- Vous m'avez l'air énervée... et vous avez donc décidé que je serais Kohrienne et là pour envahir Rome ? demandai-je avec un air incrédule, avant de continuer.
La raison veut décider ce qui est juste; la colère veut qu'on trouve juste ce qu'elle a décidé. Vous devriez le savoir, c'est Sénèque qui disait cela. Un sage, Romain qui plus est. Soupirant, je réalisai qu'il faudrait probablement un brin de contexte à mes compagnons d'infortune. Je ne comptais au départ pas le faire, parce que ce serait long, mais il n'y avait rien d'autre à faire. Je savais que si après cela cette femme restait hostile et sauvage, c'est qu'il n'y avait rien que je puisse dire ou faire qui changerait son avis. Dommage... Mais dans une civilisation aussi peu avancée, c'était à attendre. Mon explication serait sûrement une perte de temps ; je doutais fort que quiconque en tienne le moindre compte, vu les remarques d'Aquila.
- Par ailleurs, ce qui alimente la guerre c'est l'ignorance. Vous ignorez tout de l'histoire de la Citadelle, et afin d'éviter des luttes inutiles, je pense qu'il est important de combler cela. Après, ce sera à vous de voir. Si vous ne changez pas d'avis après cela c'est que vous ne changerez jamais d'avis, il serait donc une perte de temps de tenter de vous convaincre plus. Je commençai donc ma narration.
- Il y a longtemps de cela, nous sommes tous devenus stériles. Nous avions beau avoir une science avancée, il était impossible de trouver une solution et au fil des années, nous risquions de nous éteindre. Nous étions 317.000 et en peu de temps, nous n'étions plus que 31.000. Voyant qu'on ne trouverait pas la solution à temps, j'ai donc décidé de créer un moyen artificiel de survivre, en attendant que l'on arrive à comprendre. Des corps artificiels, mécaniques, faits de métal. Voyez-vous, vous devez croire à l'âme... Hé bien, l'endroit où se trouve l'âme, c'est le cerveau. Dans votre cerveau il y a... toute votre personnalité, votre mémoire, vos souvenirs, vos rêves, mais votre cerveau vous donne aussi la capacité de voir, sentir, bouger. Nous avons donc placé les cerveaux de tous les survivants dans des corps de métal, qui pourraient survivre pendant plusieurs siècles. Cela nous permettrait de gagner du temps pour guérir cette stérilité.Pour illustrer mes propos, je retirai le métal extérieur de mon avant-bras droit, laissant voir les plaques aux couleurs chromées. Après une brève pause, je repris. Difficile de faire synthétique...
- Mais plus le temps passait plus nous réalisions qu'on ne trouverait pas. Après 200 ans, nous avons donc décidé de faire autrement. Le problème devait venir de la planète Terre elle-même, nous avons donc créé le Projet Pentagone. Voyez-vous... La terre n'est qu'un pitoyable grain de poussière misérable qui erre dans un univers plus immense que ce que n'importe quel humain peut imaginer. Il y a d'autres endroits où vivre, d'autres planètes. Notre objectif était donc de quitter la Terre pour rejoindre une autre de ces planètes où il est possible de vivre. Mais l'univers est vaste, extrêmement dangereux, sans pitié. Si vous mourez, personne ne vous entendra, personne ne vous retrouvera, vous deviendrez un corps congelé et sans vie errant dans le vide pour l'éternité. De fait, aller sur une autre planète lointaine demandait de la préparation, de la réflexion, beaucoup de recherches scientifiques très complexes. Beaucoup de temps. Nous estimions qu'il nous faudrait environ 400 à 450 ans pour être prêts et quitter la Terre.Je fis alors apparaître une nouvelle image, celle d'un homme aux cheveux bruns et à l'air sévère.
- C'est avec lui que les ennuis commencèrent, l'un des nôtres, nommé Kohren. Il était impatient... Lorsque nous avons transféré son cerveau dans un corps artificiel, il avait déjà plus de 160 ans, il était vieux, âgé, et il aurait dû mourir moins de 5 ans après. Il était parfois paranoïaque, parfois confus, avait souvent peur de beaucoup de choses... Ce n'était pas entièrement sa faute. Mais il était impatient, aussi. Pour lui, fuir la Terre n'était pas la solution. Pour lui, nous devions créer des armes, pour conquérir le reste de la planète. Forcer les survivants à nous suivre, ou les tuer. Bien évidemment, pour nous c'était aussi honteux que scandaleux : nous n'avions jamais utilisé d'arme, en plus de 4 siècles. Pour repousser les ours sauvages, nous utilisions une sorte de sifflet spécial qui leur fait peur... Donc même pour chasser nous n'avions pas d'armes. Du coup nous lui avons dit "non" et l'avons envoyé se faire voir.Laissant l'image un instant, je la fis ensuite disparaître pour continuer.
