[E4] Sous la protection d'une tente [Vita]

[Maximus]

Le corps expéditionnaire vient d’essuyer une nouvelle attaque de créatures du désert. Les scorpions ont été vaincus grâce aux conseils des gardes de Pluton, à l’entraînement des soldats de Minerve et à la stratégie de Caius. Malheureusement, un cheval a été perdu dans la bataille et son cavalier s’est grièvement blessé en tombant de cheval. Les prêtres de Jupiter ont rapidement soigné sa jambe cassée, mais le pronostic vital restait engagé. Le traumatisme au crâne ne lui laissait que peu de chance de survie.

Maximus sortit de la tente où le cavalier, toujours inconscient, se reposait. Les soldats le regardaient avec curiosité. Ce titan ne passait pas inaperçu. Et sa présence, si loin de Rome restait inexplicable. Même lui n’avait pas de réponses à ce sujet. Il n’avait pas encore pu discuter avec Vita. Il avait souhaité faire un rapport à Caius de la situation à Rome. Camila était également présente. Et malheureusement pour elle, les nouvelles catastrophiques l’avaient profondément peinée.

*

* *

Trois heures plus tôt sous la tente de Caius, une réunion à huis-clos se tenaient. Maximus prit la parole pour exposer la situation romaine.

-- Dès votre départ, tout a changé à Rome. La nuit même, une vague d’attentat a frappée la cité. Des androïdes pourtant serviables se sont retournés contre leur maître sans raison. J’ai eu l’occasion d’étudier le cas d’une meurtrière. Elle était profondément désolée de ce qu’elle avait fait, elle était incapable d’expliquer son geste. Je suis Consul, j’ai observé son âme... Une âme pure... Je ne comprends pas. On raconte que Valentina est décédée mais je pense que vous l’avez cachée, n’est-ce pas, Caius ?

Il marqua une pause et fut soulagé en observant l’attitude complice de Caius.

-- Il y a eu de nombreux morts, des ennemis de Mettius essentiellement.

Maximus entama la liste de la vingtaine de dignitaires assassinés. Le dernier nom prononcé fut celui de Tiberius. Camila n’eut pas le temps d’encaisser la nouvelle qu’un garde fit son entrée dans la tente pour informer d’une attaque de scorpions géants sur deux flancs simultanés.

*

* *

L’attaque avait donc été repoussée, mais Maximus et Caius se révélaient inquiets de voir les créatures attaquer de deux flancs simultanément. Le combat mené avait épuisé Maximus. Il regagna la tente qu’on lui avait attribué. À l’intérieur, Il retrouva Vita.

[Vita Proteus]

Le Désert ! Non seulement, je m'y suis retrouvée sans avoir rien demandé mais en plus, mon erreur y a aussi conduit mon maître. Je n'ai pas eu le temps de lui parler de ce qui s'est passé. Sur son ordre, je me suis rendue dans la tente que nous occupons avec pour consigne de ne pas trop sortir. Il faut dire qu'une androïde sexuelle au milieu de soldats peut inciter à bien des débordements. Les bruits de combats me parviennent malgré tout et je ne peux m'empêcher de trembler pour le colosse. Lui qui ne voulait pas participer au corps expéditionnaire...

Son entrée dans la tente fait renaître un sourire sur mon visage. Mon maître est épuisé. Rapidement, je me glisse à ses côtés pour soulager ses douleurs. Je ne sais quoi lui dire dans l'immédiat. Je me contente de le regarder s'installer sur la couche avant de lui porter un peu d'eau. Je suis nerveuse mais il va pourtant bien falloir que je parle et que je m'explique. Je ne voulais que son bien moi... Et j'ai réussi à mettre en colère deux prêtresses ! L'objet que les soldats cherchent est sans doute la manifestation de celle de Minerve. Venus a déjà agi même si ses paroles sont restées gravées dans ma mémoire.

Maître...

Ma voix est loin d'être assurée et pour cause. Je redoute la colère du colosse quand il saura ce qui nous a mené ici, que tout est de ma faute.

