Je sortis de veille au premier bruit de butoir. La porte vola en éclat devant mes yeux ébaillis. Que se passait-il ? Le garde protégeant habituellement la demeure semblait immobile et laissait entrer une troupe de soldats de Minerve, armes au poing et le bouclier brandit. Je ne bougeais pas d’un millimètre. Je savais fuir devant une dizaine de soldats, les arbres du viridarium me permettrait d’atteindre le sommet du muret d’enceinte et je pourrais rapidement crapahuter en ville, mais pour quelle destinée ? Vivre en ermite quelques heures, quelques jours, mais après ? Je me ferais rapidement arrêter. Autant risquer la réinitialisation immédiatement. Même si l'injustice triomphait à Rome, je ne pensais pas avoir commis le moindre acte répréhensible. Sans grande surprise un soldat me brailla dessus immédiatement.
-- Où se trouve l’usurpatrice ?
Je clignais des yeux, ne comprenant pas vraiment la question. Éliminant de fait Sibylla, je pensai à la cuisinière. J’imaginais mal le plot inactif de cet androïde, mais je désignai la cuisine. Il ouvrit la porte, mais son regard ne s’attarda même pas sur elle. Me serais-je trompé ?
Un coup de bouclier me projeta au sol et me fit comprendre qu’il ne parlait pas de la cuisinière mais de Sibylla. Du sang perlait de ma lèvre fendue. Mes automates de soin réparèrent immédiatement la blessure, mais je restai au sol, feignant l’impuissance jusqu’à ce qu’un nouvel ordre tombât.
-- Je parle de ta Domina, où est-elle ?
Je n’eus pas à répondre que Sibylla se présenta à la porte, vêtue d’une toge en soie. On la lui arracha, je me relevai d’un bond mais trois lances me firent comprendre que je n’avais à intervenir. Je ne bougeai plus et observai. Étrangement, Sibylla ne protestait pas et ne semblait même pas surprise de cette irruption. Les élections étaient-elles annulées ? Est-ce que Mettius prenaient le pouvoir par la force ? Je réfléchissais à toutes les éventualités politiques, mais je restai pentois à l’annonce de la condamnation.
-- Sibylla Servia, vous êtes en état d’arrestation pour tromperie sur votre nature androïde. Vos biens sont intégralement confisqués et retournent au domaine.
Quel choc ! Le soldat passa la main sur le poignet de Sibylla et en arracha les nombreux anneaux qui ne la quittaient jamais. Une couche de maquillage disparut et je découvris le code barre. Comment avait-elle réussi ce tour de force ? Je l’admirais et la plaignais sincèrement. J’imaginais déjà sa réinitialisation et sans aucun doute la mienne. Comme elle, je fus ferré et jeté dans une cage arrimée à des chevaux. Nous fûmes transférés jusque vers le tribunal. Je comprenais là la sentence imminente. L’information avait été portée à la connaissance de la foule, car de nombreux romains la conspuait et nous balançait des fruits pourris ou autres pierres. Le trajet me sembla durer une éternité. Et une fois au tribunal, je fus définitivement séparé de celle qui fut ma Domina.
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* *
Quelques heures plus tard, le juge se tenait devant moi. Il ne me regardait pas et ne prêtait pas plus d'attention à moi qu'à un vase. J’avais toujours mes chaînes me maintenant pieds et poings liés. Attendant la sentence, je ne prononçais pas le moindre mot et pensait à Lia. J’étais convaincu de la connaître et d’ici quelques secondes, je l’aurais oubliée. Pourtant la phrase du juge à son greffier me surprit et m'offrit une lueur d'espoir.
-- Il ignorait tout d’elle. Nous n’avons pas le temps de le réinitialiser. Les achats de Sibylla sont caduque, rendez-le à son ancien propriétaire, Spurius Aebutius. Faites de même avec les trois autres androïdes.
-- À vos ordres, votre Honneur !
Je faillis souffler de soulagement. Qui aurait prédit que je serais heureux de me rendre chez Spurius ? La réinitialisation m’était épargnée. J’avais encore le goût de cette potion de vérité en bouche. Et mes process peinait à éliminer ce substrat de ma gorge. La fièvre était retombée et apparemment, ils m’avaient cru quand j’avais affirmé ne rien savoir du statut de ma maîtresse. Elle avait dupé tout le monde, moi le premier. La potion était en un sens inutile. Mais qu'importe. J'étais sauf en un sens. Il ne me restait plus qu'à attendre un nouveau propriétaire. À nouveau le stress m'envahit. Malgré l'habitude de ne pas maîtriser mon destin, cette situation m'effrayait.
Et c’est ainsi que quelques minutes plus tard, on me ramenait chez lui, Spurius Aebutius. Tous les actes signés par Sibylla allait être annulés. Nul doute que cela provoquerait un tollé au sein du Sénat, que tout le monde allait en parler. Quel dommage ! Elle semblait pourtant si tolérante et soigneuse avec moi. Je la regrettais déjà. Endeuillé, je fus jeté dans une cage et ne prêtai pas attention au sourire sadique de Spurius. Je me retrouvais avec la cuisinière, le garde du corps de Sibylla. Tous les actes annulés, Spurius se retrouvait ainsi notre légitime propriétaire. Vu comme il se frottait les mains, nul doute qu’il n’avait jamais dû avoir à rembourser l’argent gagné dans ces transactions avec Sibylla.