par Octavius le 08 Mars 2014, 02:11
Mon sourcil s'arqua malgré moi et mes joues s'empourprèrent davantage. Je n'aimais pas que l'on me détaille, que l'on me regarde, quelle que soit ma tenue, d'ailleurs. Maintes fois par le passé, je fus confronté au jugement des autres, un jugement blessant. Même si physiquement, j'étais beau, mon pouvoir poussait les autres à me fuir. On me croyait maudit. J'imagine que les blessures de mon enfance avaient conditionné ma vie adulte et ma personnalité. On préférait Caïus à moi et cela me convenait. Je n'accordais que peu de confiance à l'être humain. Les déceptions ne se comptaient plus sur mes dix doigts, les trahisons non plus. Ceux de mon espèce rejetaient la différence, ils excluaient de leur société les gens qui n'entraient pas dans le moule. En réalité, je leur étais redevable. En m'excluant de leur système, il m'avaient rendu libre d'agir comme je l'entendais, de penser comme je le souhaitais. Si quelques rares personnes gagnèrent ma confiance, je n'en demeurais pas moins solitaire, en retrait de la vie publique. Ce qui me préoccupait, aujourd'hui, s'abritait dans les écuries. Les chevaux représentaient toute ma vie. Pas de femme, pas d'enfant, juste des animaux, en qui je plaçais tout mon amour et toute ma confiance. Je leurs confiais volontiers ma vie et sans hésitation. Je pouvais vivre nu à leurx côtés sans me sentir mal à l'aise... mais dès qu'il y avait un homme ou une femme dans les parages, ma pudeur prenait le dessus. J'aurais voulu m'enfuir et me cacher autre part que d'affronter le regard de mon amie. Elle ne disait pas ça en pensant en mal, je la savais sincère. Cela me mettait encore plus mal à l'aise. D'un geste gêné, mes mains tirèrent légèrement sur mes vêtements plutôt amples, pour masquer ma carrure. Oui, je m'étais fait avec le travail de la terre, l'entretien des chevaux. Je n'avais clairement pas à me plaindre de ma musculature, robuste, solide, presque taillée par les Dieux dans le marbres, m'avait-on dit une fois, en me surprenant torse nu sur mon domaine... Je me massais la nuque en baissant les yeux et je lui répondis, étouffé par la propre chaleur qui m'envahissait :
- Je n'ai rien d'exceptionnel, d'autres s'entraînent à l'épée comme Caïus pour un résultat bien meilleur. Les femmes se moquent des menus détails physiques me concernant... Qui pourrais-je intéresser ? Je vais envisager de faire forger des serrures pour m'éviter les intrusions intempestives... Je ne sais pas si tu t'imagines qu'elle m'a vu... tu sais... dans le plus simple appareil... J'en suis encore gêné quand je la croise. Je ne veux pas ressentir ça avec toi, Camila, même pour rire.
Elle comprendrait aisément que je ne sois pas du tout familier de l'exhibitionnisme, même si c'était plutôt rare à Rome. Les hommes s'affichaient souvent avec des parties du corps dénudées, pour pouvoir bomber le torse et tenter de séduire. Deux philosophies de vie qui me dépassaient, je l'avoue. Content de passer à un autre sujet et d'échapper à son regard, je me levai de mon siège pour aller chercher le fromage et les fruits. Avant de m'éclipser dans ma réserve, je lui dis, bien décidé à enterrer le sujet si gênant dont on venait de parler.
- Quelques kilos supplémentaires t'iraient comme un gant. Les épreuves qui t'attendent sont rudes et tu les auras vite perdus. Et puis, je te trouve un peu fatiguée, soucieuse... rien de tel que du fromage et des fruits pour redonner de la vitalité !
Je m'éclipsai dans la pièce voisine. Une fois seul, j'en profitai pour essuyer la sueur de mon front d'un revers de manche... Je sais que le danger n'est pas écarté. Elle va sans doute ressortir le sujet pour m'encourager à trouver une femme, peut-être à fonder une famille. Au fond, je savais qu'elle aurait raison, qu'il était temps que j'y réfléchisse parce que les années passaient et que la vie était courte. Mais je ne voulais pas y penser. Je n'avais pas le courage de séduire, d'approcher une demoiselle pour la conquérir. Je ne me sentais pas capable de plaire, de ne pas provoquer le rejet, surtout avec mon pouvoir. Et puis, je ne voulais pas renoncer à mon travail, à mes chevaux, à mes bovins. Je travaillais la terre, le fumier pour le revendre. Ici, l'odeur de crottin au matin restait quotidienne, les bêtes dégageaient un fumet pas toujours agréable pour les habitués de la ville et des rues propres. Je ne faisais pas un métier attirant, je ne suscitais pas le rêve qu'une femme peut avoir en pensant à son mari. J'ouvris mon garde manger, un endroit frais, qui me provoqua un frisson sur le bras. Je me saisis du fromage et d'une coupe que je remplis de fruits : du raisin, des fruits rouges, des oranges, des pommes et des figues. Je voulais qu'elle ait le choix. Elle était mon invitée et mon amie, pour elle, je ferais beaucoup de choses. Chargé de ces victuailles, je marchai prudemment pour la rejoindre sans rien renverser. J'avais l'habitude, je demeurais habile, en tout cas, vigilant. Je posai les mets sur la table, avec un sourire léger mais sincère :
- J'ai tâché de faire en sorte que tu puisses choisir et te régaler. Les mûres sont exquises, les oranges juteuses. Sers-toi comme tu le souhaites ! Mais avant, je dois absolument te faire goûter ce fromage !
Je pris un couteau propre et lui coupai un bon morceau. Et tandis que je me servis à mon tour et je lui donnai un bon morceau de pain, j'ajoutai, curieux, malgré la façade que j'affichais depuis le début :
- Est-ce que... Caïus allait bien ? Je veux dire... la dernière fois que tu l'as vu ? Je n'ai pas eu de ses nouvelles, je ne l'ai pas revu depuis un bon moment. La dernière fois, c'était avant que... Valentina n'expire...
Mon regard se perdit dans le vide. En repensant à l'horreur de ce meurtre, mon visage se figea et s'emplit de tristesse. J'avais perdu une amie, ma belle-soeur et mon futur neveu... Je pus retenir mes mots, plein de tristesse...
- Je n'arrive pas à croire qu'elle ne soit plus là... elle... elle était l'une des rares personnes à venir me voir, à ne pas être dérangée par ma présence. Je prie tous les jours pour que son âme trouve le repos éternel, pour que Caïus trouve la force de ne pas céder à la folie... mais j'ai l'impression que mes prières restent lettres mortes... Et si j'avais offensé Neptune ? Si tout cela était ma faute ? Il ne m'a pas reconnu, contrairement à Caïus...