Depuis hier, je tourne en rond, en proie à l'hésitation. Enfin, non, ce n'est pas vraiment une hésitation que je ressens au plus profond de moi. La décision je la connais déjà. Comme toujours, je ferais ce qui est le mieux pour mon culte et ma déesse. C'est ce qu'il y a de plus important pour moi.
Je ne suis pas encore remise de ma surprise. Je n'aurais jamais cru qu'un Dieu me répondrait un jour en personne. L'apparition de Pluton avait été un choc physique tant que mental. Sa venue m'avait bouleversée au plus profond de mon âme. Apprendre la faiblesse de ma déesse m'avait beaucoup touchée. Je ferais tout ce qui serait en mon possible pour la sauver et lui rendre sa force d'autrefois. Je le jurais sur ma lignée. La réponse à la proposition de Pluton était toute réfléchie. J'accepterais. Avoir trois filles, c'était bien plus que ce que je n'aurais osé espérer. Et si pour ça, je devais briser le pacte que j'avais passé avec Prometheus pour avoir cette descendance, j'en prenais le risque. C'était pour le mieux. Je lui avait promis de le laisser élever le fils que je mettrais peut-être au monde. Mais on me proposait, contre ce fils qui serait promis à un avenir brillant, deux filles de plus. Je n'étais pas en position pour refuser, pas après avoir appris la faiblesse de Nantosuelta. Mais avant d'accepter, je voulais prévenir Prometheus. Ma décision était irrévocable. Je subirais son courroux, et ce serait normal. Mais je ne céderais pas. Deux dieux allaient m'aider à sauver ma déesse et à assurer la pérennité de son culte. Quelle idiote je serais de les envoyer paître! Et si j'étais condamnée à ne pas connaître mon fils avant ses 21 ans, je faisais ce sacrifice. Après tout, avant que je ne décide d'adoucir notre culte, les Cridas ne pouvaient avoir aucun contact avec les enfants de sexe masculin, qu'elle devaient abandonner. Il y avait un progrès.
Je quittai ma masure à l'ombre des remparts. Ma grossesse était bien avancée maintenant, et l'arrondi de mon ventre était plus que visible. J'avais renoncé au cuir, qui ne ferait que brimer le naturel du processus. Récupérant dans un coffre les vieilles robes de ma mère, je m'étais taillée une tunique à manche longues et un pantalon en toile large, afin de laisser à mes enfants la place qu'ils leurs fallait. J'avais de plus en plus de mal à effectuer mes travaux quotidien pour fabriquer de quoi me nourrir. J'étais essoufflée par l'effort et mon ventre me faisait mal. Et la route était longue jusque la villa de Prometheus. Je n'y étais pas revenue depuis la nuit ou il m'avait offert ma descendance. Il m'avait fait promettre de venir le voir en cas de problème. Et bien aujourd'hui, c'était le cas... Je dus m'arrêter plusieurs fois en chemin pour me reposer. Tyl sur mon épaule me tenait compagnie, même s'il sommeillait plus qu'autre chose. Une boulangère à l'aspect débonnaire vint me voir lors d'une de mes pauses pour m'apporter une cruche d'eau et un morceau de pain. Je les pris en la remerciant, mettant de côté ma méfiance à l'égard du genre humain. Je repartis de plus belle.
J'arrivai à la villa le coeur battant et la tête tournante. Prometheus m'avait dit de passer par l'arrière, si je devais venir le voir. Je cherchai le passage et finis par arriver dans l'atrium ou brûlait cette flamme si importante pour sa famille. Il était là, me tournait le dos. Je l'appelai, prise d'un vertige, et m'appuyai contre une colonne, le voyant venir vers moi, l'air soucieux. Sans lui laisser le temps de poser de questions, j'en vins au fait :
- Pluton est venu vers moi hier, alors que je priais. Il m'a fait un marché. Je suis venue t'annoncer que je devais briser notre pacte. Il m'a annoncé que j'attendais une fille et un garçon, et m'a promis deux filles en plus si je lui offrais ce fils pour qu'il le forme à être le futur grand prêtre. Non, laisse-moi finir. Je suis consciente de ce que je fais, et rien ne me feras changer d'avis. Je suis prête à endurer ta colère et ta vengeance s'il le faut, mais je dois penser à l'avenir de ma déesse. Elle est mourante. Je suis sa dernière prêtresse. Notre culte est moribond et c'est à moi de le faire renaître. Je suis sincèrement désolée de devoir me parjurer, et j'espère que tu sauras me pardonner un jour.
Ayant dit ce que je devais dire, je m'apprête à m'en retourner, ne voulant pas rester pour me faire insulter, ce serait inutile. Je comprendrais sa colère, mais ne suis pas prête à écouter un sermon interminable sur la trahison.