Les emplettes sur le marché ont été bouclé rapidement et dans un silence quasi-religieux. Il semble que mon nouveau propriétaire ne soit pas beaucoup plus bavard que moi, à moins qu'il ne souffrait simplement trop pour avoir envie de me parler. On fait rarement la discussion à quelqu'un que l'on prend pour une machine de toute façon, sauf si on éprouve un profond sentiment de solitude. Je ne sais pas encore si je dois me réjouir ou non de ma nouvelle situation. L'ancien consul a montré des qualités indéniables, mais les mauvaises expériences m'ont enseigné la méfiance. En tous cas je suis consciente d'avoir une dette envers lui pour m'avoir sauvé d'une nouvelle réinitialisation. Ce n'est pas pour autant que je dois endormir ma vigilance, bien au contraire. Aussi je me comporte exactement comme ce que l'on attend habituellement de moi. Je suis le prétendu maître de mon destin, j'obéis sans discuter et le reste du temps je me fais oublier.
Nous arrivons enfin à la forge dont il a parlé. Fidèle à sa description, elle est assez modeste. L'endroit est bien loin du palais dans lequel j'ai grandi et évolué presque toute ma vie. Dans mes autres foyers j'ai connu le confort comme le délabrement. De toute façon étant donné ma condition je ne peux pas me permettre d'être difficile et surtout j'aime bien vivre simplement. J'entre à sa suite et attends ses consignes en parcourant la pièce principale du regard. Il semble que ce soit là qu'il travaille bien que l'endroit soit dépouillé, la conséquence sans doute des vols qu'il a subi. Il a dit vouloir se débarrasser de cet atelier de toute façon. J'imagine qu'étant donné ses soucis lombaires, il doit être impossible pour lui de travailler désormais. Il a également abandonné son rôle de consul, je me demande alors ce qu'il compte faire à présent. Je ne peux évidemment pas me permettre de lui poser simplement la question.
Le moment est délicat pour moi, nous sommes seuls ici et généralement mes propriétaires masculins ne se contentent pas de m'acheter pour faire le ménage et la cuisine. Ils attendent une compagnie que je ne désire pas leur offrir. Je n'ai pas la liberté de me refuser à eux de toute façon. Je ne suis pas pressée pour autant de voir venir arriver le moment fatidique. Je contemple le géant d'ébène sans un mot, bien qu'il le cache je sais qu'il souffre beaucoup. La manœuvre est risquée pour moi, j'estime lui devoir tout de même après ce qu'il a fait plus tôt face au détestable marchand d'esclaves. Alors j'approche un peu et lève mes mains vers son visage. Mon expression est indéchiffrable comme toujours, un masque que je me suis forgée comme il avait lui l'habitude de plier les métaux.
« Ne vous en faites pas, vous ne sentirez rien à part l'apaisement de la douleur.
Je pose délicatement mes doigts de chaque côté de ses tempes, je me concentre un peu avant de délivrer mon pouvoir. D'infirmes décharges électriques qu'il ne peut pas percevoir courent le long de ses synapses jusqu'à l'hypophyse qui se met à sécréter une dose importante d'endorphine. Cette substance opioïde endort la souffrance, lui faisant éprouver rapidement un incontestable bien-être. Je laisse retomber mes mains doucement.
-Vous me direz si c'est suffisant, je ne sais pas à quel point vous avez mal.