par Le conteur le 24 Septembre 2012, 01:25
Comme tous les matins, la nuit laisse place aux froides lueurs de l’aube. Comme tous les matins, les premiers bruits proviennent de la place du marché où le boulanger prépare ses pains. La pâte a levé, les pains ont été enfournés et une douce odeur devrait réveiller les habitants. Comme tous les matins, l’odeur de pain cuit est bien présente, mais ce matin, les romains ont déjà les yeux ouverts. Certains n’ont pas pu trouver le sommeil, d’autres sont déjà debout pour ne pas être en retard. Du palais du prélat au bas-fond en passant par les temples, la ville est silencieuse mais éveillée.
Un cheval hénit et laboure le saint sol de Rome, comme s’il sentait la tension romaine. Certains hommes n’ont pas dormi, d’autres non pas dormi dans le lit qui leur est attitré et d’autres grognent en vérifiant leur paquetage et en remarquant l’absence d’un objet quelconque. Les androïdes sont les premiers à sortir. Ils gagnent la place du marché, achète le pain, puise l’eau dans les puits et reviennent au domus pour prendre soin de leurs maîtres. Peut-être que pour eux, cette matinée ressemble aux autres. Seulement Rome va changer, même pour eux. La république touche à sa fin.
Car, ce matin, les froides lueurs annoncent tant le jour du corps expéditionnaire que le tombeau des lucioles. Les romains ne sont guère partagés sur le sujet. La propagande a fait son effet et rares sont les romains qui voient en ce corps expéditionnaire une mauvaise chose. Et même parmi les opposants les avis se partagent. Il y a les rares et farouches opposants et il y a ceux qui ne s’opposent que sur la forme et non le fond. Mais quelques soient leur avis, tous les romains se demandent ce qu’il y a plus au nord, derrière le grand désert. Seule Katla le sait, mais elle n’est pas en mesure d’en parler aux romains. Même les portes de Pluton respirent le calme. Les veilleurs sont sur les remparts et leurs cors n’ont pas sonné depuis une longue semaine. Les attaques sont étrangement rares. Peu de romains ne se risquent à des explications quant à cet étrange cessez-le-feu.
Pourtant d’ici quelques jours le gros des combats n’aura pas lieu par delà le désert, mais bien au coeur de la cité romaine. Mettius est prêt.
Chacun des soldats mangent à sa faim. Le prélat a fait preuve de générosité et ce matin, pour eux, le pain et les provisions sont offertes. Cornelia maudit son époux et ne manquera pas de rappeler aux dignitaires de Rome qui tient les cordons de la bourse.
Il est temps ! Les cors retentissent, mais le nombre d’appels n’informent pas d’une attaque imminente, mais ils sonnent le grand rassemblement. Mettius a choisi une heure bien matinale. Il n’a pas dormi, il n’en a pas eu besoin, Lucius lui a préparé une décoction pour le maintenir dans la plus parfaite des formes. La ville s’anime soudain, les portes de chaque maison, de chaque bicoque, de chaque domus s’ouvrent en grand et les soldats sortent, les romains convergent vers Coliseum. Certains retiennent des larmes mais la plupart sont silencieux.
Les tambours retentissent et battent le rythme des pas. L’entrée au Colisée est gratuite, mais Mettius a fait placer des urnes. Ces trésors seront la solde des soldats qui reviendront conquérants. Que les soldats reviennent ou non Mettius sortira vainqueur de cette journée. Les romains sont plus ou moins généreux. Ceux qui récolteront les fonds après le départ du corps dans moins d’une heure seront étrangement surpris par le nombre de mots, de lettres que les urnes contiennent.
Chacun a dit au revoir à ceux qu'il aime, les séparations ont eu lieu. Les tribunes sont ouvertes à ceux qui restent, l’arène s'ouvre à ceux qui partent. Alors, mes enfants, je me tourne vers vous. Quelle porte prendrez-vous ? Certains comme toi Ailanda hésite. D’autres comme toi, Camila gagne l’arène la mort dans l’âme. D’autres s’entraînent depuis une vie pour cette journée et la prêtresse-guerrière de Minerve en est l’une des premières à gagner le coeur de l’arène sur son destrier. Caius a été nommé et un étage de trois petits mètres le sépare déjà de son épouse Valentina qui restera ici sous la protection de Roenna. Lucius veillera sur le prélat et ses complots. Certains brilleront de leur absence comme le Consul Maximus, le grand prêtre de Venus et le grand prêtre de Pluton.
Les rangs se forment, les colonnes se dressent, les tribunes se peuplent et Sapiens retranscrit l’histoire de Rome et le prélat entre. Il porte une superbe armure mais se tient dans les tribunes. En hauteur, il surplombe Caius Aquilius pour lui rappeler que sa place est en bas et la sienne en haut.
Peuple de Rome, ce matin est l’aube d’une grande journée. Je vous ai promis le Colisée, je vous ai promis les Festivités et je vous ai promis que nous franchirions le grand désert. Peuple de Rome, c’est ce matin ! Nous avons longuement patienté pour nous libérer du Grand Désert. C’est ce matin que sonnera notre délivrance. Car ce corps n’est pas guidé par Caius Aquilius. Il est guidé par les Dieux eux-mêmes. Nous marchons dans leur pas, nous marchons vers l’Olympe ce matin !
En effet, c’est la première grande expédition depuis l’arrivée des Temples. Des feux d’artifices orchestrèrent les derniers mots du prélat dont le narcissisme supplantait Néron lui-même. Les ordres avaient été clairs et ne souffraient pas la moindre place à l’hésitation. Tous les soldats saluèrent le prélat en claquant des pieds en même temps. Cavaliers, officiers, fantassins, soigneurs, infirmiers, intendants, cuisiniers se dressèrent comme un seul homme et le corps quitta Coliseum par les grandes portes. La foule qui n’avait pas gagné le Colisée, dressait une allée d’honneur jusqu'aux portes de Pluton.
Mettius souriait. Il descendit dans l'arène et grimpa sur un cheval apporté par un androïde. Il avança et observa au loin l'armée de Caius quitter la ville. Son sourire n'était pas pour Caius, mais pour les assassins. Les assassins avaient reçu leur confirmation. Demain matin nombre d’opposants politiques seraient morts et les coupables étaient déjà désignés, certains étaient même déjà morts. Seule Lia savait combien Mettius avait anticipé ses élections, combien il s’était attendu à voir Minerve remporter les élections, combien il savait que son cousin ne se ferait pas réélire. Vu le niveau intellectuel de cette brute, cela l’arrangeait d’ailleurs. Il souriait, remarquait Valentina et souligna à Lucius l’absence de Tibérius. Peu importe, cette nuit, dans le temple de Venus comme dans les appartements de Valentina, les assassins frapperaient. Les yeux d’androïdes fidèles depuis des années scintillèrent, des programmes résidents s’activaient et les plots se levaient pour annuler la première règle : Tu ne tueras point d’humains. Un nouveau mantra prenait possession de leur être et ce soir, ils accompliraient leur mission assassine de cette même dévotion avec laquelle ils avaient servi leur maître.
Le plan de Mettius ne se déroulerait pas sans accroc, mais il avait prévu cela également. Ce matin n’était qu’une étape d’un plan qu’il travaillait depuis des mois déjà.