flotte dans un espace vide et lumineux. Je suis en transe.
" Nantosuelta, bienveillante déesse, mère des Cridas. Je viens à toi en ce jour en implorant ta pitié et ta bonté. Je suis Sylvana Vidlua, la dernière des Cridas. Je suis l'unique prêtresse de ton culte, mais bientôt je vais enfanter. Je t'en prie, fais que je puisse donner naissance à plusieurs filles. Si j'enfante un garçon, et que par un coup du sort, je ne puisse plus avoir d'enfant, ton culte risque de s'éteindre. Bien sûr, le Messager est venu, il a appris nos coutumes... Mais saura-t-il les transmettre à une autre génération? J'ai rompu un de mes engagement. J'ai appris que le Messager était mon père. C'est moi qui ai voulu savoir, grande déesse. Mais voit ou le manque d'amour a mené les Cridas! Autrefois nous étions une famille florissante, présente à travers le monde entier. Aujourd'hui, je suis seule... Et je ne veux plus l'être. J'implore ta pitié, Nantosuelta, donne-moi des filles. Et accepte de me protéger afin que je puisse faire renaître ton culte, si j'en suis digne. Je suis tout entière à ton service, maintenant et jusqu'à ma fin. "
Je sors lentement de transe, épuisée. Autour de moi, tout redevient solide. Je sens de nouveau mes membres, le sable sur ma peau. La lune est montée bien haut dans le ciel. Doucement, je me relève, me vêt rapidement et m'en retourne. Je ne sais si ma déesse m'a entendu, ou si elle me répondra. Cela lui appartient.