[E5]Embrouilles et entailles.

[Aelia Matina]

Il avait fallu à la jolie soigneuse un moment pour réfléchir à sa réponse. Il est évident qu'on ne se confie pas comme ça à quelqu'un qu'on ne connait que depuis une demi heure tout au plus, qui plus est lorsque le quelqu'un en question est couvert de bosses et de bandages qu'on a pris la peine de faire dans un coin aussi miteux qu'inquiétant. Mais finalement, Alitheia avait décidé de donner une explication à sa patiente et avait ralenti le pas pour poser Aelia dans un coin et gribouiller sur son carnet.

« Lorsque c'est grave, la permission ou prévenir n'a plus son importance
Je fais mon travail, simplement.
Vous étiez encore consciente, et je voulais vous préparer à la douleur.
Sinon je n'aurais pas pris cette peine.
Certains me comprennent par signe, d'autres par regards.
Ceux qui parfois m'assistent savent comment je travaille.
Ce n'est en aucun cas un obstacle pour préserver la vie. »

Dans un sens, Aelia était un peu déçu. Pourquoi, elle ne le savait même pas. Mais dans un sens, la jeune femme était sûre qu'il y avait autre chose que son interlocutrice ne ne voulait pas lui dire, ce qui se comprenait. Ceci dit, en y réfléchissant, il était facile de constater à quel point Alitheia était douée dans son travail. Si la blonde avait entendu parler d'elle, c'était pour ses excellents résultats en matière de soins.
Cette fille avait un véritable don, pour seulement réussir à percer dans ce monde de requin où de telles professions sont rarement attribuées aux femmes. Alors se faire comprendre ou bien tout simplement qu'on lui permette de passer outre l'avis des autres, cela relevait tout simplement du talent pur et simple. Un bijou taillé dans du diamant brut.
Aelia voulait lui dire quelque chose, mais quoi? Elle avait l'étrange impression que tout ce qu'elle disait ne jouait pas en sa faveur, comme si chacun de ses mots étaient une attaque envers la jeune médecin. Sinon, pourquoi être aussi froide et distante? *D'accord on a pas élevé les poules ensemble, mais j'suis pas vraiment antipathique non plus... J'fais c'que j'peux avec c'que j'ai comme on dit...* Bref. Que dire que la femme médecin ne prendrait pas contre elle? Ouvrant la bouche, Aelia se ravisa et son visage se renfrogna. Puis elle plissa les yeux pour lire le reste de la note.

Non c'est bon, vous pouvez m'ramener chez moi si vous l'souhaitez. Par contre si vous devez nécessairement vous y arrêter pour écrire vos recommandations, on passera par les jardins, histoire que personne ne vous voit. Et j'vous promet de vous obéir à la lettre si ça vous rassure, après tout c'est vous l'médecin, mais personne d'autre ne doit être au courant de ça sinon...

Sinon elle finirait enfermée dans sa chambre jusqu'à la fin de ses jours, mariée à un centenaire hideux et idiot qui lui ferait une montagne de marmots et maltraiterait ses androïdes. Après avoir réinitialisé ceux qu'Aelia aurait réussi à libérer bien sur. Tout ça ne faisait pas un pli, si ses parents entendaient parler de ses escapades et ses règlements de compte, elle pourrait dire adieu à sa liberté et bonjour à la prison dorée.
Réprimant un frisson, Aelia se releva, trop vite, et la tête lui tourna. Quant à savoir si c'était à cause de la pâte bizarre ou des images qu'elle imaginait, c'était une autre histoire. S'accrochant au bras de son docteur, la jeune femme se redressa, effaça toute trace de perturbation sur son visage désormais lisse d'émotions, avant de tourner la tête vers Alitheia et dévier la conversation.

J'tenais à vous dire, vous m'impressionnez et c''est pas quelque chose de commun croyez moi. Mais vous êtes brillante ça se voit, vous avez bien réussi à sortir votre épingle du jeu, pas comme d'autres...

