La souffrance est un don des Dieux.
Voilà ce que je me dis ce matin alors que mes doigts viennent caresser ce nouveau tatouage qui orne ma peau. J'ai défié les Dieux et me voilà marquée de nouveau comme un simple animal. Ce que l'on dit est peut-être vrai. Les Dieux ont crée l'homme à leur image. Je ne vois pas de différence entre Pluton et le bourreau qui me sert de maître. Je ne les envie pas. Ils doivent s'ennuyer à mourir pour avoir besoin de nous torturer ainsi. Ils sont censés avoir tous des pouvoirs ? Alors, pourquoi ne pas abolir la souffrance et tous les vils penchant de leurs enfants ? Si j'étais une déesse, je serais la déesse de la liberté. Personne ne serait plus jamais prisonnier. Je libérerais leur âme. La seule chose que me rappelle ce tatouage - car s'il est là, c'est bien pour que je n'oublie pas ce jour non ? - c'est que, oui, les dieux existent. Je n'ai plus de doute là-dessus. Comme je n'ai plus de doute sur le fait qu'ils aiment à laisser des enfants agoniser, des pères mourir et une race souffrir. J'ai dû expliquer ce tatouage à Mettius. À votre avis, comment l'a-t-il pris ? Pas bien non. Je dois encore remercier Pluton pour les marques qui voilent encore ma peau.
Je me maquille pour tenter de camoufler les bleus qui couvrent mon corps. Il est vrai que les androides régénèrent, mais pas assez vite pour que personne ne comprenne ce qui se passe sous le toit du prélat. Cela ne choque pas grand monde pourtant. De toute façon, je suis une machine. Pourquoi ressentir de la compassion pour moi ? Quand vous faites une bosse à votre grille pain, vous n'êtes pas désolé pour lui ? Là, c'est pareil. Je plains leur ignorance, sincèrement. Tout comme je plains ces pauvres hommes qui vont partir ce matin. Le prélat a tout prévu. Tout se déroule comme il l'a espéré. Je n'ai pas de sentiments envers les humains qui vont subir les foudres de Mettius. Cela ne me regarde pas. Ce que je vois dans ce départ, c'est que Rome perd une majorité de ses combattants. Son armée est divisée et la ville est affaiblie. Beaucoup d'androides sont partis aussi et la majorité ne reviendront sans doute jamais. Ce qui importe, c'est que la rébellion, elle, est toute entière et plus forte que jamais. Partez, partez, guerriers. Ne vous retournez pas.
La clochette de ma chambre retentit. Il est l'heure pour moi d'aller faire mon devoir d'esclave. Mon maître est en forme. Le jour pour lequel il a si durement travaillé est arrivé. Je l'aide à se préparer et à enfiler sa si jolie armure sans être passé au préalable entre ses cuisses. Il est beau à voir c'est sûr. L'apparat donne l'illusion escomptée. Il va faire mouiller les jezabelles en manque de puissance et d'autorité et rendre jaloux tous les maris qui ne trouvent pas cette faveur dans le regard de leur femme.
L'heure est venue et nous partons tous pour le défilé des troupes. Pratiquement tous les romains sont là. On lit la peur dans le regard des épouses des soldats. De la fierté dans celui de leurs pères. De l'admiration dans le regard de leurs fils. De l'humilité dans celui de leurs pairs. Ils partent pour sauver Rome. Ils sont l'espoir d'une patrie. Ils seront les martyrs de cette patrie.
Tout se déroule comme prévu. Tous marchent vers leur mort presque certaine et ils n'en ont même pas conscience. Je quitte le prélat alors que monsieur parade tel un pan charmant son peuple. Je vais retrouver les femmes Aurélius qui se trouvent plus loin en amont du cortège. Je dois me faufiler un instant entre les citoyens.
Dégage de là, putain !
Un homme vient de me pousser et de me faire tomber à terre. Je pourrais lui crever les yeux si je le voulais. Je me relève doucement alors que personne ne fait attention à moi. Mon regard se perd autour de moi. Personne n'est choqué ou même interpellé par ce qui vient de se passer. Quand mon regard s'ancre sur un homme. Le seul, l'unique. Je n'arrive plus à bouger. Il est là, à quelques mètres de moi. Celui que j'ai jadis aimé. Il vient dans ma direction et quand je remarque qu'il est accompagné d'une ravissante jeune femme, je panique. Je me retourne pour lui faire dos et pour pas qu'il me voit. Nos épaules se frôlent un instant ou je peux presque sentir son parfum et je le regarde s'éloigner de moi, le coeur en peine. Je l'aime et il ne se rappelle même pas de moi.
Je t'aime.
Tout ce que j'ai, tout ce dont j'ai besoin, c'est de l'air que je tuerai pour respirer alors qu'une larme coule le long de ma joue.