[E4] Femmes dangereuses

[Decima]

Depuis le départ du corps expéditionnaire, une rangée de bancs demeurait vide au Sénat. Certains sénateurs avaient pris part au corps. Jamais je n'aurai fait ce choix. Les sénateurs géraient bon nombre de dossiers en plus des nouvelles lois. D'ailleurs cela occupait la majorité de notre temps par moment. Et ces sénateurs partis n'échappaient pas à la règle. Leurs dossiers furent donc dispatchés aux autres sénateurs. En cette douce matinée, le vent agitait les plans d'aqueducs saccagés par des Drake. Leur rénovation avait été confiée à Camila Veturia. Suite à son départ, ce dossier m'avait été remis. Suite à ma mésaventure aux remparts, j'avais commencé par faire vérifier les mesures. Les mesures m'étaient revenues confirmées. Et ce matin, un verre de thé à la main, je consultais les préconisations de Camila. Je les vérifiai. Je n'avais pas confiance en elle. Je ne la connaissais pas. Et je ne voulais pas que les erreurs d'une inconnue me retombent dessus. Je n'étais du genre à me défendre au Sénat avec des enfantillage digne du "ce n'est pas ma faute, mais la sienne". De plus j'étais convaincue de sa mort. Et cracher sur le dos d'un mort n'aiderait pas ma carrière politique.

Néanmoins, toutes ses vérifications s'avérèrent vaines. La qualité de ces plans révélait le talent de la sénatrice Veturia. J'aurais procédé différemment pour certains aspects, mais ce n'étaient que des détails insignifiants, des stratégies différentes mais toutes aussi efficaces. Mais ma concentration fut brisée par l'ersatz qui entrait. L'androïde vint me porter une lettre dont le cachet m'étonna. Je pris la lettre et cette idiote restait là, attendant que je la congédie. Les machines m'horripilaient. Je lui avais dit qu'elle devait savoir si je souhaitais être seule ou non. Et elle ne comprenait jamais, ne faisait jamais preuve d'initiatives. Je la congiédais avec insolence. Stupide et sans caractère, elle sourit avant de sortir. Mais mon iritation disparut quand je découvris quelques détails sur le cachet. Cette lettre ne venait pas seulement du temple mais d'un des grand prêtres. Je décachetai l'enveloppe avec hâte et lus la missive de Melusine. La grande prêtresse me convoquait en son temple le surlendemain. Un sourire illumina mon visage et je me réjouis de ce rendez-vous. J'annulai tous mes rendez-vous le jour-là et réfléchis à toutes les raisons pouvant entraîner ce rendez-vous.

Le jour-même, je me réveillai plus tard qu'à l'accoutumé. J'avais rencontré des difficultés à m'endormir. Et pour cause, ce rendez-vous représentais un tournant dans ma carrière. J'ignorai encore quelle direction, il allait prendre. Je me vêtis avec grande élégance. Je choisis une robe avec un col légèrement relevé, un décolleté généreux et un sombtueux bijou pendait entre mes seins pour capter le regard des hommes. Je me regardais dans le miroir. Même moi, je louchais sur cet éclatant bijou. Tous les hommes regarderaient mes seins, seraient pris sur le fait et subirais mon regard faussement courroussé. J'en tirerai un ascendant sur eux et c'est ce que je souhaitais montrer à Melusine.

Je la craignais. Ne pas la craindre révélait la stupidité au mieux la témérité. Je montais les marches du plus imposant des temples sans trembler le regard portant loin. Mes androïdes restèrent à l'entrée. Je ne voulais pas de leur présence. Je fus reçue et conviée jusqu'à une grande salle. Le regard de Jupiter se portait sur moi. J'avais envie de faire les cent pas. Mais je ne bronchai pas d'un millimètre. J'attendais droite. Un prêtre entra, il planta ses yeux entre mes seins et moi mes yeux droits dans les siens. Il toussa, signe d'inconfort et fis un geste vers la double porte pourpre, m'indiquant que je pouvais la franchir. J'ouvris les deux battants, les franchis et referma derrière moi, enfermant le prêtre dehors. Je fis ensuite trois pas dans la pièce.

[Melusine]

Decima Severa Fanius, merci d'avoir accepté mon invitation, je vous en prie entrez plus avant.

Il n'y avait personne dans la pièce. La voix paraissait vernir de derrière un pilier sur la droite. Melusine finit par en sortir pour se dévoiler à Decima. Autant la tenue de Decima était provocatrice, autant la tenue de Melusine était castratrice. Une robe longue noire la couvrant du haut de son cou jusqu'au bas de ses pieds. Des manches longues chauve souris ne dévoilait même pas ses mains. Non, seul son visage était à découvert. Elle n'avait aucun bijou visible et ses yeux ressortaient parmi le noir de sa peau, de sa robe et de ses cheveux.

Vous avez un très joli joyau, mais nous savons toutes les deux qu'user de telles artifices ne sied pas aux femmes de pouvoir.

Elle se mit en face de Decima et elle la regarda longuement. Le reproche était clairement énoncé et elle leva un peu plus son menton en signe de mépris évident.

Vous valez tellement mieux Decima. Ne vous abaissez pas à leurs jeux puérils. Je vous en prie suivez moi.

Elle l'invita de la main à se mettre à son côté et elles se dirigèrent vers l'extérieur. Sur une terrasse d'où l'on pouvait voir tous les temples.

Le grand prêtre de Vénus se porte comme un charme. Avez vous pu lui dire que vous étiez heureuse de le revoir sain et sauf ?

La neutralité se reflétait sur le visage de Melusine. Pourtant, ses paroles sonnaient comme un avertissement. Savait elle quelque chose ? Ou bluffait elle ? Ou peut être que ce n'était qu'une façon d'amorcer la conversation entre ses deux femmes ... Peut être ...

Très cher Decima, je suis votre parcours depuis très longtemps. Vous êtes une Jovanienne, pourtant votre coeur ne lui appartient pas complètement. Pluton vous attire, vous séduit et vous ne pouvez me le cacher.

Elle posa sa main sur le balcon et elle regarda dans la direction du temple de Pluton. Elle ressemblait à une statue tant elle ne dévoilait aucune émotion. Elle restait de marbre attendant silencieusement. Puis elle reprit la parole.