Je... Je ne voulais que votre bien... J'ai demandé... prié en fait... votre Déesse, Minerve... mais je me suis mal exprimée et... Venus nous a punis...

C'est sorti. Je me recroqueville sur le sol, prête à tout affronter. Il faut que je sache, les mots de Venus ne cessent de raisonner en moi depuis qu'elle les a prononcés.

Elle a dit autre chose... Venus... Elle a parlé de vos sentiments... Les tigres... C'était elle aussi. «S'il t'aime, il courra vers toi », ce sont ses mots. Vous êtes venu mais... c'est impossible, je ne suis qu'une androïde... Tout est de ma faute ! SI je n'avais rien dit, nous serions encore chez vous, à l'abri.

Je tremble de la tête aux pieds. Maintenant, mon maître sait pourquoi il se trouve en plein désert. Je redoute sa réaction maintenant. Je me vois déjà mise à la porte de cette tente avec violence, livrée aux soldats après une réinitialisation. Instinctivement, je recule jusqu'à sentir le tissu de la tente sur ma peau. Je n'ose même plus lever les yeux, craignant ce que je pourrai y lire...

[Maximus]

En nage, épuisé par son combat, Maximus découvrit en entrant sous la tente qu'il lui restait une bataille à livrer avec Vita. Des tremblements la secouaient de la tête au pied. Terrifiée, elle trébuchait sur les mots en expliquant les raisons de leur présence ici. Maximus l'écoutait avec attention. Il la trouvait confuse et tentait de rassembler les morceaux. Selon elle, Minerve et Venus seraient à l'origine de leur présence au milieu du désert. Il n'en doutait guère. Seuls des dieux pouvaient transporter deux êtres vivants à plus de mille lieues de Rome en un battement de cils. Mais Maximus n'en comprit guère les raisons. Pourquoi Venus sermonnerait l'auteur d'une prière pour Minerve ? Si Jupiter avait été l'auteur de ces remontrances, Maximus aurait mit cela sur le dos de la nature de Vita. Peut-être que Jupiter ne souhaitait pas entendre les prières des androïdes, mais quid de Venus ? Maximus était perdu. Venus et son temple ne semblaient pas donner d'avis sur le statut des androïdes. Alors pourquoi la gronderait-elle ?

Maximus cligna des yeux plusieurs fois. Il n'avait pas l'intention de punir Vita, mais il savait qu'elle avait constamment peur de lui. Il n'avait jamais levé la main sur elle et ne le ferait sans doute jamais. Mais son passé provoquerait toujours ces réactions. Maximus s'approcha d'elle. Il voulait la rassurer et la serrer dans ses bras, mais elle recula jusqu'à ce que le tissus de la tente ne bloque sa retraite. Elle parla ensuite de l'attaque des tigres commanditée, selon elle, par Venus en personne. Maximus en doutait. Pourquoi la déesse de l'Amour mettrait en péril la vie d'une androïde ? Pourquoi Venus se manifesterait pour eux deux ? Toujours terrorisée, Vita fixait le sol et ne remarqua pas l'attitude de Maximus.

Par réflexe, il se retourna légèrement et observa la toile fermant la tente aux yeux indiscrets. Il ne savait pas comment réagir. Quand bien même il connaissait le passé de son esclave, il était profondément blessé par le manque de confiance manifesté par Vita. Il passa la main sur son crâne et réfléchit. Pour quelle raison la déesse de l'amour se manifesterait-elle si ce n'est pour ouvrir les yeux à un aveugle ? Il ne dit rien. Il n'avait pas hésité une seconde à sauver la vie de Vita au péril de la sienne. Qui n'aurait pas agit ainsi pour autrui ? De nombreux gardes de Pluton risquaient leur vie au quotidien pour les romains après tout. Il n'y avait nul Amour là-dedans. Mais Vita restait une androïde. Peu de gardes auraient risqué leur vie pour une telle créature. Pouvait-on aimer une androïde ? Maximus en était convaincu. Aimait-il Vita ? Il ne pouvait pas dire : « Bien sûr que non ! » Et voici donc toute la raison de son désarroi !