Les autres, qui ne faisaient rien d'autre qu'obéir sagement ou bien ceux qui comme Aelia agissaient dans l'ombre, de peur de voir leur travail réduit à néant et leur corps se balancer au bout d'une corde au gré du vent et sous les sourires ravis des consuls. Non vraiment, avoir le courage d'afficher qui elle est était une qualité d'Alitheia qui forçait la jeune femme au respect. Même si le simple fait qu'elle sauve des vies lui valait déjà ce respect si difficile à avoir, de même que le minimum d'égard pour les androïdes dont elle faisait preuve. Ce qu'Aelia avait déduit du fait qu'elle n'avait pas jeté l'enfant immédiatement après l'avoir conduit jusqu'à la blessée.

[Alitheia Leto]

[Aelia Matina]

En réponse à son compliment, Alitheia avait souri et esquissé un geste de la main. Alors la jeune femme baissa très légèrement sa garde et lui sourit en retour, chaleureusement, pour lui montrer qu'elle était heureuse que la femme médecin accepte son compliment et lui montre un peu de considération. Pas qu'Aelia recherche la considération à tout prix bien sur, elle n'était pas comme ça, mais que la soigneuse ait décidé de faire un tant soit peu tomber le masque était quelque chose qu'elle appréciait.
D'un autre côté, elle appréciait également la discrétion dont faisait preuve Alitheia. Certes le fait d'être muette y était pour quelque chose, mais rien ne l'empêchait de la questionner plus en profondeur ou bien d'insister pour voir quelqu'un pour parler de ce que la blessée devrait faire chez elle pour récupérer. Puis un détail se détacha dans la tête d'Aelia. D'accord, la jolie médecin était discrète et respectueuse de la vie privée des gens, mais il fallait avouer que communiquer via un carnet était en soit une explication suffisante au manque de dialogue entre les deux jeunes femmes.
Il n'était pas bien difficile de comprendre que le geste effectué de la main par la soigneuse était un remerciement, mais ne connaissant pas ce langage si particulier, elle ne pouvait pas l'affirmer à cent pour cent. Après tout, ce geste pouvait tout aussi bien signifier "Vous êtes une grande malade, je vais vous faire interner pour démence très précoce". Aussi, la blondinette se promit d'apprendre à parler avec ses mains pendant sa semaine de convalescence. De toute manière, elle n'aurait pas grand chose d'autre à faire pendant cette période et elle n'allait certainement pas se mettre à la peinture ou à la broderie.
Soudain, Aelia arrêta la petite promenade de santé jusqu'à ses appartements, pour la bonne raison qu'elles étaient arrivées non loin de là et que les jardins pour y accéder sans passer par les pièces principales de la demeure se trouvaient juste sur leur droite, après avoir passé un chemin caché par des arbres.

On est presque arrivées, on va passer par ce petit bois que vous voyez ici et on y sera en peu de temps. Une dizaine de minutes voire un peu plus vu notre allure.

Après s'être assurée qu'Alitheia avait repéré le bois et le chemin dont il était question, la jeune femme déplia sa cape à l'envers et l'épousseta avant de la mettre sur son dos. De cette manière, aucune des personnes qui ne la connaissait ne pourrait la reconnaitre. Le produit contenu dans la pâte commençait à perdre de son effet, car elle sentit la douleur dans ses côtes lorsqu'elle rabattit la large capuche sur sa tête. Capuche qui lui permettait de dissimuler la grimace qu'elle fit en cet instant.
Reprenant la route, Aelia écarta les premières branches pour laisser passer la jeune femme qui l'accompagnait et elles s'enfoncèrent dans le petit bois. Les douces effluves des plantes et des fleurs étaient divines, mais la fille Matina savait pertinemment que ce n'était rien en comparaison de ses propres jardins.
Elle avait mis longtemps à perfectionner son antre à l'aide des spécialistes les plus doués de la ville et elle en était particulièrement fière. Si fière qu'elle n'autorisait personne à y toucher, encore moins les habitants de la maison, de peur de voir son travail anéanti par les serviteurs de Vénus. Ces jardins étaient à la gloire de Minerve, de la tranquillité et de la simplicité. Même si la végétation était luxuriante, il n'y avait rien d'extravagant, seulement des odeurs complexes et délicieuses qu'Aelia avait hâte de retrouver. Même si cela voulait aussi dire partager son havre de paix avec une presque parfaite inconnue, même charmante.