Le jour approche. Il nous rattrape. Et ce jour là, nous devrons faire front. J'ai besoin de savoir en qui je peux avoir confiance. J'ai besoin de savoir à qui je pourrais tourner le dos sans me soucier qu'une quelconque dague ne vienne pourfendre mon coeur. Vous êtes habitué Decima au jeu de Rome. A ses faux semblants, ses fausses promesses, ses faux sourires. Regardez moi Decima. Regardez moi bien dans les yeux Decima.

Elle se plaça face à elle, les mains jointes devant sa robe et elle attendit calmement. Puis elle reprit la parole.

Je suis en face de vous, en ce jour, sans la moindre animosité. Je ne suis ici pour vous mentir. Je ne suis pas ici pour devenir votre amie. Et je ne vous promets rien. Non. Je suis ici face à vous en toute honnêteté. Je me moque des jeux du Sénat. Je me moque du pouvoir de Rome. Je ne vis que pour lui. Alors Decima, serez vous avec moi ou contre moi ? Comprenez Decima qu'il n'y a aucune bonne ou mauvaise réponse. J'attends de vous une réponse sans mensonge. Si vous me dites que vous êtes mon ennemi, je le comprendrais parfaitement. Et n'allez pas croire que vous ne quitterez pas ce temple vivante en disant cette réponse. Je vous l'ai dit, je cherche des alliés. Des allies de confiance. Je n'ai pas le temps de jouer. Je n'ai pas le temps de m'amuser dans des guerres internes. Je ne suis pas ici pour cela.

Le plus important pour Decima, c'était que ces paroles étaient toutes vraies.

Qui êtes vous Decima ?

[Decima]

La différence entre nos tenues me fit penser aux deux amants du ciel, la Lune et le Soleil. Je ne pus que sourire en découvrant l'austérité de sa robe comparée à la mienne. Il n'y avait nulle ironie, nulle provocation dans ce sourire. Même si je craignais Melusine, je n'avais pas peur de sourire ainsi devant elle. Après tout, à moins de lire dans mes pensées, elle pouvait prendre ce sourire que pour celui qu'on offre à son hôte. Le décolleté de ma robe, l'appât de ce joyau attirèrent son regard. Sa réponse illumina mon visage d'un sourire encore plus marqué. J'aimais sa franchise, je n'aimais pas ceux qui gardaient pour eux leur remarques. Habituée aux pics du Sénat, j'avais pris habitude de répondre du tac au tac à tout désaccord aussitôt formulé. Je fis donc un pas vers elle et ajoutai les véritables raisons de mes charmes ainsi sugggérés :

”Je n'ai pas de temps à perdre avec les petites gens. De tels artifices me permettent de gagner du temps avec elles. Le prêtre qui devait m'ouvrir les portes et m'accompagner quelques mètres avant de nous laisser s'est égaré. Un regard noir accueillit le sien. Il n'a pas osé moufté quand j'ai refermé les portes pour le laisser dehors. Vous avez raison, j'aurais pu lui ordonner de rester dehors. Mais cet artifice m'a évité de lui parler, de perdre mon temps avec d'éventuelles protestations de sa part.”

J'avais été trop prompte à répondre, car les mots suivants se voulaient plus amicaux. Elle avait raison, les femmes de pouvoirs n'avaient pas besoin de ce genre d'artifice, j'aurais pu dire à ce prêtre de rester dehors. Mais ma méthode lui avait fait ressentir de la culpabilité. Le sommer de rester dehors aurait fait naître de la colère en lui. J'aimais manipuler, c'était un vice que j'assumai pleinement en tant que politicienne. Je la suivis sur cette terrasse. Rome s'étendait comme je l'aimais : à nos pieds. Elle me parla de Tiberius Scribonius. J'appréciai cet homme pour ses très nombreuses qualités politiciennes. Un tel sentiment surprendrait sans doute ceux qui découvriront que j'avais commandité son assassinat. Je fis trois pas vers le temple de Venus et répondit franchement.

”A vrai dire, quand je l'ai revu pour la première fois, j'ai rué dans les brancards. Je ne sais pas d'où venait cette colère. Je la maitrise bien mieux habituellement. Je pensai que ma remarque était passée inaperçue parmi la colère éprouvée par tous les invités.”

Je me retournai vers Melusine pour lui faire face et poursuivre ma phrase en la regardant dans les yeux.

”J'apprécie Festus Scribonius malgré ses frasques et je suis heureuse qu'il ait survécu à cet assassinat.”

J'étais franche. Quand bien même j'avais commandité son assassinat, je ne souhaitais pas sa mort. Je voulais juste que tous les soupçons se portent sur Mettius et ma réussite dépassait mes espérances. Elle m'avoua suivre mon parcours depuis longtemps. Je fus surprise de découvrir qu'elle ne mentait pas. En tout cas, elle me rappela vite son rang de grande prêtresse et le danger qu’elle représentait en parlant de mes aspirations pour Pluton. Je l'observais. Elle restait de marbre. Aucune émotion ne transparaissait et je comprenais mieux le choix de sa tenue. Pourtant Melusine, sache que nulle ne peut me mentir sans que je ne le sache, quelqu'en soit sa tenue, quelqu'en soit son austérité. Immitant sa gestuelle, je posai à mon tour la main sur le garde corps et avoua ce qu'elle savait déjà.

”Mes prières me tournent plus souvent vers Pluton. Je suis polythéiste. Les dieux sont nombreux, je les prie régulièrement et Pluton me séduit.”

Elle continua et me parla de ce jour qui approchait. Elle se plaça face à moi et me demanda dans quel camp j'étais. Son impassibilité m'étonnait autant que la franchise de ses propos. Je fis un pas vers elle. Je ne sentis aucun parfum. Le mien avait une légéreté exceptionnelle. Mes yeux lui obéirent et se plongèrent dans les siens. Je laissai s'exprimer ma colère. Je savais quand je pouvais la laisser m'emporter. Cette colère ne se tournait pas vers Melusine mais vers ce fameux jour passé et vers cet autre fameux jour qui, lui, approchait.

