Couchée dans le triclinium sur une banquette, en équilibre sur son bras gauche, je me demandais bien comment annoncer la nouvelle au Sénat. La veille j'avais rencontré cet étrange homme aveugle, dans les Jardins. Et je me demandais donc comment allais-je me dépatouiller de cette épine dans le pied. L'annoncer à Gracchus ne m'apporterait aucune renommée, il prendrait les lauriers de la victoire pour lui seul, je n'étais pas une figure emblématique du Sénat, restant encore de retrait, même si cette année je me rapprochais de plus en plus du centre de l'hémicycle. Je ne pouvais non plus ouvrir un débat bêtement, car le choix avait été accepté par l'homme en question et donc de débat, il ne pouvait y en avoir. Et si je passais par une personne tierce? Mais au dessus du Sénat, il n'y avait personne d'autre que le Prélat. Et pour parler au Prélat, il fallait être de son entourage. Un sourire passa sur mes lèvres, oui, mais ce n'était qu'en discutant avec lui qu'on approchait l'Elysée. Si jamais la nouvelle parvenait du Prélat, Gracchus comprendrait que j'avais entrevu le Prélat et donc, il me tiendrait surement en plus haute estime. Sans parler qu'une nouvelle officielle, ayant remonté jusqu'à l’Élite même de Rome, flatterait mon propre égo.
- Servius?
Je me relevais, finissant de m'asseoir alors que l'androïde s'approchait. Je lui demandais alors de se vêtir un peu mieux que cela et de se préparer, que nous sortions. Puis je me dirigeais vers ma chambre où je quittais mes vêtements du jour pour passer une toge d'un blanc parfait, ceint d'un liserer de fils rouges, symbole du Sénat. Ma chevelure finit attachée, seules quelques boucles tombaient dans mon dos. Comme à l'accoutumée, les bracelets d'or tintèrent à mes poignet, remontant presque jusqu'au coude. Je m'assurais que le tatouage était parfaitement invisible sous une couche de poudre à la couleur de ma peau. Avant de partir, je lançais un regard dans l'immense miroir. Oui, j'étais prête, un sourire éclaircit quelque peu mon visage, même s'il était partiellement narquois. Je me rendais là où l'autorité suprême régnait et pourtant, je n'étais qu'une androïde comme il y en avait des milliers asservis... Mais, moi, j'étais libre...
Je quittais ma chambre et me rendis dans l'atrium. Servius m'attendait déjà. Je lui jetais un rapide coup d'oeil, époussetais un peu son épaule et lissais le tissu. C'était mieux. Sans un mot de plus je sortis et pris la direction du Palais du Prélat. Sur Isola Sacra, il n'y avait pas loin à aller, mais j'aimais marcher, cela me permettait de me sentir encore plus libre. Plus je marchais, plus j'allais loin. Cela était comme une victoire sur les esclavagistes. En quelques minutes près de la voie centrale, se trouvait le Palais Aurelius. Absolument magnifique, je devais le reconnaître, les hauts cyprès berçaient le vent, les vignes embaumaient les sens et les murs rayonnaient sous le soleil. Oui, la Villa était comme ses propriétaires, auréolés d'une lumière qui semblait divine. Les gardes prétoriens, à la porte reconnurent la toge des Sénateurs, ainsi que l'anneau officiel du Sénat, et demandèrent simplement mon nom que je donnais, en la qualité de Sénatrice de Minerve. Un esclave nous escorta jusqu'à la porte principale, nous assurant que quelqu'un d'autre viendrait pour nous accueillirent. Il disparut bien vite et nous passâmes dans le vestibule. Un atrium gigantesque nous ouvrit les bras et au centre, une fontaine superbe chantait. En comparaison, mon domus paraissait bien petit, néanmoins, je le préférais largement à cette bâtisse sans âme. Une jeune femme s'approcha, esclave à sa tenue. Il me semblait l'avoir déjà vu. Je ne mis pas longtemps à m'en rappeler. Elle était la fille qui m'avait servi un verre d'eau, lors des résultats annuels, les festivités pour les Dieux. Je n'oubliais que rarement un visage, tous, étaient catalogués dans ma mémoire, afin que je ne me trompe jamais sur ma réelle nature. Peut-être n'était-elle pas bien haute dans la hiérarchie des esclaves, pour servir aux jeux, mais le dominus de la maison était réputé pour préférer les plus belles androïdes jusqu'à dans son lit. Alors, il se pouvait que cette esclave soit plus proche de lui. Peut-être pourrait-elle m'éviter d'attendre indéfiniment.
- Est-ce que ton maître peut me recevoir?