[Alitheia Leto]

[Aelia Matina]

Une fois sorties du bois, Aelia ferma les yeux et respira à pleins poumons les odeurs qui venaient jusqu'à elle. Son jardin lui disait bonjour en quelque sorte, elle appréciait. La vue semblait également plaire à la jeune femme à ses côtés car elle faisait bien attention de ne pas écraser les fleurs et observait d'un œil intéressé quelques plants du jardin.
Ôtant quelques brindilles ici et là avec difficulté, la blondinette essaya de décrypter les signes que la muette lui faisait. Celle-ci avait du comprendre bien vite que cela était vain car elle sortit rapidement son carnet pour demander par où il fallait aller, avant de se remettre à écrire.
En attendant qu'elle termine, Aelia jeta un regard affectueux sur l'ensemble de son petit paradis pour déterminer quel chemin serait le plus pratique à emprunter. En temps normal, elle coupait au milieu, sautait par dessus les parterres de fleurs et enjambait les buissons mais elle savait très bien qu'elle ne pourrait pas le faire en cet instant précis. Ainsi donc, elles passeraient par le chemin de pierre créé pour l'occasion. Chemin qu'elle n'avait bizarrement jamais emprunté, sans vraiment savoir pourquoi.

« Je pense que pendant quelques jours, je viendrai vous voir,
pour m'assurer que vous alliez bien, que votre état n'empire pas.
Vos côtes ne pourront se réparer sur si vous ne sortez pas de chez vous
Que si vous ne quittez pas votre lit. C'est important. »

Bon... Puisque c'était les recommandations du médecin, va pour le repos forcé. Alitheia semblait craindre que l'état de santé de sa patiente n'empire, ce qui n'était pas pour rassurer cette dernière. Mais ce détail était probablement celui qui l'incitait le plus à écouter le médecin pour une fois. Ça, et le professionnalisme dont le-dit médecin faisait preuve.

D'accord, je ne quitterai pas ma chambre jusqu'à ce que vous me disiez que je le peux. Je n'tiens pas vraiment à me retrouver avec un poumon perforé ou toute autre complication dues à ma blessure. On va prendre ce petit chemin en ardoise que vous voyez là, il nous amènera jusqu'au bout. Venez.

Pointant l'endroit du doigt, Aelia se mit ensuite en route tout doucement, ses côtes lui faisant désormais un mal de chien. A petits pas, elle amena la jolie brune jusqu'à ses appartements. La place était déserte, comme d'habitude, puisque la jeune femme était seule pour le moment à résider à cet endroit.
Et comme à chaque fois qu'elle revenait chez elle, Aelia inclina légèrement la tête devant la statuette de Minerve qui reposait sur une colonne à côté de l'entrée, en guise de salutation à la déesse. Puis, elle poussa la porte, fit rentrer Alitheia dans un petit salon et referma derrière elles.

Merci beaucoup de m'avoir raccompagné jusqu'ici, vous avez du prendre sur votre temps, j'apprécie.

Après avoir fait un petit sourire à la muette, la jeune femme décrocha sa cape et la posa sur une chaise avant de s'asseoir et d'inviter d'un geste Alitheia à faire de même et à poser ses affaires sur la table en marbre noir. Se frottant les tempes, la maitresse des lieux attendit ensuite patiemment que la femme-médecin lui fasse ses recommandations et lui explique ce qu'elle devrait faire pour sa convalescence.

[Alitheia Leto]