"Melusine ..."

J'approchai encore d'un pas

"Je ne me suis jamais autant sentie insultée que ce jour là. Ce camouflet m'a blessé au plus profond de moi. Non seulement le culte de Pluton, mais également celui de Minerve a devancé le nôtre. Et je n'aime guère les remarques puériles de certains jovaniens qui se réjouissent des pertes que subit le corps expéditionnaire. Ce n'est pas en tuant les soldats de Minerve que nous pourrons nous vanter de dépasser leur ferveur croyante. Il y a deux façons d'être les plus puissants : en rabaissant son ennemi ou bien en étant naturellement plus puissant que lui. Je préfère la première solution car on ne ment pas aux Dieux. J'ai envie de crucifier ceux qui veulent blesser la fille de Jupiter. Je ne pense pas que Jupiter ait eu besoin de briser sa fille en deux pour lui rappeler sa supériorité."

Je ne feignais pas ma colère. Je détestai ceux qui brisaient les autres pour témoigner leur supériorité. Et agir ainsi vis à vis de Minerve insultait Jupiter comme sa fille. Je me redressai, et me tournai vers le batiment qui nous accueillait. Je ne pensais pas Melusine capable de lire dans mes pensées ou de savoir si je mentais ou non. Elle avait le don de connaître mon attirance pour Pluton. Mais la suite fut franche également.

"Alors, oui, Melusine. Pluton me séduit. Mais je vous rassure, je suis une sénatrice jovanienne qui lutte pour que le culte jovanien soit le plus vénéré de tous dans la cité. Mes positions politiques comme mes croyances ne sont pas feintes. Vous trouverez chez moi quatre autels. Le cinquième pour Neptune est discrètement commandé. Mais ma demeure est privée, elle le restera. La sénatrice jovanienne fait bien plus remplir la coupe de Jupiter que mes prières ne remplissent celle de Pluton. Je veux que les désirs de Jupiter se répandent dans le peuple. Je ne prie pas Pluton pour son intérêt pour les androïdes mais pour le côté sombre de ce Dieu. Je sers et continuerai de servir Jupiter. Melusine, je suis déjà avec vous et je le resterai. Je compte bien que nous reprenions notre place un jour prochain. Et les prochaines festivités sont pour moi une date butoir que je ne veux pas manquer.

Je travaillais d'arrache pied pour que le culte de Jupiter reprenne sa place.

”Et pour répondre encore plus précisément à votre question, Melusine, je suis une femme de pouvoir, une dangereuse jovanienne sur laquelle vous pouvez compter.”

Je ne dis pas un mot de plus sur ce sujet, la politicienne se tut, pourtant je mourrais d'envie de profiter de l'occasion pour lui faire part de ce que je pensais de notre prélat. Il pesait lourd dans notre défaite.

”Et vous Melusine ? Je suis heureuse de découvrir une grande prêtresse qui me parle enfin de ce fameux jour. Qui êtes-vous Melusine et qu’attendez-vous de moi ?”

[Melusine]

La tête de Melusine s'était penchée sur le côté pour regarder son invitée, puis son décolleté et de nouveau son invité.

C'est effectivement une idée intéressante. Mais certaines personnes ont tendance à être beaucoup plus grossières. Et surtout bien plus collantes. De ce fait, vous risquez d'user de plus de salives que vous ne l'auriez souhaité au départ.

Chaque personne trouvait sa propre manière d'être. Il y avait de la pertinence de ce que disait Decima, mais il y avait aussi des lacunes. Cela ne voulait pas dire que Melusine avait raison, mais elle, en tous les cas, elle préférait rester inaccessible. De toute façon, elle n'avait aucune envie de dévoiler son corps aux Romains. Bientôt, d'ailleurs, des rumeurs débuteraient sur son corps. Pourquoi le cachait-elle tout le temps ? Etait-il emplit de cicatrices ? Etait-ce un homme !? Oui, les plus folles rumeurs viendraient. Mais de qui viendraient ces rumeurs ? Du peuple ? Ou est-ce une idée qui aurait été soufflé ? De toute façon, cela ne changerait pas le style vestimentaire de Melusine. Couvert de la tête aux pieds.

Elle fit un signe de tête à sa remarque sur Tiberius et elle resta silencieuse. Elle se décida finalement à parler.

Je l'aurais préféré mort. Tiberius est un trublion. Il le sait parfaitement et il s'en sert avec intelligence. Il suffit de voir qui il a nommé aux derniers jeux. Une parfaite inconnue. Il place ses pions doucement. Et ne nous voilons pas la face, il a un intérêt certain dans toute cette partie de carte. Tiberius est un homme qui non seulement a de la chance au niveau de sa main, mais qui a aussi un bluff étonnant. Il est capable de vous faire prendre vos vessies pour des lanternes sans que vous ne le contredisiez ! Non, Tiberius est un homme extrêmement dangereux. Se fier à ses sourires et ses courbettes seraient ne pas lui rendre hommage. L'image d'un homme fêtard lui sied à merveille, mais derrière ces beaux sourires se cache un drake.

Toujours aucun sourire, toujours aucun signe d'émotions vives. Elle ne fait que dire ce qu'elle pense face à Decima. A-t-elle déjà fait son choix pour lui parler si ouvertement ? Ou a-t-elle décidé qu'elle était une espionne et qu'elle lui donnerait ainsi des cartes à remettre à telle ou telle personne ? Tout était possible entre femmes de pouvoirs. Elle la regarda longuement sans rien dire quand Decima lui avoua son penchant pour Pluton et tous les dieux. Elle avait arrêté de regarder les temples pour se consacrer uniquement à la politicienne en face d'elle. La tristesse finit par ce voir. D'abord dans l'éclat de ses yeux, puis son visage et enfin dans ses épaules qui s'affaissent. Elle écoute le long discours de Decima sur les différents Dieux et sa prise de position. Elle finit par se tourner, par lui tourner le dos et elle regarde au loin, vers un horizon où il n'y a nul temple. Sa main se cramponne un peu plus fermement sur la pierre. Elle semble prête à défaillir. Decima l'aurait-elle frappé ? Elle baisse sa tête et elle prend son temps pour se remettre de ses émotions.

