"Papa, tu ne vas pas mourir n'est-ce pas ?"
Je ne pouvais que sourire au visage enfantin qui me regardait avec inquiétude. Je ne voulais pas qu'elle s'inquiète pour moi. Elle savait que j'allais devenir gladiateur et malgré son jeune âge, elle savait que c'était dangereux. Mais je ne voulais pas qu'elle se fasse du soucis. Elle n'avait pas besoin de ça. Je lui souriais. J'essayais d'être le plus rassurant possible. Je m’asseyais sur son lit et caressais ses cheveux. Elle avait la même chevelure que sa mère. Des cheveux châtains qui bouclaient autour de son visage de petite fille innocente. Elle avait déjà tant souffert. Les dieux devaient me tenir rigueur pour une faute qui m'était inconnue. Il faudrait un jour que j'aille au temple pour leur demander. Mais quand j'y allais c'était pour les prier. Je ne voulais pas qu'ils s'en prennent davantage à elle.
"Ne t'inquiètes pas ma chérie. Ce n'est que pour le spectacle. C'est un combat pour de faux. Je ne risque rien."
Je ne voulais vraiment pas qu'elle s'inquiète. Elle n'avait déjà pas une vie d'enfant normale. Inutile qu'elle s'angoisse à tort.
"Tante Phaedra viendra s'occuper de toi quand je serais absent. Tu l'aimes bien n'est-ce pas ?"
Le visage de ma fille s'éclaira. Andromaque hocha vigoureusement sa petite tête aux grands yeux. La maladie se lisait sur ses traits. Des yeux qui paraissaient immenses dans son visage émacié. Elle était chétive pour ses cinq ans. Elle en paraissait seulement trois. C'était si injuste.
"Oui ! J'aime beaucoup tata Phaedra. Elle est toujours gentille avec moi. Elle me ramène des bonbons. Mais j'aimais bien aussi quand tata Lia était là. Pourquoi elle n'est plus là ? Elle m'aime plus ?"
La question que je détestais. Bien sûr que Lia l'aimait et si je ne l'avais pas vendu, elle s'occuperait toujours de sa nièce. Je savais qu'elle y tenait profondément, presque comme si c'était sa fille. Je n'avais rien dit à ma fille concernant sa vente. Je ne pouvais lui avouer ma trahison envers sa tante bien aimée.
"Ta tante t'aime. Elle avait juste envie de vivre un peu sa vie. Ne t'inquiètes pas, elle viendra te voir bientôt."
Andromaque croisa les bras sur son torse avec une mine boudeuse.
"Tu dis toujours ça. Mais elle ait pas revenue depuis longtemps longtemps. Je veux la voir. Elle me manque. S'il te plait, dis-lui de venir me voir."
La voilà suppliante, les larmes au bord de ses si grands yeux. Je faisais un signe positif de la tête. Je ne pouvais guère faire plus.
"D'accord. J'irais la voir et lui demanderais de venir, ça te va ?"
Le sourire revint s'afficher sur ses traits d'enfant. Elle tappa plusieurs fois dans ses menottes.
"Ouiiiiiiiiiiiiiiiiii. Tu promets hein ? Sur la tête à maman ?"
"Oui, je promets."
Et me voilà coincé. Je n'avais plus le choix. J'allais devoir affronter ma sœur. Je l'avais éviter depuis presque un an. Mais je ne pouvais pas continuer. Ma fille voulait voir sa tante. Je n'avais pas le droit de l'en priver. J'assumerai la colère et la rancœur que devait éprouver Lia vis à vis de moi. Pour ma fille j'étais prêt à tout même à jouer les serpillères s'il fallait. Mon honneur je m'en foutais totalement. Ma fille c'était ma vie. Elle méritait tous les sacrifices de ma part même les plus extrêmes si cela la soignait ou même lui rendait son sourire.
"Maintenant, il est grand temps de dormir ma puce."
Andromaque s'allongea sagement, rassurée par mes paroles. Il en fallait peu aux enfants, en tout cas à la mienne, pour retrouver leur sérénité. Je la bordais et lui donnais un baiser sur le front.
"Dors bien ma belle. Demain, on doit aller au temple pour tes soins. La journée sera dure. Bonne nuit. Je t'aime."
"Nuinuit papa. Je t'aime aussi très très fort."
Ses paupières se fermèrent. Un dernier baiser et elle était déjà partie au pays des rêves. Là où elle n'était pas malade et où elle était libre d'être une enfant comme les autres. Je passais ma main sur sa tête en une douce caresse. Je me levais et sortais de ma maison. Le soleil se couchait. J'allais m'asseoir sur la chaise que je laissais dans la cour. Tous les soirs ou presque je prenais quelques minutes pour me poser et réfléchir. Cela me faisait plus de mal que de bien d'ailleurs et je savais pas pourquoi je continuais. Les habitudes avaient la vie dure. Je pensais à tous les problèmes que j'avais et que je n'arrivais pas à résoudre. Décimus m'avait fait passer des tests et m'avait engagé comme gladiateur. Si je survivais et si le peuple appréciait mes prestations, je pourrais gagner de grosses sommes et poursuivre les soins dont ma fille avait tant besoin. Je ne pouvais la perdre. J'avais déjà perdu mon père et sa mère. Elle ne pouvait pas les rejoindre par delà le Styx. Je ne voulais pas. Je n'y survivrais pas. Si elle n'avait pas été là, je n'aurai pas survécu à sa mère. Je serais mort de chagrin. Si Andromaque disparaissait, je ne pourrais vivre sans elle. A mon tour, j'irais rejoindre ma famille par delà la mort. Parfois je me disais que c'était là la meilleure solution avant de me reprendre et de continuer à avancer. Mais soudain une femme apparut devant moi, sortant de l'ombre. Je me redressais brusquement sur ma chaise, près à réagir.
"Fille de l'ombre ? Je ne te connais pas. Qui es-tu et que me veux-tu ? Si tu es une voleuse, je n'ai rien pour toi. Je ne possède que peu de biens. Si c'est pour te battre, rejoins moi aux arènes pas dans la cour de ma maison alors que ma fille dort de l'autre côté du mur. Alors que veux-tu femme ?"
Ma voix n'avait rien de gentil. Mon ton était froid, glacial même mais je me contrôlais pour ne pas parler trop fort. Andromaque dormait. Hors de question de la réveiller. Je restais sur mes gardes en attendant que mon interlocutrice m'indique le motif de sa venue.