[E5] La nuit tous les androïdes sont gris (Morticus)

[Diana]

Je penche la tête, fronçant légèrement les sourcils en entendant ses propos. J'ai du mal à comprendre son raisonnement. Cela vient probablement du fait de nos deux natures si différentes. La folie humaine existe évidemment, mais si les hommes qui rêvent sont des fous alors l'humanité entière est démente. Avec douceur, presque comme si je m'adressais à un enfant je reprends la parole.

- Je ne vois pas en quoi il est insensé d’espérer et de rêver à des jours meilleurs. Si on croit que l'avenir sera toujours aussi sombre et douloureux, qu'il n'y aura plus de joies ou de moments agréables à quoi bon avancer encore, tenir debout ? Autant lâcher prise et attendre la mort ou même en avancer le terme. L'être humain a besoin de ce moteur, le rêve, l'espoir, un but, le bonheur ou l'amour. Ce sont nos émotions qui nous poussent à continuer, à nous battre. Les rêves n'ont rien de destructeur, la passion par contre oui. Ils ne sont pas dangereux, ce n'est que ce que l'homme en fait qui peut l'être. Vous trouvez mon comportement destructeur ?

Je le fixe à nouveau dans le noir. Je me détache même un peu afin de mieux pouvoir sonder l'obscurité à la recherche de ses traits. Est-ce que je me suis si mal fait comprendre dans mes descriptions ? Ou bien est-ce son expérience qui le conduit à ce genre de conclusions tranchées ? Je l'ignore, en tous cas j'aimerais parvenir à lui faire comprendre les choses. Ressentir, cela me paraît compliqué. Je suppose que mon entreprise est vaine et que j'ai tort de m'entêter. Je lui réponds néanmoins une toute dernière fois sur ce sujet.

- Le passé fait de nous ce que nous sommes en partie. On ne peut pas y renoncer. Si vos souvenirs sont plus doux que les moments présents, quel mal y-a-t-il à vouloir s'y réfugier ? Pourquoi est-ce si ridicule à vos yeux de vouloir garder vivant les êtres que nous avons aimé puis perdu ? Cela ne signifie pas que nous n'avançons pas juste que nous refusons d'oublier. Suis-je à pleurer, me débattre encore contre ma condition ? Non je suis bien obligée de continuer. Quand on a tout perdu on se raccroche à notre mémoire, nos rêves et nos espoirs. Ils rendent la douleur moins grande, le gouffre moins menaçant. Ils nous aident à porter nos croix sans que leurs poids nous fassent sombrer. Je suppose que vous ne pouvez pas comprendre tout cela. Il faudrait que vous puissiez aimer quelqu'un, que vous ayez vécu quelque chose de vraiment beau...

Finalement je me sens un peu triste pour lui. Probablement que c'est un avantage de ne pas avoir connu tout cela pour vivre sans l'avoir perdu, de ne se soucier de rien d'autre que d'être un bon esclave. Mais je préfère avoir vécu, connu cette chance merveilleuse qui a été la mienne avant de vivre à jamais privée de tout ce qui faisait mon bonheur, plutôt que de ne jamais avoir été vivante ainsi. Je repense alors aux méditations poétiques d'un auteur célèbre que j'ai lu et relu encore.

- Vous connaissez Lamartine ? Il a vécu il y a de cela plus de mille ans, en France. C'était un poète et un dramaturge célèbre, un révolutionnaire également. Il a écrit de très jolis vers intitulés L’Homme qui je crois reflètent assez bien notre nature. Je pourrais vous les réciter intégralement mais ils sont fort longs bien que très édifiants. Il dit notamment : « Plus je sonde l'abîme, hélas ! plus je m'y perds. Ici-bas, la douleur à la douleur s'enchaîne. Le jour succède au jour, et la peine à la peine. Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, l'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux; soit que déshérité de son antique gloire, de ses destins perdus il garde la mémoire; soit que de ses désirs l'immense profondeur lui présage de loin sa future grandeur : imparfait ou déchu, l'homme est le grand mystère. Dans la prison des sens enchaîné sur la terre, esclave, il sent un cœur né pour la liberté; malheureux, il aspire à la félicité; il veut aimer toujours, ce qu'il aime est fragile ! »

[Morticus Aebutius]

La discussion allait bon train, même s'intensifiant avec le temps. Il avait un avis sur la chose, certainement qu'on lui avait programmé cela, mais qu'importe puisqu'il n'en avait pas conscience. Cela n'empêchait pas de présenter une certaine réflexion aux paroles qui s'amassaient dans sa tête au fur et à mesure qu'elle lui expliquait la chose. Il aurait pu s'agir d'une mère en compagnie de son enfant, prenant patience pour expliquer l'inexplicable, la vie tout simplement, mais prenant ce temps pour faire partir sa progéniture dans la bonne direction. Sauf qu'il n'était en rien la chaire de cette femme. Il écoutait donc silencieusement, presque religieusement ce qu'elle lui disait, comme pour emmagasiner un maximum d'informations pour lui même. Un androïde réfléchi, autonome et proche de la sensibilité humaine au niveau de leur compréhension était un plus et augmentait la valeur de la machine.