Ce n'était pas la réponse que j'attendais de vous Decima. J'attendais tellement plus.

Elle finit par tourner son visage et un sourire fleurit sur ses lèvres. Un fin sourire, un doux sourire, un sourire qui ne devait pas être présent souvent sur son visage.

Je ne vous en veux pas Decima. Je n'en ai pas le droit, mais j'aurais tellement aimé que vous ne soyez que pour Jupiter.

Elle se secoua la tête et elle reprit son air distant.

Pardonnez-moi Decima. Je n'ai pas à juger vos croyances ni vos Dieux. Asseyons-nous je vous prie.

Elle lui désigna l'un des longs canapés à l'extérieur et elle s'installa à son tour sur le sien. Elle cala son coude sur l'oreiller et elle allongea ses jambes avec précaution. Nulle trace de peau ne dépassant. Un don sans doute.

Je me nomme Melusine et je suis un songe d'un lointain passé. N'est-ce pas ce qu'évoque mon nom ? Je suis une prêtresse dévouée à mon Dieu et uniquement à lui. Je suis ici pour restaurer sa grandeur passée et lui rendre son statut, celui qu'il n'aurait jamais dû perdre ! Je mettrais donc tous les moyens en œuvre pour y arriver. Contrairement à tous les Romains et toutes les Romaines, je ne suis pas là pour me désoler de tel comportement vis à vis d'un Dieu ou d'un autre. Je ne suis pas là pour pleurer la fille de Jupiter ou l'oncle ou la tante. Ils sont assez grands pour savoir se défendre seul. N'est-ce pas ce que cherche d'ailleurs toujours un enfant ? L'indépendance vis à vis de ses parents ? Alors pourquoi est-ce que j'entends dans la bouche de chaque Romain : On mon Dieu, pauvre Minerve, fille de Jupiter ... Ne peut-on donc laisser les Dieux régler leurs propres outrages et nous, nous contenter de prier notre Dieu ? Les Dieux sont le présents, nous le savons tous. Leurs temples sont visibles, leurs pouvoirs manifestes. Si mon Dieu trouve que je manque de respect vis à vis d'un autre Dieu, il me le fera savoir d'une manière ou d'une autre. Alors arrêtons de nous voiler la face.

Elle s'arrête, reprends son souffle, se repose, puis elle reprend plus posément.

J'attends de vous Decima que vous soyez une jovanienne. J'aimerais vraiment que vous ne priez que Jupiter. Cela renforcerait ma propre foi en vous. Mais je ne peux pas vous obliger à faire ce choix. Vous n'avez pas été élevé ainsi. Je comprends l'attrait que le Dieu Pluton exerce sur vous. Mais il n'est pas le seul Dieu à avoir une part de noirceur. Pensez-vous que si vous priez uniquement Jupiter vous ne pourriez pas être libre de vos choix ? Etre libre de vivre votre foi comme vous l'entendez ? Appréciez-vous Pluton car vous vous pensez plus libre avec lui ? Plus libre d'être "mauvaise" ?

Elle refait une pause et elle reprend.

Comme je vous l'ai dit Decima, et je préfère me répéter pour que les choses soient claires entre nous, aujourd'hui, pendant cette entrevue, soyons franche l'une envers l'autre. Et nous pourrons ainsi voir si nous pourrons travailler l'une avec l'autre. Il est important pour moi d'avoir des personnes à mes côtés qui ne se dispersent pas. Je pense que si nous faisons front commun, que si nous montrons que les jovaniens sont soudés alors nous pourrons de grande chose. Si nous ne sommes pas d'accord sur la décision de l'une ou de l'autre, alors nous ne devrons pas le montrer en public, mais bien en discuter ensemble. Et j'insiste sur le mot discuter. Je cherche des personnes qui me sont égales. Non des subalternes. C'est pour cette raison que nous nous rencontrons. Nous nous ressemblons énormément Decima. Mais avons-nous les mêmes visions de l'avenir ?

[Decima]

Je souris et acquiésçai à la juste remarque de Decima. Certains hommes pouvaient se montrer bien collants dès lors qu’ils interprétaient l’un de nos mots ou de nos gestes pour une invitation. J’avais mes limites quant à l’usage de mes atouts de séduction. Jamais je ne me manquerais de respect, jamais je ne me souillerai pour un homme. Et c’était bien là l’essentiel. Et puis coeur épris n’était plus à prendre. De toute évidence, nous avions chacun notre mode de conduite quant à nos tenues. Nous n’étions pas du même avis et cela ne me gênait pas du tout. D’ailleurs, elle n’insista pas et j’en déduis que ce détail ne compromettrait certainement pas notre discussion. Melusine avait la réputation d’être une femme intelligente. J’étais heureuse de constater qu’elle ne se braquait pas sur un différent. Le contraire m’aurait étonné de sa part.

La discussion se tourna donc vers Tiberius. Contrairement à Melusine, j’étais heureuse qu’il ait survécu à l’androïde que nous avions reconditionné. Ce trublion me faisait sourire. Malgré son comportement, je ne le sous-estimais pas. Il avait du charme, savait manipulé les foules et attirer à lui de nombreux adeptes. Mais comme tout homme, il a ses faiblesses. Melusine faisait preuve d’une grande franchise envers moi. Pourtant nous ne nous connaissions pas. Je mesurais combien elle avait dû se renseigner sur moi. J’avais bien fait d’être franche concernant Pluton malgré la déception engendrée par ma réponse.

Elle s’allongea. J’en fis de même en choisissant la méridienne face à elle. Elle commença à me parler d’elle. D’une façon très habile, elle en dit un minimum pour ensuite parler de ses objectifs. Cette femme maniait avec habilité les mots. Je l’écoutai me parler de ses croyances. Et je souris, car elle se rapprochait des miennes, malgré sa déception concernant mes prières à Pluton. J’allais l’interrompre mais m’en abstint quand elle parla de mes prières envers Pluton. Politicienne, je savais couper la parole, la garder et ne jamais la rendre. Je n’en fis rien. Ce qu’elle disait donnerait encore plus de poids à mes arguments à venir. J’appréciais de plus en plus cette femme et ressentait de l’honneur à servir Jupiter.