Maximus laissa Vita seule dans son coin contre le tissus de la tente et s'assit sur le lit de camp qui protégeait les dormeurs des insectes dissimulés dans le sable. Dos à Vita, il plongea sa tête entre ses mains incapable de savoir où il en était. Quelques temps plus tôt, il forgeait encore des fers à chevaux dans sa forge, à mille lieux d'ici, au cœur du marché romain. Vita avait-elle raison ? Si elle n'avait rien dit, seraient-ils encore à l'abri des remparts romains ? Maximus n'en savait foutre rien et cela l'exaspérait.

-- Les desseins des Dieux sont complexes Vita. Nous pourrions être ici malgré ta prière. Mais je vois mal Venus te reprocher une prière. Tu as manqué de respect à Minerve?

En finissant sa question, Maximus se tourna vers son esclave, toujours blottie au fond de la tente. Au son de sa voix, elle comprit que Maximus avait reculé et s'était assis sur le lit. Le regard de Maximus n'était pas chargé de haine, mais elle n'y verrait aucun sourire non plus. Il voulait des éclaircissement sur cette fameuse prière et, malgré le passé de son esclave, il était blessé par cette peur ressentie malgré sa gentillesse à son égard.

[Vita Proteus]

Réfugiée au fond de la tente, en plein désert, j'attends une colère qui ne vient pas. Je devrai pourtant le savoir, mon maître n'a jamais été violent à mon encontre. J'entends le lit craquer quand le colosse s'installe, silencieux. Je reste à ma place, ne cherchant pas à reprendre la parole. Je peux percevoir sa tension. Lorsque la voix de mon maître s'élève, je ne peux m'empêcher de trembler. Pourtant, il n'est pas en colère. Pas encore. Il demande juste quelques explications. Je relève doucement le regard. J'ai mal en regardant l'homme. Son regard est froid, distant même.

Ravalant mes larmes, je quitte mon dérisoire refuge pour m'approcher lentement. De toute façon, je ne comptais pas pouvoir y échapper. Je viens m'installer aux pieds de mon maître, mes mains venant se poser sur les siennes avec délicatesse et retenue. J'ai besoin de le sentir pour parvenir à calmer mes craintes. Je garde malgré tout le regard baissé. Lentement, je reformule ma prière, d'une voix douce et posée dans laquelle je ne parviens malheureusement pas à cacher la peur qui m'envahit alors que la prononcer une fois nous a valu bien des soucis.

Voilà maître, je ne voulais que prier pour vous mais c'est un échec. Venus vous a puni pour ma faute et je crois que Minerve est responsable de l'objet qui est tombé. Je tremble de peur à la simple idée de vous perdre, à la moindre pensée que vous puissiez être blessé au combat, ou par ma faute.

Je n'ai qu'une envie, me blottir dans ses bras pour y retrouver la sécurité et le bien-être que cela me procure. Mais je dois m'expliquer encore.

Venus dit que vous tenez trop à moi, que cela énerve votre déesse. Si je pouvais, je reviendrai en arrière mais c'est impossible. Depuis notre arrivée dans le désert, je cherche la solution adéquate pour réparer ma faute...

je n'ose finir ma phrase. Le courage me manque et je me demande vraiment pourquoi je m'inquiète autant pour la vie d'un humain. La réponse est si évidente que je me refuse à l'accepter. J'éprouve quelque chose pour mon maître mais je ne veux surtout pas y mettre un nom. Pas maintenant, ni même jamais sans doute. Mon regard se lève pour venir à la rencontre de celui du colosse. Je peine à cacher mes émotions, mes sentiments, mais je ne peux plus me dérober maintenant. J'ai été trop loin.

