par Isaac Vibius le 06 Avril 2013, 15:14
Plutôt mourir que de se souiller, oui la devise pourrait d'une certaine manière expliquer à elle seule sa propre attitude à l'instant. La blessure et la honte qu'elle a éprouvé lors de sa mésaventure avec Mettius ne sont certainement pas étrangers à l'histoire. Elle s'est jurée de ne plus revivre pareil outrage. L'effort lui a coûté pour que la raison reprenne le pas sur l'émotion. Et le colosse dans toute sa force le balaie d'un revers de sa main. En un instant il est debout, il se dévêt devant elle. Isaa s'empourpre en le voyant ainsi. Les mots lui manquent, la lutte reprend de plus belle. Tout est si précipité, inattendu qu'elle peine à réaliser ce qui lui arrive. L'esprit calcule, analyse, son réquisitoire est implacable. Mais le cœur lui se contente de battre et de vivre, il bondit comme s'il voulait sortir de sa propre poitrine pour rejoindre déjà celui d'Alpharius. Ce traître se rend avant même le combat, il est prêt à se livrer, se remettre entre les mains adverses. Ô cœur ingrat je te renie, songe-t-elle, tu n'es plus mien désormais !
L'homme s'agenouille devant elle. Le félon en son sein a un raté quand les grandes mains masculines saisissent les siennes qui semblent soudain toutes petites. Même dans cette position il a l'air si puissant, si massif. La romaine ne s'est jamais sentie aussi vulnérable et exposée qu'en cette seconde. Même lorsqu'elle était sur son épaule au bord du vide du haut des remparts un peu plus tôt, le danger ne lui était pas paru si grand. La jeune femme entend les mots et s'interdit malgré tout d'en percer le sens. Tout le monde ment. Le langage est sournois si souvent, galvaudé. Et qui est cruel en cet instant ? Qui pousse l'autre à baisser sa garde, ses défenses ? Qui doit offrir son cœur, le livrer au risque de voir les mains gigantesques le broyer aussi facilement qu'on froisse un parchemin ? Qui jusqu'ici n'a pourtant rien demandé ?
Sa raison lui dicte la réponse la plus sensée, la plus réfléchie à opposer à tout cela. Isaa est trop jeune, trop différente, trop raisonnable. Elle n'est pas faite pour l'amour, n'a pas passé des heures à se languir à la fenêtre dans l'attente d'un prétendant. Toute autre femme qu'elle-même aura tant et plus à offrir au centurion. Oui, voilà ce qu'elle devrait lui dire. Les sentiments sont trompeurs, la logique bien plus fiable. Ses lèvres s'entrouvrent pour énoncer leur sentence. Son regard accroche le sien et le monde sombre à nouveau, son monde ordonné, établi, réfléchi. Isaac Vibius vient de recevoir sa plus grande leçon : nul ne commande à l'amour. Tout soudain prend un sens nouveau, tout s'éclaire sous une lumière nouvelle. Elle sait au fond d'elle même, dans cette partie si secrète que nul encore n'a touché du doigt, oui elle sait qu'elle va ouvrir son cœur. Elle le désire ardemment, par les battements de ces organes qui palpitent sous ses paumes auxquels répondent le sien, par la lueur qu'elle lit dans les iris de cet homme dont ses propres prunelles se font l'exact miroir sous une nuance de couleur différente. Plus que tout elle le désire par la force soudaine qui grandit en elle.
- Je ne sais quoi vous répondre. Exprimer par des mots ce que je ne suis pas certaine de comprendre moi-même... Pourtant il crie, je suppose que j'ai juste peur de l'entendre. Vous n'avez qu'à l'écouter pour moi.
Et sa main si petite saisit l'une de celles d'Alpharius. L'autre reste posée sur son torse, semblant couver le précieux trésor qu'il vient de lui faire découvrir. Elle tremble toute entière, il doit le sentir. Avec une douceur infinie elle pose la main juste au dessus de sa poitrine un peu vers la gauche pour que son cœur lui délivre son message. Ses joues sont en feu, elle a conscience de ce qu'elle est en train de faire, de cet abandon déraisonnable. Sans doute que dans ses yeux il peut lire ses craintes. Car dans cet aveu silencieux se trouve aussi une supplique : « ne me blessez pas vous qui êtes si fort qu'un seul geste me briserait. »
- Je n'en ai qu'un et il ne m'appartient plus tout à fait à présent dirait-on. Il refuse de m'obéir, il se rebelle contre moi pour défendre votre cause. Il semble que vous ne soyez pas aussi malhabile que vous vouliez le prétendre.
Elle lui adresse un sourire timide, sans doute le premier de cette sorte qu'on ait jamais vu fleurir sur ses lèvres. Son cœur bat toujours à tout rompre.