Elle me posa des questions, marqua une pause mais je maintenais ma ligne de conduite. Je me tus pour la laisser compléter. Et je fis bien. Melusine souhaitait s’entourer de pions fidèles. Je pourrais me vexer, mais loin de moi cette idée. Les pions méritant deviennent des reines en atteignant le bout de l’échiquier. Mon ambition me donnait le goût de ce risque. Je voulais être reine, ou plus exactement prélat. Et comme je ne comptais pas épouser cet athé de Mettius, j’avais bien l’intention de le destituer ou d’offrir son coeur aux dieux, selon ce qui se ferait de plus discret. Alors que je réfléchissais, elle me dit rechercher des personnes égales. Je me trahis en avançant mon buste vers elle. Nulle intention de lui présenter mon décolleté ! Non, bien sûr que non, mais je venais de bêtement trahir mon intérêt. Peu importe puisque nous jouions franc jeu.

À mon tour de parler Melusine !

-- Nous avons un point commun Melusine. Nous ne prions pas les dieux en quête de richesse, de fortune, d’un cadeau ou d’un don. Vous priez Jupiter et oeuvrez pour qu’il garde la place qu’il mérite, celle du dieu des dieux. Je prie les dieux pour les remercier. Je ne le fais pas pour qu’ils continuent. Je ne suis pas hypocrite. Je les prie simplement pour les remercier de la journée vécue. Et j’oeuvre au quotidien en tant que jovanienne pour que Jupiter garde la place qu’il mérite. Toutes mes actions vont dans le sens de Jupiter. Alors, oui, je prie parfois Venus, plus souvent Minerve, et régulièrement Pluton. Seul Jupiter a pu vous livrer cette information. Je suis très discrète sur mes prières. Et votre enquête sur moi vous l’a prouver.

A mon tour, je marquai une pause. Mais je ne rendais pas la parole à la Grande Prêtresse. Je la conservais pour insister sur l’essentiel : ce que je faisais.

-- Je comprends votre déception. Mais regardez mes actes. J’ai voté le corps expéditionnaire, alors que le seul but de Mettius était d’envoyer les soldats de Minerve loin de nos terres. Ils vont mourir, Minerve perdra sa place. Je préfère que Jupiter soit meilleur que les autres en les surpassant. Je n’apprécie guère qu’on détruise les adeptes de Minerve pour que, mathématiquement, Jupiter la dépasse. Quand bien même, je n’ai jamais parlé de cela. J’ai suivi fidèlement mon clan, car il passe avant. Seule chez moi, je remercie les dieux, tous les dieux et évidemment Jupiter. Je ne vous cache pas que le côté sombre de Pluton est séduisant, attirant. Mais ce n’est pas pour cela que je le prie. Je le prie pour la protection que ses adeptes apportent à Rome. Et quitte à ce que Jupiter ait un second, je préfère que ce soit Pluton. Gardez vos amis proches de vous... Vos ennemis encore plus proche.

Je me lève et m’approche d’elle pour m’asseoir à ses côtés et chuchoter. Je croisais mes jambes devant moi, posa mes mains sur mon genoux en entrelaçant mes doigts.

-- Melusine, je me répète, je comprends votre déception. Jupiter et Pluton ne s’apprécie pas, mais ils se sont unis à Rome. Ce que vous me proposez me séduit énormément. Vous avez suivi mon parcours, vous m’avez espionné et vous m’avez convoqué. Vous saviez que je priais Pluton avant de me le demander. J’en déduis que mon parcours fait que vous passez outre cette déception. La sénatrice Decima Fanius Severa n’a jamais failli à ses devoirs, elle n’a jamais fait la moindre erreur. Alors j’apprécie que vous m’ayez jugé pour mes actes malgré les prières de la jeune femme que je demeure, le soir, seule chez moi, sans même un androïde pour m’espionner. Si vous m’acceptez à vos côtés, je ne vous décevrez ni plus, ni moins. Et franchement, Rome a besoin de têtes pensantes, de femmes dangereuses pour gouverner et rendre à Jupiter sa place.

[Melusine]

Decima n'était pas une personne que l'on pouvait prendre à la légère. C'était une femme de pouvoir et de surcroît intelligente. Oui, les deux n'allaient pas forcément de pair. Elle savait parfaitement que Melusine avait enquêté sur elle et celle-ci ne s'en cachait pas de toute façon. Il serait cependant bien plus difficile pour Decima d'enquêter sur le passé de Melusine, vu qu'elle n'en avait pas. Maintenant qu'elle était sortie de sa prison, de son tombeau, elle pourrait par contre commencer son enquête, la faire suivre, espionner. Peut-être d'ailleurs que des pions de Decima étaient déjà à l'œuvre. Le prêtre qui avait reçu Decima en premier était d'ailleurs peut être l'un d'eux. Peut-être se jouait-elle de Melusine en accablant son propre pion. Mais la confiance était une chose que l'on pouvait accorder de suite. Mais une fois que la confiance était perdue, elle pouvait difficilement être regagnée. Elle la laissa donc parler sans intervenir, comme Decima l'avait fait pour elle. Elle ne releva pas son allusion sur Jupiter qui lui aurait soufflé ses croyances. Peut-être était-ce vrai ou peut-être que Melusine avait utilisé son propre pouvoir. Elle n'était pas prête à étaler toutes ses cartes devant Decima. Et puis, un peu de mystère ne faisait jamais de mal. Après tout, Melusine n'avait pas réussi à connaître le pouvoir de Decima. Et elle savait qu'elle en avait un, mais lequel ?

Melusine regarda longuement Decima sans rien dire. Sans rien ajouter à toute sa diatribe. Seul ses yeux bougeaient, et encore, il était difficile de voir où elle regardait vraiment. Elle fit un peu plus de place à Decima pour qu'elle s'installe comme elle le souhaitait sur cette méridienne. Elle resta songeuse un instant et elle reprit la parole.

Nous savons toutes les deux que vous êtes bien plus qu'une femme dangereuse Decima. Ne vous rabaissez pas ainsi. Vous êtes tellement plus mon "amie".

