par Nero Horatius le 18 Novembre 2012, 18:21
Le Consul Ignis se montre être un hôte tout à fait agréable, charmant. Il tient son rôle avec brio, semble avoir pensé à tout ce soir, pour cette petite fête, réception. Au premier regard, on constate combien celle-ci fut préparée, pensée, organisée. Derrière tout cela, se cache certainement une armée d’androïdes. Je dois bien avouer que j’étais curieux de rencontrer cet homme, incontournable dans la cité de Rome. Des bruits, des rumeurs, j’en ai entendu beaucoup à son sujet, tout comme lui sur le miens. Les grands hommes sont souvent précédés de bruits, de souffles perdus dans des ruelles étroites, dans des marchés bruyants. On aime à se faire peur, à s’imaginer des monstres derrière chaque homme un peu original. Je constate avec joie qu’il prend la peine de saluer Euterpe, mon androïde, ma fidèle, ma complice. Ce n’est peut-être rien, ne signifie pas grand-chose pour beaucoup ici présents ce soir mais pour moi, cet acte est important. Il annonce une façon de pensée, un caractère, un courant philosophique qui se cache en Rome aujourd’hui. Les androïdes sont des esclaves, ne sont pas l’égal des hommes, des humains. Mon regard dissimulé en partie derrière mon masque de fer imperturbable fixe intensément le visage du Consul, cherche à lire dans son esprit, dans le fond de ses yeux. D’un hochement de tête, je le remercie de son accueil courtois, plaisant. Ils sont bien peu à oser m’accueillir ainsi dans leurs demeures, à me traiter avec respect. Au sein même du Temple de Pluton, je suis sujet à ragots, moqueries. Un jour viendra où l’équilibre se fera, avec plus ou moins de violence selon le comportement passé des adeptes, des prêtres, des citoyens à mon égard…
"Je vous remercie Consul Ignis. J’ai également beaucoup entendu parler de vous. J’espère que nous trouverons un instant durant cette soirée pour discuter un peu vous et moi."
Sa boutade est amusante. De la part de quelque d’autre, j’aurais pu la prendre mal, très mal. Mais le Consul Ignis possède un certain charisme, tout à fait intéressant. Il émane de sa personne une aura puissante et à la fois troublante. Je sens autour de lui le secret, mais aussi la puissance, la force. Le dieu qu’il sert est à ses côtés, cela ne fait aucun doute. De nouveau, je m’incline respectueusement pour prendre congé, le laissant ainsi accueillir d’autres convives, invités, entraînant avec moi la délicieuse Euterpe restée silencieuse. Je viens d’apprendre que l’androïde du Consul a rencontré plusieurs fois ma complice. Une information que je découvre. Nous errons quelques instants parmi les invités, la petite foule qui se forme, tout en évitant les éternels et habituels goinfres, piques assiettes qui aiment à courir ce genre de soirée pour manger gratuitement, faire la fête plus que de raison et disparaître ensuite. L’évolution n’a pas chassé ni même effacé certains comportements, instincts de cloportes. Un peu à l’écart, à côté d’une belle colonnade, j’observe le ciel étoilé, d’une luminescence envoûtante. Puis, tout naturellement, mes yeux de nouveau se posent sur le visage délicieusement rayonnant de mon androïde. Dans cette robe, elle est d’une beauté ravissante, surprenante. Elle ne cesse de me surprendre, jour après jour. Vivre à ses côtés est une aventure de chaque instant, une épopée dont je ne veux savoir la fin. Avec souplesse, je viens replacer une mèche de sa chevelure soyeuse, caressant sous le bout de mes doigts, les traits de sa joue, de sa mâchoire lentement, lui souriant derrière mon masque. Elle ne le voit pas, mais le devine certainement…
"Caligula donc ? Il est comment ce jeune homme ?"
Je souris toujours, à la fois amusé, mais aussi d’une façon un brin moqueuse. Elle me connaît assez pour savoir que je vais très certainement chercher à la taquiner avec cet androïde dont elle semble avoir fait la connaissance. Si depuis le jour où j’ai ramené Euterpe avec moi, pour la réparer, lui redonner vie, espoir, je me suis efforcé de lui rendre sa liberté, j’avoue demeurer toujours très curieux vis-à-vis de ses activités, de sa façon d’occuper ses journées quand parfois, elle disparaît de mon champ de vision. Ce n’est jamais pour une longue période mais je redoute le jour où je ne la verrais pas revenir à mes côtés. Ce jour, que deviendrais-je ? Comment réagirais-je ? Ma main glisse sur son épaule, l’effleure, parcourt son bras, vient capturer la sienne pour la garder au chaud sous mes doigts qui câline sa peau soyeuse, délicate…
"On me fait des cachoteries Euterpe ?"
