[E3] Et l'homme jaloux s'écria: «T'es qui toi ?» [Caecilius]

[Tiberius]

-- Mouais... fut ma seule réponse à sa remarque sur les méthodes de la déesse de Venus, comme sur l’entêtement de Camilla.

Le débat sur Camilla et mes méthodes m’énervait, il ne mènerait à rien. Caecilius et moi-même resterions campés sur nos positions et ne céderions rien à l’autre. Je ne prêtai même pas d’attention à ces propos sur l’Amour. Qu’en savait-il ? Il ignorait que j’avais le don de lire les sentiments qu’éprouvaient les gens. Je ne souhaitais pas lui révéler que je n’avais rien lu dans le coeur de Camila. Seulement, je me trompais, j’ignorais que mon don ne fonctionnait pas sur les sentiments qu’éprouvaient les femmes à mon encontre.

Je balayais sa diatribe d’un geste de la main. Mais la suite m’intéressa bien plus. J’allais quitter le jardin, me débarrasser de sa présence quand il me parla de sa position contre les androïdes, ou plutôt de sa foi dans les androïdes. J’écoutai avec attention son histoire. Ce n’était jamais simple de perdre un membre de sa famille. Je n’ai ni père, ni mère, ni frère, ni soeur, personne. Mais je me suis forgé une famille de substition au sein du Temple qui m’a adopté. Et j’ai perdu bon nombre de prêtres et de prêtresses, emportés par les créatures du désert, ou par le barbarisme de certains romains.

-- Oh ! Votre frère, gardien de Pluton, devait défendre la ville et sous prétexte qu’un androïde n’a pas bougé lors d’une bataille mortelle, tous les androïdes sont des bons à rien ? Votre histoire est triste et douloureuse. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il était resté à regarder ? Vous ne vous êtes jamais interrogé sur ces plots qui les conditionnent à obéïr au doigt et à l’oeil et qui les empêchent d’éprouver des sentiments, de s’émanciper ? Et pensez-vous vraiment que l’androïde aurait eu une chance ? Je ne suis pas un combattant, si j’avais été à la place de l’androïde, je n’aurai peut-être pas fait mieux. Qui auriez-vous haït ? Tous les prêtres de Venus ? Tous les adeptes de Venus ? Tous les humains peut-être même ? Cessez de rejeter la faute sur cet androïde. Il avait un plot et aucun programme de défense. Ce qui est frustrant avec un androïde sans âme, c’est qu’il fait exactement ce qu’on lui demande. Ni plus ! Ni moins ! Commencez par regarder les androïdes avec une âme et peut-être passerez vous par dessus ce manque de foi dans les androïdes.

Je n’aimais pas ce débat, je n’aimais pas prendre ouvertement position pour la libération des androïdes. Mais Camila m’avait demandé à veiller sur son testament, sur l’avenir de Caeso. Et si l’âme de Camila devait disparaître dans le désert, Caeso serait sans doute la seule personne vivante à me rappeler à elle. Et je voulais, j’exigeais qu’elle ne soit pas avec un homme sans intérêt sur son sort.

[Caecilius]

Mouais ? C'est là tout ce que ça lui inspire quand on parle de la femme qui l'aime ? Comment et pourquoi Camila s'était éprise de lui demeurerait donc à jamais un mystère pour moi, quel dommage qu'elle se gâche pour cet homme mais paradoxalement j'avais envie de croire en lui. Camila le faisait, elle avait foi en lui, elle l'aimait, comment se pouvait-il qu'elle se trompe aussi lourdement ? Non je me devais de lui faire confiance, sans doute voyait-elle en lui quelque chose que je ne pouvais pas voir où bien même que je ne voulais pas voir, j'ignorais quoi mais elle devait le voir, alors je me contentais d'une confiance ... aveugle. J'aurais aimé que Tiberius la partage avec moi, qu'il ait confiance en Camila comme j'avais confiance en elle mais ça ne semblait guère le cas et que pouvait-il en savoir de ce qu'elle ressentait, de qui elle aimait ? J'avais entendu la voix de la belle, j'avais sentis son attitude, les voyants croient qu'il est plus facile de mentir à un aveugle parce qu'il ne peut pas vous voir, quelle stupidité, beaucoup plus de choses se devinent dans la voix et dans l'attitude mais ça, les voyants l'occultent, ne le voient pas parce qu'ils ne savent plus sentir les choses. Et puis quand bien même, pourquoi m'inquiétais-je donc de savourer Camila heureuse avec lui puisque ça ferait son bonheur à lui ? Pédant et jaloux, supérieur et imbu de lui, pile le genre d'homme à qui je pourrai souhaiter de ne pas trouver le bonheur bien que je ne le ferai jamais. Tout homme avait droit au bonheur, mais dans son cas j'avais le sentiment qu'il saurait seul s'en priver avec sa façon de se comporter et d'agir mais après tout, pourquoi cela me tenait-il à coeur ? Pour Camila et non pour lui, tant pis, qu'il agisse comme il l'entend.

