Grâce à Spurius, mentir m’était désormais d’une étonnante simplicité. Mais feindre l’indifférence restait difficile et même douloureux. J’avais vu cette esclave pleurer. Oh oui je l’avais vue et son visage ne quittait plus mes pensées depuis. Humain, j’aurai sans douté rêvé d’elle, mais je ne dormais jamais. Les nuits à Rome pouvaient être longues et je profitais de ces moments pour réfléchir. Et elle hantait ces pensées. Tout remontait au départ du corps expéditionnaire. J’étais au bras de Sibylla. Nous quittions les arènes quand nous la croisâmes. Sa beauté était celle d’une androïde, mais ce n’est pas elle qui capta mon attention.
Mes réinitialisations successives avaient effacé mes pensées et je ne me souvenais pas de son visage. Il ne me rappelait rien. Non, malgré sa beauté et son regard, ce qui m’avait averti chez cette androïde se fut ses larmes. Elle avait détourné les yeux et une larme avait perlé sur sa joue. Ceci n’avait pu m’échapper. Une androïde pleurait. J’avais vainement cherché maintes explications. Une seuledemeurait et m’effrayait. Je pouvais me tromper, il pouvait s’agir d’une humaine qui pleurait le départ de son époux. Oh je craignais cette sombre hypothèse. Mais pourquoi ?
Je marchai dans les rues de Rome et approchait de la place du marché. Le coeur meurtri par cette éventualité, je m’interrogeai et cherchai à comprendre pourquoi j’accordai tant d’importance à cette larme. Après tout, il ne s’agissait que d’une larme. Et je savais, pour être un androïde, que j’avais une âme, que j’éprouvais des sentiments. Alors pourquoi cette androïde m’avait tant ému ? Je ne trouvai aucune réponse dans ces trois semaines de souvenirs. J’étais né il y a trois semaines. Je savais lire, écrire, parler, baiser et même chanter. Mais aucun de mes souvenirs ne remontaient à trois semaines. J’avais quelques bribes qui me revenaient, comme cette pièce de théâtre, comme cette sensation de brûlure sur un bras ou encore ce sourire fabuleux. Il illuminait tant le visage de sa propriétaire que j’étais incapable de me souvenir de la couleur de ses yeux.
Née de mes réinitialisations successives, une sourde colère me gagnait, mais j’avais la patience des androïdes et rien ne me la ferait afficher à autrui, pas même ce char romain qui faillit me renverser. Le soldat tenant les rennes n’eut pas un regard sur moi. Esclave sexuel, j’avais pourtant la chance de ne pas être affublé de ce code barre sur le front. Mais il m’avait ignoré comme l’esclave que j’étais. Une lueur apparut dans mon champ de vision.
-- C’était moins une...
Je souris vers le visage à ma droite et le regarda. Et c’était elle... J’ignorai son nom mais je la reconnus. Elle se tenait là, à côté de moi. Les dieux provoquaient-ils ce hasard ? Chaque contour de son visage se grava dans ma mémoire. Je ne voulais plus qu’aucune réinitialisation ne l’efface de mon visage.
-- Je me souviens de vous... J’ignorai combien je créai une désillusion. Je vous ai vu verser une larme au Colisée. Ma demande peut paraître incongrue mais êtes vous une androïde ? je marquai une pause et pris le risque de m’aventurer plus loin... Est-ce qu’on s’est connu ?