Il y a toujours eu un évènement pour nous arrêter... J'en conclue que les dieux réprouvent le simple fait que je puisse vous offrir du plaisir et en prendre avec vous. C'est ainsi. Je ne suis qu'une androïde après tout. Et puis... il y a aussi le fait que vous sachiez pour mon plot. Les dieux le savent aussi, c'est certain et Minerve ne doit pas apprécier voir l'un de ses consuls ne pas faire ce qui doit être.

Je me relève pour venir m'asseoir sur le lit, à côté du colosse, sans lâcher ses mains. Pour la première fois, je sais que l'offre est ma décision. Uniquement la mienne et celle de nul autre même si la mort m'attend au bout de ce chemin.

J'ai réfléchi et finalement, j'ai trouvé comment réparer tout cela et faire que vous puissiez rentrer à Rome sain et sauf.

Je cherche son regard, j'en ai besoin Il me faut quelque chose à me raccrocher avant de me jeter à l'eau.

Maître, la seule solution pour calmer la colère des dieux est de procéder à ma réinitialisation. Ainsi, votre déesse serait calmée envers vous...

Je me tais dans l'attente d'une réponse, d'une réaction. Mon sacrifice en échange de la vie de mon maître. Drôle d'idée de la part d'une androïde au plot inactif mais ainsi, les dieux ne pourront plus jamais douter du fait que je ne veux aucun mal aux humains.

[Maximus]

Maximus restait silencieux. Il écoutait Vita mais restait sans la moindre réaction. Une sourde colère l’animait. Elle ne se tournait pas envers Vita, mais envers les romains et lui-même. Il savait ce qu’il ressentait au fond de lui et crut sur parole Vita, malgré le côté rocambolesque de l’histoire. Imaginé un Dieu intervenir avant un autre lui semblait possible, mais pas pour un Consul et son esclave sexuel. Maximus retira ses mains de celles de Vita. Il avait deviné où elle voulait en venir, à sa réinitialisation.

-- Bah voyons ! lança-t-il à Vita devant la stupidité de sa réaction.

Il se leva et s’approcha de la tente. Dehors, il y avait de l’agitation. Il ouvrit la tente, observa et remarqua une altercation entre des soldats et des gardes. Deux centurions s’en mêlèrent et calmèrent radicalement les trublions. Il tourna la tête vers Vita et la regarda. Elle était si belle et si triste. Il s’approcha d’elle et lui désigna le lit.

-- Je sais que tu ne dors pas, mais tu vas t’allonger et réfléchir à ma profession, à son sens profond et aux raisons pour lesquelles je suis allé chez Spurius t’acheter.

C’était peut-être l’une des premières fois que ses propos ressemblaient à un ordre. Il se permit de rajouter qu’il ne parlait pas de la forge. Il se trompait peut-être, mais il crut qu’elle allait répondre. Alors il prit les devants et lui coupa la parole.

-- Réfléchis vraiment bien ! Jusqu’à maintenant, tu poses les questions et craches des réponses toutes faites et toutes fausses. Je vais te donner un conseil, Vita. Repose-toi les questions que tu viens de te poser et arrête d’inventer des réponses issues de tes expériences passées. Je suis différent et tu le sais, sinon tu ne serais pas aller prier pour moi.

Il se dirigea vers l’entrée.

-- Je reviens dans trois heures, je fais faire un quart de ronde. Réfléchis vraiment bien et cesse de prier pour moi !

La remarque était cinglante, il souhaitait la provoquer. Mais quand il fut dehors, il repassa la tête dans l’ouverture.

-- et commence à prier Venus pour nous deux, ce serait plus malin !