Elle finit par se lever et elle se dirigea vers en endroit pour ramener un plateau chargé de quelques victuailles, de deux verres et d'un pichet de vin. Il n'y avait aucune belles vaisselles, juste du travail fait main, grossier, en terre cuite. Elle posa le tout sur la table basse et elle s'installa de nouveau en face de Decima, sur l'autre méridienne en position assise.

Bien, je pense que nous venons de trouver un accord. Nous allons donc cesser les préambules et entrer dans le vif du sujet. Si vous le permettez bien sûr.

Elle attendit un quelconque signe et elle reprit.

Des complots sont clairement définis suite au corps expéditionnaire. De nombreux soldats vont tomber. La faute incombera à Minerve ET Jupiter. Le peuple de Rome va donc se tourner vers le seul qui les a soutenus, Pluton. Car lui seul est resté pour les protéger.

L'ironie était très claire. Pluton allait bientôt la tête dans les suffrages.

Mais Pluton n'affiche jamais clairement son jeu. Et c'est bien trop simpliste venant de lui. Il trame autre chose. Quelque chose de bien plus dangereux.

Elle lissa un peu sa robe, un geste mécanique et elle reprit.

Vous avez parlé de clan Decima, et vous avez utilisé ce mot à bon escient. J'ai besoin de la Sénatrice que vous êtes. Et je crois savoir que vous avez de très haute ambition. Je serais là pour vous appuyer et vous donner les moyens d'y parvenir si vous le souhaitez. Mais j'ai avant tout besoin de vous Decima, la jeune femme qui ait seul dans ses appartements le soir. Je vous propose que nous nous liions Decima. Vous et moi. Sachez que si vous accédez à ma demande, ce que je vous offre ira bien au-delà de vos espérances. Mais vous ne pourrez plus jamais revenir en arrière. Vous servirez Jupiter jusqu'à votre mort. Et sachez que votre vie pourrait bien être bien plus longue que vous ne l'espériez.

Elle remplit les deux verres et elle se leva pour à son tour venir s’asseoir à côté de la Sénatrice. Elle lui tendit sa coupe et elle garda la sienne en main.

Ce verre contient peut-être un poison qui vous tuera. Ce verre contient peut-être une magie qui ne vous permettra pas de revenir sur notre accord. Ou peut-être que ce verre ne contient rien. Mais surtout Decima, ce verre sera votre parole en Jupiter. Je suis certaine que votre destin Decima est grand. Mais si vous choisissez que nous nous allions, je ne vous autoriserais pas à revenir sur notre accord. Tout comme je ne pourrais moi-même revenir sur notre accord. A partir de maintenant votre vie sera la mienne et ma vie sera la vôtre. Mais surtout, Decima, NOTRE VIE sera voué à Jupiter. Etes-vous prête à aller jusqu'au bout de vos ambitions Decima ? Et écoutez-moi bien, je n'ai pas dit Sénatrice. J'ai bien énoncé votre prénom, car c'est à la femme que je m'adresse. J'ai foi en vous, mais vous, avez-vous foi en moi ? Avez-vous foi en Jupiter ?

Elle finit par lever son verre et elle attendit. Le vin était le même que le sien. Il n'y aurait sans doute pas de poison dans ce vin en ce cas. A moins que le pouvoir de Melusine soit un contre poison ? Tout était possible. Mais elles avaient tant de choses à se dire, tant de choses à faire ensemble. Melusine voulait être sûr et certaine que Decima savait dans quoi elle s'embarquait. Et c'était bien au-delà de tout ce qu'elle pouvait imaginer !

[Decima]

J’écoutai Melusine alors qu’elle semblait s’éloigner physiquement de moi. La distance saillait au personnage. J’émis l’hypothèse d’un lien entre cette distance instaurée par la grande-prêtresse et ses tenues. Etait-ce de la mise en scène ou bien n’appréciait-elle pas la proximité et les contacts ? J’avais entendu des rumeurs sur une prêtresse de Pluton, Nox, qui détestait les contacts. J’en pris note et porterait attention à toujours lui laisser fixer la distance entre elle et moi. Quelques flatteries plus tard, elle me décrit comme une amie. Je souris en retour, mais intérieurement ses belles paroles n’avaient aucune prise sur moi. Nos serions amies tant que nos objectifs convergeraient. Et cela me convenait parfaitement à vrai dire. Mes objectifs étaient clairs et les siens ne risquaient guère de changer.

Faisant de preuve de discernement, elle me rejoignait sur l’analyse des prochaines festivités. Je ne serai pas surprise de voir la coupe de Pluton comme la plus remplie. Même si j’étais une de ses adeptes, je préférai que Jupiter gouverne. Cela m’offrait plus de pouvoir. Melusine me proposait monts et merveilles et ne mentait pas. Néanmoins, sitôt après, mes carillons m’avertir d’un mensonge. Mais elle jouait avec les mots. Elle croyait en ce qu’elle disait et pouvait donc contourner mes dons. Mais je gardais encore l’avantage s’il en était besoin. Elle ne connaissait pas ce don après tout.

Finalement, Melusine s’approcha de moi, instaurant ainsi le doute sur mes précédentes hypothèses. Je ne bougeai pas et pris la coupe en main, sans toucher la sienne. Elle savait ce que contenait mon verre au fond d’elle-même. Et en un sens, je sus quand elle mentit. Elle jouait sur les mots. Mon don me montra distinctement deux directions. Derrière un “peut-être” se cache la vérité et derrière deux autres se cachaient le mensonge ? Non ! Il m’indiqua un mensonge : Ce verre ne contient pas de poison. Il m’indiqua deux vérités. Ce verre contenait rien et, en même temps, il contenait une forme de magie. Aux yeux de la grande prêtresse comme de moi, une promesse dans le temple de Jupiter ne pouvait pas être foulée au pied. On ne jouait pas avec les dieux. Je portai le verre à ma bouche. Mais avant de boire, je tenais à expliquer mes conclusions et mon choix, comme si je répondais à une énigme.

-- Ce verre ne contient aucun poison, il ne contient rien. Mais vous et moi ne trahirions pas une promesse prononcée envers Jupiter dans son temple. Je suis prête à aller au bout de mes ambitions, mon amie.

