Il parla. Je mangeai donc. Au fond pourquoi pas, je n'allais pas faire un numéro de jonglage, non ? Je profitai donc du fait qu'il parle pour manger autant que je le pouvais. J'avais vite remarqué, à Rome, que la nourriture n'était pas une denrée aussi commune que chez moi et que je devais donc me goinfrer autant que possible dès que l'occasion se présentait. Et ici, j'avais une superbe occasion... J'étais donc passée à la viande, tout en maintenant mon attention sur le perturbant discours du soldat romain.
D'abord, concernant les dieux... Il n'avait en effet pas tort, et il connaissait un peu l'histoire. J'avais parfois tendance à perdre de vue le fait que la Citadelle était une exception avec ses 0% de religion. Pour que cela soit possible, il fallait un cadre de développement extrêmement spécifique, et donc particulièrement rare. Je persistait toutefois à croire que la religion n'était pas un besoin si viscéral que ça, mais une question d'éducation. Un enfant auquel on apprend que tout est magique et divin ne pourra pas croire autre chose, tandis qu'un enfant auquel on apprend que tout peut s'expliquer et se découvrir ne comprendra pas l'intérêt de mettre ça sur le dos d'une entité imaginaire.
Mais il ne s'agissait que d'un point de divergence mineur pour le moment, je ne l'interrompis pas, et écoutai la suite, qui devenait de plus en plus étonnante. De la thérapie génique et de la nanotechnologie... C'était donc ça. Rien à voir avec les "pouvoirs" donnés aux romains, donc. Là, par contre, je devais avouer que je nageais dans le flou. La nano biotechnologie, je n'y connaissais pas grand chose. Les seuls éléments que nous utilisions faisant appel à la nanotechnologie étaient le métal qui recouvrait nos châssis métalliques, et le composé que j'utilisais pour prendre le contrôle des autres machines. Le reste tenait plus de la microchirurgie et de la microélectronique, pour créer les implants cérébraux indispensables pour contrôler et survivre dans un corps artificiel.
Le reste était plus effrayant encore. Ils voulaient être le "fer de lance" de l'humanité, et reconquérir la planète par la force, voilà qui me rappelait quelque chose de bien trop familier... Puis cette histoire de complexe caché, coupé des autres complexes, c'était exactement le scénario que la Citadelle avait vécu. Nous étions un centre caché et spécialisé dans un domaine scientifique précis, qui avait été coupé des autres centres pour des raisons inconnues. Notre évolution fut manifestement différente du complexe où avait été conçu Alpharius, mais... Je ne savais trop qu'en penser.
- Voilà qui est... perturbant, prononçai-je alors, l'air assez hésitante.
Sur de nombreux points... D'abord le complexe dédié à la nanotechnologie et coupé des autres centres auxquels il était relié... C'est exactement ce qui est arrivé à la Citadelle, qui à l'origine était elle aussi un laboratoire souterrain géant, caché du monde. Je ne dis pas qu'il y a un lien, mais c'est... intéressant. Il faudra que j'aille jeter un oeil à ce complexe, car s'il est du même type que celui de la Citadelle, je peux facilement relancer le générateur.Le fronçai alors les sourcils, cherchant comment formuler la suite sans qu'il ne le prenne mal.
- Vis-à-vis du fait de... réunifier l'humanité, par la force et la puissance armée... L'un des nôtres a voulu le faire. C'est finalement lui qui est devenu le fameux traître qui a détruit la ville. C'est donc un chemin dangereux... Et de toutes façons, vous l'avez dit vous-même, l'humanité a une sorte de "besoin" de prier je ne sais quelle entité, et s'il y a une leçon de l'histoire à retenir, c'est que la force ne permet pas toujours de changer les convictions. Rarement, même. Les gens feront semblant pour ne pas se faire tuer mais leurs idéaux resteront intacts... Je ne suis donc pas certaine que prendre Rome d'assaut soit la meilleure chose à faire pour mettre des bâtons dans les roues des dieux.Je soupirai alors lentement, puis m'attaquai au dessert, une sorte de gâteau au miel et aux amandes qui était sacrément bon.
- Non... ça se jouera sur le théâtre de la politique, malheureusement. Et je serais incapable de vous dire quelle sera notre place dans cette pièce de théâtre sinistre. Mais j'ai vu ces dieux, dans le désert, en personne. Je les ai véritablement aperçus. Réactivant les images sur la tablette, je repassai à Alpharius
la scène de mon arrivée, l'apparition de Minerve, de Pluton, le retour de Vesta, l'entrée étonnante de Neptune qui créait une rivière par sa seule volonté... J'étais de ces personnes qui pensaient que les images en disaient plus long que tout.
Il put d'ailleurs voir ce que je voyais. Les données qui défilaient, mon mode de vision qui changeait pour passer à l'infra-rouge et aux rayons X, le système de traduction qui me permettait de baragouiner en latin, l'analyse faite des "dieux" par mon ordinateur qui indiquait qu'ils étaient des humains normaux, puis la fontaine qui semblait être de l'eau parfaitement normale alors même que Vesta venait d'en sortir comme par magie.
- Je pense que ça en dit long. Ils sont trop puissants pour s'attaquer à eux de front par la force. Pour arriver à quelque chose, il faudra utiliser une méthode différente... Mais je repris subitement un air plus enjoué, répondant à sa déclaration précédente au sujet de ma personnalité.
- Quant à votre personnalité, je ne l'aime pas non plus ! lançai-je avec un air taquin.
J'aime bien, ça créé une tension très intéressante, conclus-je alors en finissant de manger la pâtisserie.