- Mais Kohren devint de plus en plus insistant, et même dangereux. Il agressa plusieurs personnes qui n'étaient pas d'accord avec lui, et faillit même en tuer plusieurs. La coupe fut remplie quand il tenta de violer une femme. A l'unanimité, tous les 30.524 habitants de la Citadelle décidèrent de le bannir. C'était en fait une condamnation à mort, car seul, il aurait pu survivre... Peut-être 10, 12 ans maximum. Puis après, nous avons repris nos recherches, tranquillement, pendant plus de 110 ans.J'eus un petit sourire en repensant à ces années plutôt tranquilles. Il ne se passait rien d'intéressant, mais dans un sens on avait la paix.
- Mais un jour, un petit groupe d'explorateurs croisa des humains. Des survivants ! Pour nous, c'était une nouvelle fantastique, nous étions prêts à les accueillir et les nourrir... Mais alors qu'ils s'approchaient, nous avons remarqué qu'ils étaient lourdement armés. Ils ont ouvert le feu sur les explorateurs, et en ont tué quatre, avant d'ensuite se diriger vers la Citadelle... Autant dire que la défense fut compliquée. Nos corps mécaniques étaient assez fragiles, comme vos androïdes, et vu que nous n'avions pas d'armes nous avons dû nous défendre avec des bouts de métal et des gourdins en bois. Ce n'était pas joli. Avant de mourir, le dernier des assaillants a dit que "ses frères Kohriens allaient le venger".Je pris un air assez préoccupé, me rappelant alors de l'effet qu'avaient eu ces mots.
- Vu le nom, "Kohriens", nous avons vite déduit d'où ces types sortaient. Kohren avait dû les trouver, et avant de mourir, les convaincre que nous étions le mal, que nous détruire les rendrait puissants, ou je ne sais pas quoi. Il fallait donc qu'on leur envoie quelqu'un pour les convaincre du fait que Kohren était un vieux cinglé... Nous avons donc trouvé un de leurs campements. Ils étaient des milliers. Ces personnes, voyez-vous, n'étaient pas humaines en fait. Ils étaient terriblement déformés, anormalement forts, mais plutôt petits pourtant. Mais surtout ils n'étaient pas stériles. En fait, une femme pouvait porter jusqu'à 14 enfants en une fois, et elle ne les portait que pendant 2 mois. Ces enfants devenaient adultes et prêts à se battre en moins de 8 ans.J'illustrai mes propos en montrant une
image d'un Kohrien, muni d'une arme.
- Ce camp, contenant des milliers de Kohriens, était un petit camp mineur. Ils étaient bien plus nombreux... Et ils refusaient de parler : ils nous ont tiré dessus à vue. De fait, quand les négociateurs sont rentrés, tout le monde était préoccupés. Beaucoup de personnes ont demandé à ce que l'on créé des armes... Evidemment j'ai refusé obstinément, mais le fait était que la majorité était en faveur de la création d'armes pour se défendre. Nous avons donc conçu des lances de choc, l'ancêtre de la lance que j'ai ici. Elle projetait une boule extrêmement chaude qui, en touchant la cible, libérait cette chaleur. Le point d'impact était légèrement brûlé, et le "coup de chaud" autour de la cible la faisait en général s'évanouir. C'était une arme non-létale, il était difficile de tuer quelqu'un avec ça. On a donc pu se défendre avec pendant quelques années, alors qu'ils continuaient de nous attaquer.L'image du Kohrien disparut, laissant place à celle d'une armée de véhicules.
- Mais ils ont vite compris qu'on ne pouvait pas les tuer. Ils ont donc continué, inlassablement. Déjà, nous avions plus de 1200 morts... Pour régler le problème, un groupe de chercheurs ont donc créé les plans d'une arme, nommée "Marteau de Thor" en l'honneur d'un vieux mythe nordique. Dans le mythe, ce "Marteau" serait capable de tuer un géant d'un seul coup. Ici, il s'agissait d'une machine à envoyer dans l'espace. Depuis l'espace, elle pouvait raser une région de 200 kilomètres en brûlant tout d'un coup...Pour illustrer cela, je montrai un dessin montrant
une ville carbonisée.
- Selon eux, le Marteau de Thor aurait cet effet. Autant dire que moi et de nombreux de ceux me suivant étaient horrifiés à l'idée de lancer ce genre d'armes... Nous avons donc refusé net, et trouvé un accord. De leur côté, ils ne lançaient pas le Marteau de Thor. Du mien, en dépit de ma réticence à créer de l'armement, j'acceptais de les aider à créer des corps de combat pour nous défendre. Mais évidemment... Plus le temps passait, plus les Kohriens attaquaient, et plus les gens voulaient lancer le Marteau de Thor. J'ai donc dû, au fur et à mesure, aider à créer des machines de combat de plus en plus efficaces.J'affichai de nouveau l'écran, préparant plusieurs images à leur dévoiler.