[Vita Proteus]

Pour la première fois, depuis mon entrée au service du colosse, je perçois un changement profond dans la relation qui s’est instaurée entre nous deux. Je me rends compte aussi des limites de mon « âme » et de l’importance de mes programmes de base. Maximus est en colère. Pas après moi même si quelque chose me dit qu’il n’en est pas loin. L’ordre est donné, le maître remet l’esclave à sa place et c’est bien plus douloureux que je ne pouvais le penser. Je savais que ce jour viendrait de toute façon. C’est dans la logique des choses, de la société qui a créé les androïdes comme moi pour les asservir. En silence, j’écoute les reproches de l’homme, tête baissée. Docile, je m’allonge sur le lit comme ordonné. Réfléchir. Comme si j’étais incapable le faire ! Je n’ai pas cessé de le faire depuis que j’ai quitté la boutique du marchand d’esclaves. La dernière phrase de mon maître manque de faire surchauffer mes programmes. Prier Venus ! La bonne blague ! Vu qu’elle ne me considère que comme une vulgaire catin de lupanar, je doute qu’elle apprécie vraiment la plaisanterie. À croire que mon maître souhaite que je sois punie par cette déesse...

Seule, je peine à rester immobile. Comment ai-je pu être aussi stupide au point de penser qu’une machine pouvait être l’égale d’un humain. Lia se trompe, nous n’avons pas d’âme, nous ne sommes rien d’autre que de simples objets utiles. Consul, telle est la profession de mon maître quand il ne forge pas. Il a en charge la réinitialisation des androïdes défectueux, dont le plot inactif ne permet plus de les contrôler. Machines dangereuses qui s’en prennent aux humains, comme ceux responsables de la vague d’attentat survenue à Rome juste après le départ du corps expéditionnaire. Je me sais incapable d’en faire autant mais cela ne signifie pas que je ne représente pas un danger malgré tout. J’en ai déjà eu l’envie, je ne peux oser prétendre le contraire. Faut-il que je passe à l’acte pour que mon maître se décide à agir? Je n’ai pas été créée pour tuer mais pour servir. Je ne dispose d’ailleurs pas de programme de combat dans ma configuration de base.

Reste la raison première de mon achat. Mon maître a fait mon acquisition, non pour mes capacités sexuelles, mais à cause de mon don. Celui qui me permet de soulager ses douleurs. J’ai beau cherché dans mes mémoires, je ne trouve trace d’aucun moment où il m’a considéré comme une vulgaire androïde sexuelle. Ce qui ne manque pas de m’étonner. Ce qui peut être une explication logique au fait que nous n’avons jamais pu obtenir une soirée tranquille lors de nos différents ébats sexuels. En grande partie dû au fait des réticences de mon maître d’ailleurs. Mais pas uniquement. Je reste persuadée que Venus n’apprécie pas de nous voir copuler ensemble. Logique quand on sait qu’elle se nourrit de l’orgone des humains. La déesse doit penser que c’est une chose que le colosse ne doit pas gaspiller avec moi. Et mon maître qui veut que je la prie pour nous deux... D’ailleurs, cette demande me dépasse. Comment peut-il m’ordonner une telle chose alors que c’est une prière qui nous a menés dans ce maudit désert ! À moins qu’il n’ait pas cru ce que je lui ai dit... Cette hypothèse me fait mal mais je ne peux décemment pas l’écarter. Venus... Soit, je vais le faire mais qu’on ne vienne pas me reprocher ensuite les conséquences inévitables liées à un tel acte.

Ô Vous, Venus ! Déesse des arts et du plaisir,
Vous que j’ai offensée pour avoir osé exiger,
Votre aide je viens humblement solliciter.

Mon Maître parle d’un « nous » qui ne peut être,
Qui ne doit être et pourtant je le ressens aussi.
Une telle chose ne peut exister, ne peut grandir
Entre deux êtres aussi différents que nous...

J’ai commis bien des erreurs, je le reconnais
Mais jamais je n’ai voulu être offensante
Envers les Dieux et Déesses protecteurs de la Cité.

À genoux, je viens implorer votre aide, vos conseils.
Non pour moi, une machine n’a guère d’importance
Mais pour mon Maître, cet homme que j’aime
Au point d’être prête à offrir ma « vie » pour son salut.
Donnez-lui la force d’accomplir sa Destinée,
D’honorer Minerve, votre sœur, sa Déesse.
Libérez-le de ses craintes, je vous en conjure
Qu’il puisse enfin voir son âme s’apaiser,
Que ses tourments le quittent et que ses choix
Deviennent source d’honneur fait aux Dieux et Déesses.

