Nous discutions de l’éducation des Crida. Le père n’avait pas droit de cité. Il était exclu de la famille en un sens. Et je l’avais accepté en son temps. Mais je découvrais combien Sylvana avait souhaité connaître l’identité de son père.
J’observai ma fille se battre avec les démons de la tradition. Elle souhaitait connaître l’identité de son père, mais les traditions le lui interdisait. J’avais connu sa mère une seule nuit en réalité. Elle était venue me voir durant une prière et m’avait expliqué le minimum possible. Elle voulait un enfant, une fille, mais m’avait averti que je n’en serais jamais le père. J’avais refusé en bloc sa proposition. Elle m’avait alors sermonné, arguant que je ne m’intéressait qu’aux belles femmes. Elle n’avait fait que déclenché mon hilarité. Elle n’avait pas vraiment tort. Mais ma réponse l’avait estomaqué.
-- Je refuse, je serais son père si elle devient orpheline. Jamais je ne laisserai une enfant seule dans Rome
Sa mère resta pantoise à mes mots. Je m’en souviens comme si c’était hier. Cela remontera bientôt à 28 ans. La peine de Sylvana me touchait profondément. Orphelin de père et de mère, j’ignorais tout de ma naissance. On m’avait retrouvé en bas des marches du temple. Mes parents m’auraient déposé en haut des marches, une prétresse aura buté dans le panier en osier et j’aurais roulé jusqu’en bas, ne devant ma survie qu’aux linges où ma mère m’avait emmitoufflé. Cette histoire est risible et me donnait le sourire. Je trouvais cela drôle, comique car c’était le seul souvenir de mes parents. Je m’y attachais avec toute la force de mon coeur. Alors, voir ainsi Sylvana à la recherche de son père me peinait, d’autant plus qu’il lui faisait face et se taisait pour ne pas enfreindre ces fameuses traditions Crida.
Je m’imaginais mal prendre une voix rauque et lui dire de but en blanc : « Je suis ton père...» C’était trop théâtral et je respectai trop Sylvana et les traditions Crida pour agir ainsi. Mais je ne me tus pas pour autant.
-- Les traditions changent, elles évoluent. Maintenir les traditions coûte que coûte est malsain à mes yeux. Cela devient du conservatisme et la société n’évolue plus. Elle régresse même selon moi. Je ne veux pas dire par là que vous devez accueillir les hommes auprès de vous. Je ne veux surtout pas interférer dans votre culture. Mais si tu le désires, tu peux la changer. Pas de fond en comble ! Surtout pas ! Mais tu peux la nuancer. Par exemple, quand ta fille naitra, car je ne doute pas qu’il s’agisse d’une fille, si elle te demande l’identité de son père, tu pourrais lui donner. À toi de voir !
Je marquai une pause pour la laisser réfléchir. Ni elle ni moi ne semblions presser de partir de toute façon.
-- Tu sais, tu l’as dit toi-même... Je veux dire : La réponse. Tu l’as dite. Il suffit de t’écouter. Tu as dit que tu aimerais changer cela. Et tu as dit que tu ne voulais pas bouleverser cela. La réponse est aussi simple que cela.
Je levais les yeux sur elle. Elle ne me ressemblait en rien physiquement. Mais moralement, elle était comme la grande prêtresse de son culte et j’en éprouvais de la fierté.
-- Ta mère t’a éduqué avec brio, soin et bonté, je trouve. Si un jour, tu veux connaître l’identité de ton père. Il te suffira de me le demander.
Je souris et hésitai à me lever. Mais je ne voulais pas jouer dans la théâtralité.