Aquila n'avait pas fait grand-chose depuis son retour du grand désert. Si tous les soldats étaient heureux d'être de nouveau dans la cité, il n'en était pas forcément de même pour la prêtresse-guerrière de Minerve. Elle n'avait aucune attache à Rome. Aucune famille qui lui tienne à coeur, vers qui elle aurait aimé courir pour rejoindre les bras aimant. Non, rien de tout cela. Elle était loin de se plaindre de la solitude. Elle avait toujours vécue ainsi, sauvage et solitaire. Mais à choisir, si elle pouvait vivre dans le désert, loin de ce ramdam, elle le ferait.
Elle fit quand même l'effort de rejoindre les troupes pour fêter leur retour. Ce n'est pas qu'elle aimait ce genre d'événement, mais l'alcool qui coulait à flot, était une motivation suffisante. S'oublier dans la boisson lui arrivait souvent. Cela s'expliquait facilement. La jeune femme avait grandi au milieu des hommes et des combats. Dans son comportement, il y avait plus de masculinité que de féminité dans tout le temple de Vénus. Pourtant, cette guerrière pourrait faire tourner les têtes de bien des hommes, si elle s'en donnait la peine. Faudrait-il pour ça qu'elle oublie l'arrogance des hommes et leur façon de la traiter. Une femme dans l'armée est déjà difficile à accepter pour un homme, mais une prêtresse-guerrière, s'en était trop pour beaucoup.
Mais ce soir, le bilan n'était pas si macabre et elle décidait d'oublier tous ces affreux moment et de fêter la vie à défaut d'autre chose, au moins pour cette nuit. Peu de soldats étaient morts, comparé aux prévisions qui ne leur laissaient que peu de chance de survie. Sans l'intervention de sa déesse, il était presque certain que leurs corps seraient en train de pourrir au milieu du désert. Elle était fière de servir Minerve, aujourd'hui, encore plus qu'hier.
Quand elle entrait dans la taverne, quelques regards se posèrent sur elle, le temps qu'elle aille s'installer dans un coin, enfoncée dans l'ombre, loin des regards qui finiraient par oublier sa présence. Le spectacle était à la hauteur de la perversion romaine. Des courtisanes étaient présentes, se donnant en spectacle et aux plus offrant, ainsi que des cracheurs de feu et autres saltimbanques. Une serveuse passait aux côtés d'Aquila sans même la remarquer. Il lui suffit de tendre le bras pour l'arrêter. Elle se saisissait d'un gros pichet de vin et lui déposait quelques pièces. La serveuse aux longs cheveux roux et aux joues écarlates, lui tendit un verre et se retira vers d'autres tablées. Voilà, tout ce que demandait la prêtresse. Boire tranquillement et observer.
Une bagarre commença par éclater. Stoïque, la jeune femme ne bougea pas, même quand l'un des deux troublions s'écrasa sur sa table. Ronds comme des queux de pelles, le spectacle s'achevait aussi vite qu'il avait commencé avec un KO par rencontre avec une poêle tenue par une des courtisanes. Un sourire étira ses lèvres. Elle aimait quand les femmes maîtrisaient de la sorte. Leurs regards se croisèrent et la chaleur traversa le corps de la jolie brune. Elle n'avait pas eu d'homme ni de femme depuis longtemps. Dire que depuis son retour, elle n'avait pas pensé libérer cette tension dans sa nuque serait un mensonge.
Cela faisait un moment qu'elle se trouvait là. L'idée de rentrer lui traversait l'esprit alors qu'elle s'apprêtait à vider sa dernière coupe. Elle pensait à la famille Aquilius et plus particulièrement, au frère du préfet, Octavius. Il était le rare quelle eu envie de revoir. Elle lui avait laissé le temps de profiter du retour du frère prodigue et d'intégrer les nouvelles surprenantes qu'il avait à lui apprendre, avant de s'inviter. Elle ne savait pas comment il allait réagir et elle se surprit à avoir de la tristesse pour lui. Si apprendre qu'on est demi-dieu est un honneur, découvrir que vous n'êtes pas du sang de celui que vous considériez comme un père, est dramatique et déstabilisant. Aquila avait été à cette place quand elle n'était encore qu'une toute petite fille innocente. La famille n'avait pas survécu à cette épreuve et c'est le fruit de l'adultère qu'on avait exclu. La petite fille s'était retrouvée sans famille, sans amis, enrôlée au milieu d'une armée où on ne berce pas les enfants qui s'y trouvent. Le regard perdu dans ses pensées, elle s'apercevait soudain, qu'elle était en train de dévisager le centurion le plus admiré de Rome. Devant elle, se tenait Varro. Si un homme pouvait prétendre chambouler la guerrière, c'était bien lui. Conquérant, puissant, autoritaire, il avait tout ce qui l'attirait chez un homme. Croisant son regard à nouveau, elle leva son verre à sa santé. Elle ne lui avait pas dit à quel point cela avait été un honneur de combattre à ses côtés. Trop fière, elle ne se le permettrait jamais. Poussé par la foule, le centurion se retrouva assez près d'Aquila pour qu'elle puisse lui parler.
Vous ici ce soir ?
Elle avait dit la première chose qui lui était passé par la tête et s'en voulait déjà. Il avait sa place dans ce lieu comme tout autre.