Amusé, je rigole derrière mon masque. J’aime ces instants où elle et moi ne formons qu’une seule personne. Peu importe le monde qui nous entoure, les personnes autour de nous qui pourraient nous observer, les dangers qui se profilent à l’horizon, je suis avec elle, elle est avec moi. En parlant de cet environnement, maison, je la sens fréquentée autant par les vivants que par les défunts. Là-bas, derrière la rangée de colonnades, je reste intrigué par cette femme qui semble monter la garde, inspectant à bonne distance les invités, surveillant le Consul Ignis. Je ne pourrais pas jurer de son identité, mais je la sens proche de cet homme, attaché à lui. Quelqu’un de sa famille surement. Régulièrement, son regard se dirige vers l’étage de la maison, insistant longuement dessus. Le Consul doit avoir lui aussi ses secrets. Et puis soudain, elle me regarde, moi. On ressent toujours intérieurement, en son être, profondément quand quelqu’un vous regarde ainsi. On ne sait pas se l’expliquer, c’est souvent l’instinct qui parle plus fortement que notre raison. Mon don me fait ressentir ce même sentiment avec les morts. Je la vois traverser le terrain rapidement, elle flotte au dessus des éléments, son être libéré des contraintes, règles qui régissent notre monde, notre dimension…
"Toi, l’homme au masque de fer… je sais que tu me vois…"
Sa voix n’est qu’un murmure à mes oreilles, mais parfaitement audible en moi, au creux de mon esprit. Mon âme vibre de toutes ses fibres, de toute son essence, provocant des frissons intenses qui viennent à s’échapper à travers la main d’Euterpe que je tiens toujours. L’air autour de nous soudainement diminue de quelques degrés, suffisamment assez pour qu’une légère buée s’échappe de mes lèvres et de celles de mon androïde. Il en est toujours ainsi en présence d’un esprit, d’un défunt. La femme semble avoir un caractère marqué. Elle sait ce qu’elle veut, cela se remarque dans son regard posé sur moi. Pourtant, je ne détecte aucune agressivité à mon égard…
"Oui je vous vois… je vois ceux comme vous, ainsi que ceux de l’Autre-Monde."
"Par Pluton… c’était vrai alors ce qu’on dit sur toi."
"En effet Madame"
Mon corps peine à s’habituer à cette présence qui devrait pourtant ne pas m’atteindre, comme il en est le cas avec tous ces invités ce soir. Ma main ressert imperceptiblement son étreinte autour de celle d’Euterpe. Le regard de la défunte se tourne vers mon androïde. Elle la fixe à son tour intensément, semble s’y intéresser, puis revient vers moi…
"Jolie petite androïde que tu as là… sa beauté est-elle là pour dissimuler son incompétence ?"
"Si vous voulez parler avec moi, que je vous écoute… adressez-vous à moi, laissez Euterpe tranquille. Je ne vous permets pas."
Sans même l’avoir vu venir, ce rapport de force s’installe entre nous. Ce devait être une femme au fort caractère, qui avait l’habitude de commander, diriger, donner des ordres. Il ne m’en faut pas plus pour comprendre qui est elle, fut. Je tourne la tête vers le Consul comme pour mieux lui faire comprendre que je viens de deviner. Elle imite ma réaction, regarde son fils à son tour…
"Oui tu as deviné… il est beau n’est-ce pas ? Dis lui que je l’aime… malgré ce qu’on a vécu, ce qu’il pense de moi, ce que j’ai fait."
J’hoche la tête en guise de réponse. Lentement, elle s’éloigne de moi et Euterpe, retourne hanter cette demeure. Je ferme les yeux un instant, comme pour me recueillir. Pourquoi les portes de l’Autre Monde ne sont-elles pas ouvertes pour tout le monde ? De terribles secrets se cachent ici, entre ces murs. Mon visage se relève, la sensation de fraicheur, de froid soudain s’en est allée. Durant de longues minutes, mon attention est entièrement dévouée envers le Consul Ignis. Je l’observe de ma position rire, saluer, commander, accueillir les hôtes, les observer, les regarder. Mes yeux sont rivés sur les siens, je lis à travers eux ses réactions, ses pensées que je devine parfois. Je m’imprègne de l’aura de cet homme. Qui est-il vraiment ? Que cache t’il derrière les murs de sa demeure somptueuse ? Les murs trop lisses, trop blancs, sont souvent les témoins silencieux de drame, des spectateurs impuissants. J’en ai oublié la pauvre Euterpe, qui ne doit pas comprendre. Elle connait mon don, mes pouvoirs, sait tout de moi ou presque. Je ne fais même pas attention au tonnerre qui gronde soudain, fait sursauter quelques convives de surprise…
*Pluton… pourquoi ?*