A mon tour je prononçais ce terme fort en sens. Tant que nos objectifs convergeraient, je la considérerai comme une amie et la soutiendrais toujours en public. Même dans l’erreur ! Cela ne m’empêchera pas de lui dire le fond de ma pensée, une fois seules.

Et je bus à en vider le verre pour marquer mon acceptation totale de me vouer désormais à Jupiter uniquement. Pourtant Pluton m’attirait et me protégeait des créatures du désert, Minerve m’apportait la sécurité au sein de la ville, Venus m’avait apporté … Mais c’est Jupiter qui m’offrait le pouvoir et répondait réellement à mon insatiable ambition.

Mon geste n’a nullement été précipité. Je n’avais pas bu ce verre d’eau immédiatement. J’avais réfléchi avant de le boire. Peut-être même avais-je entamé sa patience. Mais je ne pouvais pas choisir simplement. Les enjeux me dépassaient sans doute. J’avais pris le temps de la réflexion, peser le pour et le contre avant de prendre une direction. Jamais plus je ne regarderai en arrière. Quand bien même je mourrais, j’assumerai mon choix et ne le regretterai pas.

[Le conteur]

À la croisée des chemins, certains romains hésitaient et prenaient le temps de la réflexion. En cette heure, la renommée sénatrice Decima Fanius Severa s’entretenait avec Melusine, la grande prêtresse de Jupiter. La discussion venait de pousser la sénatrice dans les renfoncements de ses croyances. Elle appréciait les dieux, ne les priait jamais pour obtenir un retour. Mais elle adressait régulièrement des prières à chacun d’entre eux. Melusine souhaitait une fidélité sans faille envers le père des Dieux. En échange, leur vie s’appartiendrait mutuellement.

Cette drôle d’union pouvait sans doute paraître bien fragile. Le premier qui le souhaitait pouvait trahir son prochain. Rien n’empêchait Decima d’accepter, de boire ce verre et de continuer ses prières. Et les dons de Melusine lui permettrait de découvrir la supercherie. D’un autre côté, Melusine pouvait également mentir et se débarrasser de la sénatrice. Ce ne serait guère chose aisée tant la sénatrice est habile pour discerner les mensonges de la vérité.

Malgré les enjeux, le choix de Decima se fit rapidement. Elle signa ce pacte. Au lieu de le signer de son sang, elle leva la coupe et but son verre. Elle avait totalement raison. Ce verre ne contenait ni drogue, ni poison. Mais il symbolisait un accord aussi fort qu’un lien de sang. Prononcé dans le temple même de Jupiter, il prenait une envergure divine qui dépassait les deux romaines. Il n’y eut aucun éclair pour zébrer le ciel, aucun signe divin. Mais quelque chose changea dans le for intérieur de Decima.

Ses pensées s’embrouilleur, la confusion naquit en elle. Des lettres anciennes apparurent devant ses yeux et se dissolvait devant le regard ébahi de la sénatrice. Elle n’en perdait pas son latin. Elle perdait l’énochéen, la langue de la Kabbale. Ses connaissances pour invoquer les Ashims, portes d’adamante aux pieds de métal disparurent, comme si Pluton l’abandonnait comme elle venait de le renier. Chez elle, les créatures qui gardaient sa maison s’évanouir et cessèrent de monter la garde chez elle.

Mais elle sentit ensuite quelque chose en elle. Son sang chauffa, lui donnant l’impression que le verre contenait un alcool. Elle s’empourpra, toussa comme si l’eau pure devenait une eau de vie. La chaleur s’évanouit alors, comme quand le quidam boit de l’eau de vie. Quelque chose venait de se passer. Mais quelques secondes ensuite, ce fut Melusine qui sentit sa bouche légèrement chauffer. Rien d’anormal si son verre avait contenu de l’alcool. Mais il ne contenait que de l’eau. Comme Decima, ses joues s’empourprèrent. La chaleur s’évanouit comme elle était apparue, rapidement.

Quelque chose liait les deux femmes. Jupiter n’était pas dieu à se manifester. Pourtant, prononcer un tel serment dans la demeure du dieu semblait avoir eu de lourdes conséquences dans la vie de ces deux romaines.

[Melusine]

Le silence de la sénatrice n’avait pas altérer le comportement de Melusine. C’était une décision difficile, car c’était une décision qui conditionnerait toute sa vie. Melusine ne s’attendait pas au résultat qu’il y aurait d’ici peu entre elles, elle n’avait pas ce pouvoir. Elle ne pouvait pas savoir d’avance si son propre Dieu interviendrait ou non. Son Dieu était toujours des plus silencieux. C’était pour cette raison que c’était très difficile de ne jamais douter de soi envers lui. Mais Melusine gardait toujours la tête haute. Elle ne devait pas baisser les bras, elle ne devait pas douter d’elle, car sinon, Jupiter ne retrouverait pas sa notoriété. Mais Melusine voyait beaucoup plus loin que cela. C’était si restrictif de ne penser qu’à demain. De ne penser qu’aux prochaines élections, non elle allait beaucoup plus loin ! Elle ne se doutait vraiment pas que Decima était une Plutonienne, mais elle croyait en ses paroles. Car aujourd’hui, les deux femmes étaient face à face. Non pas pour se tirer dans le dos, non pas pour s’affronter, mais bel et bien pour trouver un accord qui conviendrait aux deux parties. Decima avait énormément d’ambition. ET contrairement aux apparences et à ce que tout Rome pensait, Melusine n’en avait aucune ! Mais elle endossait le rôle qui était sien sans faillir, sans s’excuser, ou sans s’expliquer. Que chacun croit ce qu’il veut sur elle, car après tout, elle était puissante que par le pouvoir que lui donnait les autres !