Pourtant, ce n'était pas pour autant qu'il en saisissait tous les tenants. Espérer ne pouvait qu'être insensé, les jours meilleurs venaient quand ils devaient venir tout simplement. Bien entendu que l'humanité entière avait un comportement destructeur puisqu'elle convoitait toujours plus, désirait toujours plus, pillant et détruisant pour pouvoir reconstruire à sa manière. De l'humanité était né le chaos, et du chaos furent inventés les androïdes, la solution, la clé de voute de l'Histoire. Il n'en avait pas conscience de la place qu'il pouvait prendre, mais n'était ce point ainsi ?

- Votre comportement est bel et bien destructeur, car il vous enferme dans un monde virtuel sans vous protéger du monde réel. Un peu comme un programme idéal sans protection face aux virus et autres dangerosités, mais laissant ouvertes toutes les portes, tous les accès, toutes issues sur le monde, sur les autres programmes défectueux. C'est foncièrement voué à l'échec, l'humanité est vouée à l'échec et la dernière guerre ne l'a t-elle point démontrée ?

Il leva le visage vers le ciel, comme s'il espérait sentir une caresse d'un vent frais sur son visage, puis reprit avec le même calme.

- N'est ce point pour cela que vous nous avez créés ? Pour pallier à cette folie destructrice ? Vos manques et regrets sont matérialisés en notre création, vos problèmes et désirs vous les avez robotisés. Nous sommes la preuve de votre imperfection, et c'est cela qui rend les hommes si fous en notre compagnie, si propice à la haine et la luxure pour oublier vos maux. Mais nous avons été créés pour cela, pour vous mener sur la voie qui vous était destinée à l'origine.

Il marqua une légère pause, il n'avait pas l'habitude de relever ce genre de discussion, alors il préférait attendre par moment, au cas où il irait trop loin, au cas où il devrait s'arrêter pour éviter de choquer plus encore.

- Parce que vous avez été créés dans un but bien précis, tout comme nous n'est ce pas ? Les Dieux ne se sont-ils pas réveillés pour cela ? La décadence humaine ne peut être laissée libre, il leur faut rester éveillés et vous contrôler pour que le monde puisse perdurer. N'est ce point pour leur porter un culte d'adoration que vous êtes ici ? L'Homme ne devrait pas s'attacher aux choses de ce monde, mais bel et bien à ce qui les a créés et envoyés ici. A l'image de nous autre androïdes nous sommes ici pour vous, vous êtes ici pour les Dieux. C'est je crois ce que l'Homme a oublié à force de libertés excessives. Et votre homme, Lamartine le démontre bien dans ses propos puisqu'il se prend lui même pour un Dieu déchu, oubliant par là même ses origines et son créateur. Il me semble que lorsqu'un androïde de mon espèce en vient à oublier de servir ses maitres, il se fait réinitialiser afin qu'il n'oublie en rien ses origines, c'est peut être ce qui manque à l'Homme.

Il esquissa un sourire, pour sûr qu'avec un discours comme ça, dans ses précédentes fonctions, il aurait été battu ou fouetté pendant un moment. De quel droit se permettait-il de livrer pareilles informations ? Et pourquoi les Dieux restaient si cléments envers leurs créations ? Tout était si flou, comme s'il y avait des zones d'ombres dans ce sujet un peu partout où il pouvait chercher des informations.

[Diana]

Décidément, je ne partage pas l'avis de cet androïde. A l'écouter parler je me tends un peu, mon côté sauvage reprend le dessus. Alors je fais deux pas en arrière et je me renferme sur moi-même. Je ne comprends même pas qu'il puisse avoir une telle vision des choses, qu'il se permette ainsi de juger et même de se croire meilleur. Je me ressaisis, pour ne pas sortir les griffes. Après quelques secondes murée dans mon silence, je lui réponds d'une voix calme et détachée, comme si j'étais déjà bien loin.

