[E3] Je serais tes yeux, si tu le désires

[Laelia]

Redescendue à toute vitesse, me laissant presque tomber de branche en branche tel un écureuil ou toute créature aussi agile, je suis bien vite arrivée en bas, encore presque physiquement sonnée par la vue que je viens de découvrir. Jamais je n'étais grimpée aussi haut dans un arbre, mais je tâcherais de ne pas l'avouer, ou Caecilius serait capable de me gronder. Ce n'était cependant pas la peur qui m'habitait, mais l'excitation du danger, de ce que j'allais voir tout là-haut, et le plaisir de le montrer aussi à mon ami.

Il me remercie en souriant et j'en suis heureuse. Heureuse d'avoir pu lui offrir quelque chose. Je ne suis pas très douée avec les cadeaux, mais apparemment celui-ci lui a plu, et j'en suis ravie. Son baiser ne parvient même pas à me décontenancer. Je connais Caecilius, et si j'ignore presque tout de sa vie privée, je sais qu'il n'éprouve rien pour moi. Je pense qu'un baiser qui aurait reflété des sentiments amoureux ou quelque chose qui s'en rapproche aurait été moins doux, moins chaste. Il me remerciait, tout simplement, et je ne prendrais ce baiser comme autre chose. Je n'ai pas envie de m'effaroucher pour si peu, ni de me fâcher, alors que tout ça ne veut rien dire du tout, à part un "merci" un peu maladroit.

Je crois qu'il a coupé son pouvoir, ou du moins, je le suppose : lui qui m'a demandé d'arrêter de le regarder tout à l'heure n'aurait pas conservé cette vue qu'il avait à travers les yeux pour me remercier de la sorte. Sa voix retentit à nouveau, doucement, en une flopée de compliments à mon égards qui me font rire. Je lui prends les mains doucement et dit à mon tour, d'une voix douce :

- Oublie les remerciement et autre politesse. Je suis là parce que je suis ton amie, et tout ce que j'ai pu t'offrir, je l'ai fait parce que je suis ton amie. Ce ne sont que des broutilles, ma façon de faire, et si tu en es content, heureux, alors moi aussi, je le suis. Continue de venir tous les jeudis, et ça suffira, tu sais?

Je ne lie que rarement des amitiés avec des personnes. Si je suis sociable et aimable avec tout le monde, si j'essaie de contenter toutes les oreilles qui sont à ma portée en jouant dans le vent, je vais peu souvent jusqu'à l'amitié. Je crois qu'il n'y a que Caecilius et Sylvia qui ont franchi cette barrière que je mets, je crois, un peu volontairement. Je lâche ses mains et m'adosse au tronc, avant d'ajouter sur le ton de la plaisanterie :

- Ceci dit, si un jour du découvre une nouvelle espèce de fleur, appelle-la "Gracilis" en souvenir de moi!

[Caecilius]

Laelia était pleine de vie, peut-être même de bien trop de vie à dire vrai. Elle courrait, s'agitait en tout sens, semblait avoir un besoin physique de vivre furieusement, toujours à cent pour cent, à pleine vitesse, pleine de son entrain naturel dont elle débordait. Je crois que nous ferions un couple assez terrible, elle avec toute sa vivacité, son besoin de vivre intensément et pleinement chaque chose et moi tellement plus calme et posé. Je n'ai pas forcément choisis une vie calme et douce mais je n'ai pas le choix, comment pourrai-je vivre comme Laelia en courant tout le temps alors que je ne vois pas les obstacles devant moi ? Alors forcément j'étais plus tempéré, plus calme, je vivais plus paisiblement, bien moins intensément mais ce n'étaient là que deux façons de vivre une vie, en aucun cas sans doute une était meilleure que l'autre. La seule différence que cela fait est la façon de vivre les choses mais en aucun cas ce que nous apportons dans nos vies. Aussi je crois que nous serions un couple terrible, si diamétralement opposé, si différents, elle croque la vie à pleines dents tandis que je reste un peu plus distant, moins expressif sans doute, moins émotif assurément mais ce que nous ressentons doit être pareil, sauf sans doute devant le spectacle d'un tableau cela va de soi, je ne m'émerveillerai jamais d'une vue somptueuse et Laelia ne percevra sans doute jamais un feu d'artifice d'odeurs et de senteurs comme je le fais. Ainsi va la vie.

Le spectacle qu'elle m'a offert en tout cas était absolument somptueux, aucun mot ne me vient pour le décrire, je connais trop peu les joies de la vue pour parvenir à savoir exactement ce que j'ai vu avec des mots précis. Pourtant je sais que j'ai aimé parce que cette vision était absolument magnifique et inoubliable, je chérirai ce souvenir comme souvent je le fais avec ce que j'ai la chance de voir à travers les yeux des gens. Comment remercier une adepte de Venus ? Bien sûr je connais bien un moyen mais ce n'est pas vraiment mon genre, Vita devait en avoir le souvenir puisqu'elle avait dû batailler pour obtenir ce qu'elle voulait finalement avec moi. Non que ça m'ait plus évidemment mais elle avait dû batailler et puis très sincèrement de me retrouver à prier Venus de cette façon avec Laelia, je ne pouvais l'imaginer qu'avec peine, ce n'était pas le genre de relation que je voulais avec elle, je voulais quelque chose d'autre, de différent, elle était comme une soeur pour moi. Aussi un petit baiser innocent, rien de mortel, une façon comme une autre de dire merci et, ne le cachons pas aussi, de goûter un bref instant à la douceur de ses lèvres. Homme je suis, homme je demeurerai apparemment, quoi que je veuille en faire ou en dire.

Je la complimente, elle le mérite finalement, elle prend mes mains et je souris, me laissant faire tandis qu'elle me dit d'oublier les remerciements et la politesse, alors ça, ça n'arrivera certainement pas tiens ! Ce qu'elle me dit me fait chaud au coeur, les amies sont rares, entendre Laelia parler ainsi à de quoi me réchauffer le coeur et le corps et faire naitre un énorme sourire sur mes lèvres. A sa demande mon sourire s'agrandit et plaisantin je réponds avec humour :

- Les jeudi ? Non je suis désolé, je ne peux pas. Les jeudi je suis pris, je vais dans les jardins pour écouter une musicienne, je crois même qu'elle joue aussi bien que toi, peut-être même mieux que toi ! En tout cas, je te remercie de ton invitation.

Je souris, heureux d'être là avec elle, écoutant ce qu'elle me dit alors sur l'hypothèse où je devrai un jour découvrir une nouvelle espèce de fleur. Je souris à ses mots, voilà bien un défi que j'accepte de relever !

- C'est entendu mon amie, si je découvre une nouvelle espèce de fleur, elle se nommera "Gracilis" à la condition qu'elle soit aussi douce et chaleureuse que tu l'es ! Maintenant, ne m'en veux pas, mais je crains devoir te laisser, aussi plaisante soit ta compagnie il m'arrive d'avoir du travail mais compte sur ma présence jeudi prochain. J'aime à avoir mon petit concerto privé, surtout quand la violoniste est aussi talentueuse que toi.