Vous m’avez dit qu’il m’aime, que notre présence ici
Est votre et qu’il s’agissait de nous protéger.
Montrez-moi la voie à suivre et je jure de vous honorer
Dans le moindre de mes gestes, dans toutes mes actions.

À genoux au sol, je tremble de tout mon être. Lentement, je retourne m’installer sur mon lit. Les trois heures sont bientôt écoulées et j’ignore de quoi sera fait mon avenir, celui de mon Maître. Mais au moins, je suis certaine d’une chose : je ne veux le quitter pour aucune raison autre que la mort.

[Maximus]

La fatigue s’abattait doucement sur Maximus. La durée de sa ronde avait finalement doublé. Quand il constata qu’un soldat peinait à rester éveiller, il prit le quart de ronde suivant. Contrairement aux autres soldats, il ne voyageait pas depuis longtemps. Depuis le départ du corps, la forge avait repris un rythme moins soutenu et il désertait quelque peu les rangs du Tribunal. Le temps s’écoulait lentement durant cette ronde. Le désert portait bien son nom, désert en dehors du corps expéditionnaire. L’installation du campement préconisée par Caius témoignait de son sens de la stratégie. À son avant-poste, il pouvait observer les deux campements et avait une vue dégagée sur plusieurs kilomètres à la ronde. Rien ne semblait vouloir troubler le calme de cette nuit claire. Seulement vers la fin de sa ronde des ombres dansèrent à l’horizon.

Des gardes de Pluton furent réveillés et réunis pour partir observer au loin, tels des éclaireurs. L’androïde au côté de Maximus observait leur avancer. Il se montrait particulièrement froid et silencieux. Il répondait uniquement aux questions sur l’avancée des gardes et ne semblait pas capable de mener une discussion. Quand les gardes revinrent, ils n’avaient rien trouvé. Les quolibets fusèrent entre gardes et soldats. Maximus savait que des tensions apparaîtraient dans le corps, dès qu’il eut vent des disparitées entre les légions choisies par le prélat. Les cavaliers, composés de nobles ou de tribuns de haut rang, ne souffraient pas de remarques. Mais les gardes et les soldats s’accrochaient de façon régulière. Les gardes reprochaient aux minerviens leur orgueil et leur manque de connaissance du désert. Les soldats reprochaient aux plutoniens de ne pas partager leur savoir et de les considérer comme des impotents loin de Rome.

Mais plus que ce conflit, Maximus observait les androïdes. Ils ne dormaient pas et veillaient, les yeux sur l’horizon. Leur vue était parfois meilleure que celle des humains, mais on leur reprochait leur faculté d’interprétation des signes lointain. Maximus regardait différemment les androïdes. Il ne se prenait pas d’affection pou les êtres sans âme et sans personnalité. Mais il découvrait parmi eux des êtres sensibles, souvent brisé par leur statut d’esclave.

Quand il revint à la tente, il ne fit pas le moindre bruit de peur de troubler Vita dans son sommeil. Cette androïde était dotée d’évolutions tellement subtiles que Maximus oubliait sa nature artificielle. Il avait oublié qu’elle ne dormait pas et se glissai doucement dans le lit avant de réaliser qu’elle était éveillée. Il l’enlaça dans ses bras naturellement. Seules les soeurs de Maximus avaient connu une telle tendresse de la part de cet homme.

-- J’ai réfléchi à ce que tu disais. Je crains la colère des dieux, encore plus quand j’assiste pour la première fois à l’une de leur manifestation divine. Mais, s’il est possible que Minerve soit en colère, je doute que Venus soit irritée, elle...

Il se tut. Taciturne, cet homme n’était guère connu pour ses grands dialogues. Mais il avait choisi ses mots.

-- Mais de toute façon, je crains plus de rester sans toi que la colère des dieux...

Une façon pour lui de préciser qu'il préférait tout plaquer que de la quitter.

