par Diana le 04 Avril 2013, 19:01
L'homme m'invective déjà depuis de longues minutes. Face à sa rage et son mépris, je n'oppose que mon impassibilité. Je connais le caractère du marchand pour ne l'avoir que trop supporté. Ses mots rebondissent sur moi sans me toucher, je me moque de ses insultes autant que de la colère qui brille dans ses yeux. Je suis indifférente à son mécontentement, la seule chose qui me pèse est le sort qui m'attend. Je me tiens droite, mon regard ne se pose sur rien ni personne. Je voudrais être loin et je m'en veux d'avoir failli une nouvelle fois. Il n'est pas si facile de supporter sa condition, de se résigner sans jamais essayer de la contrarier. J'ai eu tort, je le reconnais.
Tout a commencé un peu plus tôt sur les étals. Je tenais bien mon rôle de gentille petite machine au milieu des autres. Mon esprit vagabondait vers le ciel. Le chant des oiseaux me faisaient oublier ma liberté volée. Par habitude, je tente de me placer derrière les autres. Moins on me remarque, plus j'ai de chances d'échapper à une nouvelle expérience de la servitude. La vie de marchandise n'a rien d'enviable, je la préfère tout de même à celle d'esclave bien qu'au final sur le papier elles sont égales. Quand je reste chez le détestable Spurius, je n'ai qu'à m'arranger pour ne pas être achetée. Toute la difficulté est que si je demeure trop longtemps invendue, il risque de vouloir se débarrasser de moi à bas prix ou pire encore de me vendre à un bordel. Mais comment deviner le sort qui m'attend, le maître qui se cache derrière un visage inconnu ? Je connais la maltraitance, j'ai appris le dégoût et la honte. Il n'est pire épreuve que celle de ne plus s'appartenir, être un objet entre les mains d'un autre pour assouvir les pires instincts du genre humain.
Les yeux d'un client se posent sur moi. Je sens naître son intérêt, son désir. Rapidement quelque chose me met mal à l'aise. Il s'approche, rien que sa proximité me devient insupportable. Il pose ses mains partout sur mon corps, ses doigts pervers prennent comme possession de moi déjà. L'homme me crache son haleine en plein visage. Je fais un effort impossible pour ne pas montrer mon dégoût, pour ne pas lui vomir en face tout ce que m'inspire les êtres comme lui. Son simple contact me salit et je devine ce qu'il adviendra de moi quand il m'aura acheté. Il n'est pas le premier de sa race qui croise ma route. Je n'ai pas la moindre envie de revivre une expérience similaire. Je tourne la tête et cherche Spurius du regard. Le marchand est occupé ailleurs alors j'en profite. Je lâche mon pouvoir, les décharges électriques presque imperceptibles pour lui parcourent mon être et se déversent en lui par le contact de ses doigts. Je bloque la sécrétion de son désir par l'endorphine. Puis je lui murmure :
« Tu devrais prendre un autre jouet, je m'assurerais que tu ne prennes aucun plaisir avec moi.
L'homme paraît décontenancé un instant. Le temps que je vois partir le geste il est trop tard. Son poing a heurté ma joue. Il me traite de tous les noms. Spurius apparaît, attiré par la scène. Bien vite l'autre lui raconte ce que j'ai fait. Voilà comment la rage est montée en lui. En peu de temps il me passait les fers aux poignets et aux chevilles, il ne décolérait plus, ne m'épargnant rien de la punition qu'il me réservait. Il me traîne hors de son négoce. Une pauvre hère a le malheur d'être sur sa route. Il la repousse violemment. Je vois la petite vieille en guenilles s’affaisser en arrière. Le cri de douleur qui s'échappe de ses lèvres me blesse plus que le coup de poing plus tôt. Je tire sur mes chaînes et me précipite vers elle. Très vite je pose mes mains sur ses tempes et lâche une nouvelle fois mon pouvoir. La douleur s'efface et elle me sourit, me remercie. Le marchand me tire violemment en arrière, me contraint à le suivre jusqu'au tribunal.
Je me sais impuissante face à mon destin, je suis donc résignée presque spectatrice de la scène. Spurius est un homme méprisable, il a le don de se faire des amis avec sa grande bouche et son tempérament exécrable. Le marchand s’embarrasse rarement de ceux qui veulent lui barrer la route. Je ne saisis pas pourquoi la jeune femme sortie de nulle part s'interpose. Pas un mot ne s'échappe de ses lèvres mais son regard est très expressif. J'y lis une colère différente de celle de mon bourreau. L'écriture lui sert visiblement à communiquer, de là où je me trouve je ne parviens pas à lire. Je reste donc dans l'incompréhension. En quoi le sort d'une « machine », d'une esclave peut-elle l' intéresser ? L'agitation attire un autre protagoniste, un géant à la peau d'ébène. Je les observe tour à tour, incrédule, dépassée. Une voix de femme retentit dans ma tête. L'ai-je rêvé ? Mon imagination me joue parfois des tours. Je sais comment tout cela va se finir, j'appartiens au marchand et lui seul a autorité sur mon devenir. Les autres quelque soient leurs motivations ou leurs intentions n'y pourront rien faire. Dura lex, sed lex.