- D'abord des corps de combat légers, commençai-je en montrant
une image,
puis plus lourds, continuai-je en en montrant
une autre,
puis plus lourds encore,
une autre image,
et encore plus puissants,
et encore une autre,
puis des modèles immenses, encore une image montrant une machine de 15m de haut,
et finalement les modèles "Titan", conclus-je en montrant une
image de la citadelle, et ses deux gardiens de métal.
Sauf que ça ne servait à rien. Les Kohriens continuaient, toujours plus nombreux.Je soupira longuement, avant d'arriver aux événements récents.
- Et il y a trois jours, ils ont lancé un immense assaut. Ils étaient des millions. Nous tenions évidemment sans aucun problème, car même s'ils étaient 10.000 fois plus nombreux, nous avions des outils de défense bien plus avancés... Nos corps de combat étaient conçus pour lutter à 1 contre 1.000, et gagner sans une égratignure. Mais voilà. Kohren n'était pas mort.Je laissai un bref silence suite à cette affirmation, avant d'expliquer :
- Il aurait dû mourir, sans notre aide, mais... Il avait trouvé un moyen. Il s'était fait passer pour un Dieu. Par rapport aux Kohriens primitifs, il avait l'air tout-puissant, et invulnérable. Ils se sont donc mis à le vénérer, et il put les manipuler en utilisant cette adoration qu'ils avaient pour lui. Vous vous souvenez de ce que je disais sur le cerveau ? Hé bien, au lieu de mettre le sien dans un corps mécanique, il vidait le crâne de ses fidèles pour placer son propre cerveau à la place. En faisant ça tous les 4 ou 5 ans il s'assurait de pouvoir survivre. En somme, il les vidait de leur âme et volait leur corps. Et vu que Kohren connaissait nos technologies, il savait aussi comment les contourner.J'arrivai, enfin, au bout de cette histoire.
- Il a donc réussi à faire pénétrer plus de 10 millions de Kohriens enragés dans la Citadelle elle-même. Nous aurions pu les repousser, ça aurait été long, difficile, nous aurions eu des morts et des dégâts... Mais l'un des nôtres a eu peur, et la peur est toujours mauvaise conseillère. De peur, au lieu de se battre avec nous, il a décidé à la place de faire exploser toute la Citadelle. C'est complexe à faire mais c'est possible. Vous avez peut-être senti l'explosion d'ici d'ailleurs... A l'heure actuelle l'emplacement où se trouvait la Citadelle doit être un immense lac de lave ardente, entourée de terres noircies par les flammes. On suppose que Kohren et la majorité des Kohriens sont morts dans l'explosion, vu que son rayon doit approcher les 80 kilomètres... Mais sans certitude. Pour ma part j'ai eu le temps de m'échapper, mais je n'ai pas de moyen de contacter d'éventuels survivants. J'ignore combien de personnes ont eu le temps de fuir, je ne le saurai peut-être jamais.Je finis par me relever, affichant un sourire en coin, même si j'avais en fait surtout l'air dépitée.
- Ironique. J'ai refusé d'utiliser une arme pouvant tout détruire sur 100 kilomètres de rayon sur notre ennemi. Du coup, nous avons été détruits, ainsi que tout sur 100 kilomètres de rayon. Bref... Je ne suis pas une éclaireuse. Au mieux on pourrait me considérer comme une réfugiée. Et j'ai faim.Observant tous les présents un par un, je conclus :
- Comme je l'ai dit je suis dans un corps conçu pour faire du 1 contre 1.000, pourtant je n'ai pas cherché à tuer qui que ce soit. Mais honnêtement, attaquer Rome, qu'aurais-je à y gagner ? Je suis une pragmatique, je me fiche de la gloire ou de la conquête, c'est pour les débiles ça. Et comme vous avez dû le voir, j'aime bien parler, alors si j'éliminais tout le monde, ce serait contre-productif. Quel que soit l'angle sous lequel vous regardez les choses, il n'existe aucune raison logique qui me pousserait à vouloir vous attaquer. A vous de voir, maintenant. Je gardai ensuite le regard sur Aquila, une bonne dizaine de seconde, avant de passer aux autres. Je me demandais bien ce qu'ils allaient pouvoir dire... Je venais probablement de perdre mon temps, mais bon j'aimais bien m'écouter parler, donc quelque part le bilan n'était pas si négatif.
(désolée pour le mégapavé ^^' face à l'agressivité d'Aquila, et Katla étant plus une diplomate qu'une combattante, elle n'a trouvé d'autre solution que d'expliquer ce qu'il s'est passé. Si c'est trop long je peux delete et on considère qu'elle n'a jamais répondu tant pis !)