- Je n'ai jamais entendu autant d'inepties. L'Homme est imparfait certes, il a de nombreux défauts et son histoire est semée d'erreurs. Pourtant vous oubliez que nous sommes tous différents et vous êtes trop prompt à généraliser l'attitude de certains. Pour vous les fautes d'un être indiquent donc la nature de tous les autres ? Parce que certains humains tuent, se complaisent comme vous le dites dans la luxure ou on fait de ce monde ce qu'il est devenu nous sommes tous identiques ? Vous croyez que je suis une criminelle et que je me considère égale des Dieux ? Vous croyez que je ne peux pas demeurer près de vous sans vouloir absolument que vous me serviez ou abuser de vous ?

Je secoue la tête.

- Et vous croyez que les Dieux nous ont créé pour les vénérer ? Les animaux doivent aussi le faire ? Ils sont après tout leur création également... Et un enfant doit il aussi vénérer ses parents ? Il est né grâce à eux... Si tel était le cas les être divins ne vaudraient pas mieux que nous, car ne serait-ce pas là asservir l'homme comme nous le faisons des androïdes que nous avons conçu ?

Comme je voudrais être loin de tout cela à présent, loin de ces considérations futiles. J'ai horreur du jugement des autres, je suppose que c'est en partie pour cela que je me suis tenue éloigner de Rome et ses habitants.

- Il ne faut pas se contenter de regarder la surface, il faut savoir aussi voir avec d'autres yeux. Ce n'est pas parce que vous êtes une machine que vous êtes infaillible ou parfait. Le meilleur exemple c'est que vous ne parvenez même pas à comprendre la nature humaine. Je ne dis pas que l'Homme est parfait, ou même qu'il est bon. Je sais pour l'avoir vu comme il est capable de noirceur, de tromperie, de lâcheté. Mais pour que l'ombre existe il faut la lumière, il n'y a pas de mal sans bien, pas de tristesse sans joie. L'être humain est capable de faire de grandes choses, de bonnes choses. C'est triste que vous n'ayez pas connu encore ce côté de nous.

Je me tais finalement, cherchant les minces rayons qui parviennent du dehors. J'aimerais ne plus être enfermée. Je voudrais pouvoir m'échapper de ses murs et vivre loin de tout cela. Parfois j'aspire à une vie simple, un coin de nature pour y vivre à l'état sauvage. Cependant je dois m'acquitter de ma mission, c'est la raison pour laquelle je suis encore ici. Je préfère ne pas savoir ce que cet androïde pense de la vengeance. Cela non plus il ne pourra pas le comprendre. Pour savoir il faudrait qu'il ait vécu l'amour puis la perte, le bonheur et la douleur, la vie puis le néants.

[Morticus Aebutius]

Elle l'avait mal pris, comme il s'y attendait au fond de lui. Ce genre de propos il ne pouvait les tenir c'était un fait, et pourtant il se sentait à l'aise en sa présence, au point de déballer la conclusion de son existence, la conclusion de ces quelques années de service au près des hommes. Sa réaction était logique, normale même pour une humaine, mais Morticus tenait à se faire comprendre, il savait qu'il y avait de bonnes choses en l'humanité, mais il n'en avait pas vu énormément au final. Il écoutait ses paroles, ses justifications, ses explications, pour mieux comprendre, mieux appréhender la nature humaine. Cette discussion était à la fois intéressante et utile pour lui, mieux comprendre lui permettra de mieux servir ses prochains maitres à n'en pas douter. Il avait senti qu'elle s'était quelque peu éloignée de lui, comme si elle le considérait par ses propos comme un paria, ou un ennemi.

Il se tourna alors vers elle, apercevant enfin véritablement son physique, esquissant un léger sourire avant de lui répondre, peut être une dernière fois...

- Cela fait énormément de questions Domin... hum... Diana pardon. Je vais tâcher de vous répondre au mieux afin de vous faire comprendre mes propos.

Il se remémora son discours et chercha à pointer chacune de ses questions en mémoire pour y répondre les unes à la suite des autres.