[Vita Proteus]

Je suis inquiète. Les trois heures sont largement écoulées et mon maître n'est toujours pas revenu. Je me relève avant de sortir de la tente. Je ne m'en éloigne pas pour autant. Non que je craigne qu'il puisse m'arriver quelque chose mais je ne dois pas oublier que mon apparence suscite bien des convoitises et les premiers regards qui glissent sur moi ne trompent pas. Ni même les réflexions qui fusent rapidement de la part de certains soldats.

--Regarde-moi ce beau p'tit lot ! Elle pourrait bien s'occuper nous...
--Pas trop fort, elle appartient au Consul.
--Et alors !
--Et alors, ferme-la ! Elle n'est pas pour nous.

Voilà qui fait particulièrement mal mais je n'y peux rien. Un rapide tour d'horizon, je ne vois mon maître nulle part. Il me faut agir d'une façon ou d'une autre. Mon regard se pose sur le groupe de soldats. Je me décide enfin, m'approchant d'eux. Leurs regards lubriques me font frémir d'horreur mais je ne laisse rien paraître. Ne pas oublier que mon plot est censé être actif.

Il ne m'appartient pas de décider de l'utilisation de mon corps. J'ai été créée pour servir...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que l'un des soldats se saisit de moi et m'entraîne vers une tente, à l'abri des regards. Au nombre de trois, ils se déchaînent sur moi sans que je n'oppose la moindre résistance. Je subis, laissant mon esprit s'évader, me contentant de leurs offrir ce qu'ils veulent. Ma robe finit en lambeau. Comment vais-je pouvoir expliquer cela...

un peu d'eau pour me nettoyer suffit. La violence des soldats m'a brutalement ramenée à la réalité de ma condition. De retour dans la tente, je reste longuement sans bouger. J'ai commis une erreur. Le prix à payer s'est révélé particulièrement élevé. Pourtant, ce n'est pas la première fois que l'on se sert ainsi de moi. J'aurais du savoir que cela arriverait de nouveau. Telle une automate, je me glisse de nouveau dans le lit. Plus rien ne semble pouvoir m'atteindre maintenant.

Un bruissement de tissu m'informe que quelqu'un vient de pénétrer dans la tente. Immobile, je fais semblant de dormir pour m'assurer de l'identité de l'intrus. Qui n'est autre que mon maître qui tente de faire le moins de bruit possible. Aurait-il oublié que je ne dors jamais ? Il se glisse dans le lit. Comment va-t'il réagir quand il comprendra que je suis nue... Bah, il me mettra au service des soldats. Me voilà attirée contre lui avec une douceur que je ne lui connais pas. Le voilà qui prend la parole. J'écoute, attentive, silencieuse.

Que dire après une telle déclaration... J'avoue que je m'attendais à beaucoup de choses mais pas à cela. Je me retourne vers le colosse, venant me blottir dans ses bras. Je ne veux surtout pas briser cet instant de douceur qu'il m'offre. Qui sait quand le prochain aura lieu... Il me faut un long moment pour analyser les paroles de mon maître et pour que mes programmes les assimilent. De quoi faire surchauffer mes circuits surtout. L'impossible révélation de la déesse Venus prend brusquement corps et cela me dépasse totalement.

Je ne veux pas non plus me passer de vous mon maître...

J'ose venir déposer un baiser sur les lèvres de mon maître.

Je me suis inquiétée en ne vous voyant pas revenir au bout des trois heures... J'ai entendu du bruit venant du désert et j'ai craint qu'il ne vous soit arrivé quelque chose.

Par habitude, l'une de mes mains se pose sur le dos du colosse à la recherche de la moindre sensation de douleur. Je perçois sa fatigue mais rien d'autre.

Il vous faut dormir un peu.

Je redeviens silencieuse, laissant mon maître s'endormir. Je passe en veille, ne maintenant que mes programmes principaux actifs dont celui qui me permet de surveiller la tente. Le premier qui tente de s'en prendre à Maximus me trouvera en face, c'est certain.