Elle finit par boire une gorgée de son verre et ses joues rosirent aussitôt. Elle écarquilla les yeux et le masque de Melusine tomba. Il était clair qu’elle ressentait une émotion vive, il était clair qu’elle était surprise, il était clair qu’elle n’avait jamais pensé qu’une telle conséquence arriverait. Elle posa son verre entre ses mains sur ses cuisses et elle regarde longuement sa coupe. Elle ferma les yeux et ses lèvres bougèrent. Elle était entrain de prier un Notre père. Aucun son ne sortait, mais tant que sa prière ne serait pas finit, elle n’ouvrirait pas les yeux. Une fois fait, elle resta très solennelle. Elle reposa son verre et elle regarda enfin Decima. Decima avait compris bien plus vite que Melusine ce qui allait se passer. Melusine avait décidé de lui accorder sa confiance bien avant qu’elle boit son verre. Mais Decima avait anticipé ce qui allait se passer au sein même du temple de Jupiter. Alors que sa propre grande prêtresse n’aurait jamais cru cela possible. Elle posa doucement sa main sur celle de Decima, et elle serra fortement. Elle avait besoin de ce contact, elle avait besoin de cette chaleur, de cette compréhension. Un miracle venait de se produire et les yeux de Melusine était emplit de ferveur, de dévotion, mais aussi de larmes. Elle serra une dernière fois la main de Decima et elle se leva pour faire quelques pas dans son bureau. Elle était bouleversée. Elle porta ses mains jointes à son cœur, elle débordait tellement d’amour pour lui. Elle respira calmement et elle finit par se retourner vers Decima. De nouveau son masque d’impassibilité était en place. Mais ses yeux montraient clairement une humilité face à ce qu’il venait de se passer.

Je me retrouve sans voix, face à vous et je m’en excuse, Sénatrice Decima. Je suis bouleversée par ce qu’il vient de se passer. Je ne doutais pourtant pas un seul instant de vous. Mais je ne pensais pas qu’IL …

Elle fit un signe croix sur son corps et on pu entendre « Amen ».

Sénatrice Decima, dite moi ce que vous attendez de moi. Dites moi quel est votre but et je mettrais tous les moyens en œuvre pour que vous y parveniez. Mon réseau va devenir le vôtre, et vous deviendrez la femme que vous avez toujours rêvez de devenir. Nous allons changer la face de Rome ensemble et bien plus encore, j’en suis persuadée.

Chaque mot était pensé, chaque parole était importante, mais chaque phrase était puissante. Bientôt Mettius ne serait plus. Bientôt Decima prendrait sa place ! Oui, Rome allait changer et elle ferait tout pour que Decima soit ce nouveau Rome.

[Decima]

Eh bien moi non plus, je ne pensais pas que boire ce verre pèserait aussi lourd sur mes épaules. Je sentis des liens, des connaissances s'arracher à moi. Une étrange chaleur m'envahit, certes. Mais avant cela, je ressentis un grand froid, un vide, un départ. Je sentais mes forces et mes connaissances m'abandonner. Je repensais à cette invocation que j'avais découverte à force de prier Pluton. Ces étranges créatures noires et menaçantes me permettaient de fermer définitivement une porte. Elles m'assuraient que mes secrets restent miens. Et soudainement, je ne me souvenais même plus de leur nom.

Je venais de trahir ma confession et Pluton devait m'en vouloir pour me priver ainsi du don offert. Mais je n'eu pas le temps de m'inquiéter quant à savoir comment j'allais rentrer chez moi, qu'une chaleur la remplaça. Comme Melusine, je restais stupéfaite de cette intervention divine. L'intense chaleur m'enivrait et je me sentais différente, enrichie d'une autre essence. Je ne savais pas comment cela se manifestait, mais Melusine semblait encore plus surprise que moi. Elle ne pensait pas qu'IL interviendrait. Le signe de croix dessiné sur sa poitrine me surprit. J'avais lu des livres sur cette religion bafouée et rejetée par les civilisations passées. Je crois qu'elles étaient en rapport avec la chrétienté. Même contre une petite fortune, je n'avais pas pu m'acheter ce livre honni, tous les exemplaires devaient avoir été brûlés et il n'en restait que quelques-uns. Certains nobles souhaitant se donner un style antique conservaient les exemplaires. Grâce à une prostituée, j'avais pu le faire dérober, le compulser et le rendre sans que sa propriétaire ne découvre l'emprunt.

Cette religion avait imposé le monothéisme par le sang en Alexandrie et je ne partageais pas ce point de vue. Oh je serais fidèle à Jupiter, je ne reviendrais jamais sur ma parole. Mais je n'imposerai pas Jupiter par le Sang. Déjà parce que je suis convaincue de l'existence des autres dieux, mais aussi parce que je préfère suggérer, donner envie, faire choisir que d'imposer. Les croyances sont telles le respect... Cela ne s'impose pas. Seules les faibles d'esprit, les mafias doivent imposer le respect. Les êtres supérieurs le méritent et le gagnent naturellement.

Les propos de Melusine me firent sourire. Elle me demandait ce que je voulais. Ma réponse se résumait à un mot, un seul. Je prie sa question pour un méli-mélo de naïveté et de générosité. J'avais fait un choix qu'elle respecterait. J'avais gagner son respect et elle venait de gagner le mien par sa question. Une nouvelle entente venait d'être signée sous le dôme du temple de Jupiter.

Je lui souris, mon index glissa sur sa joue pour essuyer la larme qui coulait sur sa joue.

« Rome ! »Un mot, un seul suffisait à révéler mes intentions ... Mais je tenais à préciser ce mot : « À mes pieds, évidemment ! »

Je posai mon verre sur le rebord sans m'en soucier. Le ranger incombait aux esclaves, aux androïdes. Je m'éloignai de Melusine pour repartir. J'avais fort à faire.

« Veuillez m'excuser Melusine, mais SON intervetion ... » Comme elle je ne finis pas ma phrase. Je n'étais pas aussi émue qu'elle. Je l'étais certes, mais avant tout la politique coulait dans mes veines, j'adoptais les attitudes de mon interlocutrice pour mieux la toucher.  « Je vous reverrais après-demain, vous êtes importante et je tiens à ... préserver mes investissements.» Je ris pour marquer le double-sens volontaire de mes propos.

Je m'agenouilla légèrement, et lui embrassa la main pour montrer mon respect et non mon asservissement. Finalement cette proposition de Gaïa était intéressante. J'allais l'accepter.

(fin de mon intervention)