- Les fautes d'un être évoque sa défaillance vis à vis de son espèce, seulement les humains sont menés par des humains qui eux même sont faillibles. La nature humaine est ainsi, mauvaise, ce n'est pas pour autant que tout être humain choisira cette voie de crime ou de débauche bien entendu. Mais vous êtes je pense la mieux placée pour savoir cela n'est ce pas ? L'humain a cette capacité de choisir la voie qu'il souhaite prendre, sauf que la définition du Bien et du Mal il se l'est approprié. Il va donc de soi que vous êtes tous différents à ce sujet, cela dit, cela n'empêche pas de garder les yeux ouverts sur ce qui fait la majeur partie de l'humanité. Si la majorité des individus agissent d'une façon au coeur d'une espèce, alors cette façon sera décrite comme normale et généralisée à cette espèce, pourtant il y aura toujours des êtres qui n'agiront pas de la sorte. Je dirais simplement Diana que vous êtes une des exceptions de ce monde. Je ne vous connais point, ainsi je ne peux porter de jugement sur vous, j'espère que vous ne prendrez pas mal ces explications qui ne vous sont pas destinées personnellement, mais bien généralisée.

Il s'arrêta un instant en la regardant, il sentait qu'il avait mis le doigt sur un point sensible, reconnaitre les erreurs de ses semblables était aisé à faire, mais devant une machine dénuée de conscience, cela pouvait sûrement apparaitre comme un jugement sans possibilité de défendre sa cause.

- De ce que j'ai compris des différents cultes, si les Dieux ont tout conçu, ils l'ont fait dans un but précis, l'Homme étant le pilier central. Les animaux servent l'homme de différentes manière, la survie, habillement, le passe temps, et j'en passe. Ils ne sont pas là pour vénérer qui que ce soit puisque dénué de conscience ou d'âmes me semble t-il. L'Homme a été créé dans ce but d'asseoir leur autorité sur cette Terre afin de rendre gloire à leur créateurs. Peut être tout bonnement pour ces Dieux, cela s'apparente à des épreuves qui font monter en puissance des groupes d'humains, afin de posséder les disciples les plus forts ou les plus évolués, un jeu de comparaison peut être entre les différents Dieux pour asseoir leur place et leur position où ils se trouvent ? Pour ce qui est des enfants, si vous partez du principe que la vie est d'origine divine, alors cette grâce que vous humains avez de pouvoir enfanter est un don que les Dieux vous ont offerts, il va donc de soi que l'enfant ne devra pas vouer un culte à ses parents, mais bel et bien à ceux qui ont créé la vie originale. Vous savez, je n'ai que peu d'informations à ce sujet, ainsi je ne fais qu'extrapoler ce que j'ai pu voir, entendre et comprendre au fil des années...

Il esquissa un sourire, comme un pardon de cette ignorance qui l'avait conduit à ces conclusions.

- La connaissance est bien ce qu'il me manque au sujet de vous autres êtres humains. Mais je suppose que c'est quelque chose qu'il n'est pas bon de connaitre lorsque nous sommes androïdes, car cela pourrait être pris pour dangereux. Si nous n'avons pas été programmés pour cela, c'est que vous comprendre ne vous intéressait pas, notre tâche étant de vous servir sans poser plus de questions que nécessaire.

Il haussa les épaules un bref instant avant de s'apercevoir que la nuit était en train de laisser place aux premières lueurs du jour... Bientôt le marchand sera présent ici, cette discussion et cette rencontre ne pourra que prendre fin à cet instant.

[Diana]

Je comprends finalement son raisonnement bien qu'il omette un peut trop à mon sens les bons côtés et les grandes choses dont l'humanité est capable. Concernant les dieux ce n'est en tous cas pas l'image que je me fais d'eux. J'ai du mal à imaginer que des êtres à ce point supérieurs puissent avoir besoin que nous les vénérions. Ce serait comme d'imaginer que la fourmi soudain se mette à vouer un culte aux Hommes. Puis s'il nous a vraiment créé pour répondre à ses attentes, suivre une voie réservée pour nous et lui rendre hommage alors il s'y est vraiment mal pris. Sa première erreur fut sans doute de lui accorder son libre arbitre, pourtant l'un des bien les plus précieux qu'on ait offert aux êtres humains. Je n'ai pas le cœur en tous cas à alimenter le débat à nouveau. Le jour approche et cette idée m’oppresse. Dans peu de temps le bourreau que l'on nomme ici marchand sera éveillé. S'en suivra le ballet des androïdes prenant place sur les étals. Ce sera ensuite le tour de la ronde des clients avec son lot d'angoisses et de désagréments. Ces hommes et femmes qui vous palpent comme si vous ne ressentiez rien. Moi je vis tout cela, je souffre, je supporte et je dois me taire. Chaque jour la tâche est plus difficile. Ce n'est que quand tombe le soir et que personne ne m'a choisi que je peux savourer cette minuscule victoire.

