Parfois les dons des dieux ressemblaient à des malédictions. En réalité, une broutille pouvait faire basculer la balance dans un sens ou dans l'autre. Je venais de congédier un prêtre après l'avoir remercier pour son excellent travail. Je savais que ce jeune homme aimait plaire à sa hiérarchie. Il avait besoin de reconnaissance. Chacun avait son moteur et je préférai celui-là à l'appât du gain ou du pouvoir. Alors, oui, je l'avais remercié. Ni trop, ni trop peu. Son travail était excellent et méritait bien cette reconnaissance. J'usai de mon don pour observer ses sentiments alors qu'il s'éloignait de moi. La satisfaction l'envahissait.
Et la balance bascula de l'autre côté. Une noire colère venait d'envahir le temple. Je ne savais pas encore d'où cette rancoeur provenait, mais je n'avais aucun doute sur la nature de ces sentiments. Tout s'exprimait avec force : rejet, haine, rancoeur, vengeance. Qui pouvait avoir été offensé pour éprouver de tels sentiments et surtout avec une telle force. De l'amour à la haine, il n'y avait qu'un pas. Le sentiment opposé à l'Amour n'était pas la Haine selon moi, mais l'Indifférence.
Je me levai de mon siège, contournai le bureau et me dirigeai vers le couloir. Le sentiment se rapprochait. Cette aura se diffusait à travers les murs, elle se réverbérait sur les colonnades. Je ne parvenais pas à voir directement qui dégageait cette aura. Je n'imaginais pas un instant qu'elle provienne d'un intrus. Un instant, je me demandai si ce n'était pas Melusine qui venait demander réparation pour l'affront qu'elle avait subi en notre temple. Mais je lui avais envoyé une lettre pour lui demander audience, signe évidemment que je la priais de me recevoir et que je m'inclinai en un sens. Et je n'avais guère le choix de toute façon. Il était donc peu probable que ce soit elle.
Camila était capable de me détester avec cette force. Mais connaissant son pas, elle serait déjà dans mon bureau. Malheureusement, elle était sans doute morte dans ce satané désert. Je ne trouvais pas qui pouvait en vouloir ainsi au temple. J'avançai et je sentis cette aura toute proche. À 7 ou 8 mètres environ. Je m'arrêtai et n'ouvrit pas la porte qui donnait vers une pièce où devait se trouver cet homme, ou cette femme.
Je ralentis, m'approcha sans bruit. Aucune parole, aucun cri, aucune engueulade, rien... J'ouvris la porte d'un geste brusque, mais la pièce était vide de toute présence. La personne se trouvait derrière le mur, dans l'atrium donc. Je devrais ressortir, courir une dizaine de mètres dans le long couloir, entrer dans l'atrium et revenir vers les colonnades. Le temps que je fasse tout cela, ce romain serait reparti. Pourquoi n'avais-je pas le don de passe-muraille ? Je pris alors le balai à ma droite et frappa violemment le seau en fer. Il tonna plus fort que prévu et je dus me couvrir les tympans. Mais mes yeux envoûtés ne se détachaient pas de l'aura. Allait-elle sursauter, être intrigué, venir à moi ou fuir ?