La suite en revanche se fait surprenante, tandis que je viens d'expliquer la situation de mon frère, ce qui était arrivé et mon rapport aux androïdes, je ne m'attendais pas à une telle réaction de sa part. Lui qui semblait souvent faire preuve de nonchalance et de maitrise de lui semblait soudainement s'enflammer sur le sujet des androïdes. Non qu'il s'emporte et hausse le ton mais il prenait clairement position, utilisait d'interrogations auxquelles il portait réponse, des questions rhétoriques pour lesquelles il avait déjà la réponse, décidait à ma place, un discours que je connaissais, celui de l'assurance et l'emportement même lorsque le ton est maitrisé comme le sien. J'écoute et me tais, pas question de l'arrêter en si bon chemin, ça serait complètement stupide voyons. Lorsqu'il termine je suis partagé entre une envie d'applaudir à son discours courageux dans la Rome actuelle et de rire d'un certain mépris pour sa façon de s'emporter mais en définitive je ne fais ni l'un, ni l'autre, me contentant de hocher une fois la tête pour acquiescer à tout ce qu'il venait de dire :

- Des mots courageux par les temps qui courent. Vous me prêtez pourtant des mots que je n'ai jamais eu, jamais je n'ai dis que les androïdes sont des bons à rien, je suis aveugle mais je ne ferme pas les yeux sur ce que je réalise, les androïdes sont une aide précieuse à toute la ville de Rome et ses habitants. Pourquoi il n'a pas agis demeure pour moi un mystère, peut-être humain n'aurait pas bougé non plus mais vous avez raison, je n'en voudrai pas à toute l'espèce humaine si cela avait été le cas. Toutefois vous le soulignez avec raison, un plot qui force leur obéissance mais pourtant il ne fait rien alors que protéger une vie est une raison de son existence, comment jugez-vous cela ? Vous vous plaisez à souligner que libérée d'un plot ils éprouvent des sentiments mais alors pourquoi pas la haine, le mépris et la suffisance envers les humains ? Pourquoi pas l'envie de vengeance et la colère qui pourrait leurs faire prendre des vies humaines ?

Je repense à ses derniers mots :

- Quand à votre conseil de voir les androïdes avec une âme, vous apprendrez que j'ai réparé une androïde moi-même, que celle-ci se porte comme un charme et vie une vie paisible à mes côtés, et cela même avec son plot évidemment inactif.

Nul besoin d'être savant ou devin pour deviner que le plot de Flora devait au moins avoir des ratés sinon ne plus fonctionner, il suffisait de la voir se comporter et vivre selon ses émotions et ses envies.

- Voilà au moins qui aura eu le luxe de me faire comprendre votre inquiétude pour l'avenir de l'androïde de Camila.

[Tiberius]

Là, il m’avait clairement cloué le bec en me parlant de cet androïde réparée. Non seulement, il avait un don indaignable, mais en plus, il vivait avec elle tout en sachant pour son don. Je m’étais trompé sur lui et, par voie de conséquence, sur Camila. Je comprenais mieux pourquoi elle l’avait désigné dans son testament. Je me sentais comme l’enfant pris la main dans le sac, comme le gamin qui s’était fourvoyé dans ses propres préjugés. Une colère hallucinante s’enflammait en moi, une colère envers Camila. J’étais convaincu qu’elle avait agit volontairement. Elle connaissait mon caractère, elle savait me faire enrager là où le quidam ne me ferait même pas arquer un sourcil.

Je tournais les talons sans dire un mot. Pourquoi parler ? Je n’avais pas envie de présenter mes excuses à cet homme. Il venait de remporter une extraordinaire victoire dans cette joute verbale. Moi, fier et orgueilleux, je ne voulais me rabaisser à l’hypocrisie de saluer sa répartie et son verbe. Blessé dans mon orgueil, susceptible, je ne pouvais pas être bon perdant. J’avais donc tourné les talons et le laissait là, dans les jardins.

Alors que je rentrais, une peine gagna alors mon corps. Je devais également fuir pour qu’il ne découvre pas mes larmes. À une centaine de mètres de là, je plongeai mes mains dans un abreuvoir et me passait de l’eau sur le visage. Je devais lui laisser Caeso, je n’avais pas le choix. Il m’avait prouvé qu’il pouvait la protéger, qu’il traitait bien sa propre androïde. Une inspection ne ferait que me ridiculiser encore plus. Je n’avais donc plus aucune arme pour m’opposer à son testament. Comme je ne croyais pas en la survie possible de Camila, en perdant Caeso, je perdais l’unique lien vivant avec la flamme de mon coeur. Oh, il me restait sa demeure. Mais son lit avait perdu l’odeur de Camila. Rapidement tout y fanerait. J’aurais beau le protéger comme un sanctuaire, je savais qu’on ne pouvait empêcher un temple de suivre son cours. Grand-Prêtre de Venus, j’étais bien placé pour me rendre compte que je ne pouvais préserver le temple de sa propre évolution. Il en serait de même avec le domus de Camila. Il resterait peut-être un siècle en l’état, mais à force, il évoluerait, changerait. je perdrais les souvenirs des détails. J’étais déjà incapable de savoir si le miroir avait été redressé par Camila avant de partir ou par Caeso.

Je ne m’opposerai pas au testament. Je venais de perdre Caeso. C’est sur ce constat que je retournais au musée de Sertorius. J’avais beaucoup à faire au temple, mais je n’avais pas envie de travailler aujourd’hui. Je souhaitais me reposer, me recueillir


Caecilius 1 - 0 Tiberius.