Je regarde à nouveau vers celui qui m'a un peu tenu compagnie. Je regrette mon léger emportement à présent. Nous sommes après tout deux galériens embarqués dans le même navire. Il a seulement la chance de moins être affecté par son sort que moi. C'est une chance que je lui envierais presque, presque oui. Je tiens trop à mon humanité. Je le distingue un peu mieux à présent que l'obscurité tombe doucement. Je lui adresse un sourire, ce sera le dernier. Après cela je vais reprendre mon air impassible, devenir en apparence la machine que l'on voit en moi.

- Je ne sais qui de vous ou de moi a raison. Cela n'a pas d'importance de toute façon. J'imagine qu'il n'y a pas qu'une seule bonne réponse aux grandes questions de l'univers. Je vous remercie en tous cas pour cet échange qui m'a redonné un peu de ce que l'on m'a pris même si ce fut pour un court moment. Puissent les dieux vous accorder un sort agréable en la personne d'un propriétaire aussi aimable et bon que possible. J'espère qu'un jour vous découvrirez ce qu'est rêver.

Une fois mes paroles prononcées, je me replace dans mon coin initial. Je profite de mes derniers instants de tranquillité. Qui sait quand viendront les prochains. Quand tombe le soir les maîtres et les bourreaux s'endorment. Même la guerre cesse puisque les assaillants ont besoin de repos. La nuit est le domaine de la paix, seuls quelques prédateurs rôdent encore parfois les plus redoutables. La nuit tous les androïdes sont gris mais cette fois c'est le jour qui se lève. Une longue journée...

[Morticus Aebutius]

Il est bientôt 5 heures,
Le soleil va venir.
Vous avez tous le cœur.
A aimer ou dormir.
Mais moi je reste seul.
Le jour se lève sur ma peine.

Bon ça va on a compris, le jour se lève... Cette discussion prenait fin au même moment que les premiers rayons du soleil venait lécher le visage des androïdes entassés par ici. Il ne fallait pas trop trainer, le "maitre", le "bourreau" pour d'autres, le "marchand" pour les Hommes, était du genre matinal. Les meilleures affaires se faisaient le plus souvent à des heures perdues, à l'abri de la grande foule, aux premières fraicheurs matinales. Morticus répondit au sourire offert si gentiment par un même sourire, il avait apprécié pouvoir discuter avec cette personne. Une humaine en ce lieu était presque introuvable, presque interdit même, et son histoire était peu banale. Ses propres semblables l'avaient conduite ici, l'avait réduite à un état amorphe à leurs yeux, sans âme et conscience, changeant sa destinée pour qu'elle n'ait plus d'autres choix que de servir ses semblables sans se plaindre, assumer les traitements qui ne devraient jamais être les siens sans se rebiffer.

Bientôt le gris disparaitra, les ombres diminueront pour laisser place à la lumière. Mais cette lumière ne signifiait pas vérité pour cette personne. Alors que lui attendait impatiemment son achat prochain, elle devait certainement maudire tout acheteur possible pour sa personne. Il avait du mal à comprendre tout ce qu'elle avait pu lui expliquer, mais au fond, il savait que sa place n'était pas ici, mais que pouvait elle y faire, seule contre tous ? Il inclina la tête en guise de respect, non plus comme une machine face à son maitre non, mais comme une reconnaissance, un remerciement pour ces instants, cette discussion passionnée autour de la conscience et du rôle de chacun sur cette Terre.. C'était la première qui avait pris le temps de l'écouter, ce qui ne laissait pas Morticus indifférent. Pour sûr qu'il se rappellera son visage et son nom, comme étant celle qui fut à l'origine de tout changement pour lui, si jamais changement il pouvait y avoir.

- La raison a t-elle encore sa place en ce lieu... ? Si c'était le cas, vous ne seriez pas la. Je vous remercie pour cet échange, je ne peux que vous souhaiter de tomber sur quelqu'un qui saura vous rendre la liberté que vous méritez, ainsi que réparer le tort que certains hommes ont pu vous faire en vous traitant de la sorte.

Ce n'étaient que des paroles, de toute façon, il ne pouvait rien faire d'autre, mais il en était ainsi, son destin devait passer par cette humiliation, peut être pour apprendre l'humilité, ou pour reconnaitre la vraie valeur de la vie. Qui sait, le jour où elle aura réglé ses peines et problèmes, elle portera peut être l'étendard du changement pour les traitements des androïdes. Tout allait revenir à la normale pour lui, pour elle c'était tout l'inverse... Ils reprirent tous deux leur place, visage impassible, attendant leur sort, prêt à passer une nouvelle journée offerts au regard de la foule, ainsi qu'à son bon vouloir.