[E3]Un jour ma maîtresse viendra... [Clio][Terminé]

[Tetris]

Si tous les chemins mènent à Rome, on peut dire que tous les chemins mènent aussi au marché de Spurius quand cela me concerne. Une nouvelle fois, un maître venait me rendre. Comme explication, il donna qu'il n'en pouvait plus. Exaspéré, il ne tenta pas de faire la liste de ses reproches à mon égard. En réalité, Spurius ne lui en laissa pas le temps. Il savait très bien ce que le marchand de savon allait lui dire. Il préféra le mener vers d'autres modèles plus "performants" et de meilleures qualités, au prix plus attractifs pour lui.

Je ne comprends pas les humains. Je ne sais pourquoi ils réagissent tous de cette manière. Je ne suis qu'une machine. Je ne fais que répondre à leurs ordres. Cette fois, je suis restée trois semaines chez cette famille. La mine déconfite du marchand d'esclave m'a fait vite comprendre que j'avais plutôt intérêt à m'éteindre toute seule vite fait. Quand je sens que ça sent mauvais pour moi, c'est ce que je fais. Jusque là, cela m'a toujours porté chance. Quand je l'ai vu s'approcher de moi, le regard noir, la veine sur sa tempe devenir gonflée et violacée, je me suis dit que c'était le moment.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée inactive, mais quand j'ouvre les yeux, il fait presque nuit dehors. Je suis dans une ruelle où personne ne passe. Elle est étroite et sombre, sale et humide. Très vite la nuit tombe et je me retrouve dans le noir, chassant du regard les silhouettes des passants de l'avenue voisine. Personne ne m'a demandé de bouger d'ici, alors j'y reste.

Cela fait plusieurs jours que je suis à cette place, immobile. Je commence quelque peu à prendre la poussière. Je suis sale et mes vêtements ont l'air d'avoir été grignotés par les rats. Parfois, des bruits de pas se font entendre. Quelques romains passent, mais ils ne font guère attention à moi. Je souris de toutes mes dents à chaque fois qu'une âme s'approche, mais cela n'a que peu de succès. Les romains n'abandonnent pas leurs androïdes. Nous sommes bien trop précieux. Enfin, ils ! Ils sont bien trop précieux. Pour ma part, il semble que ce ne soit pas le cas. De ce fait, ils doivent penser que je suis la propriété de quelqu'un et personne n'ose faire attention à moi.

Je me mets en veille plusieurs heures par jour pour économiser de l'énergie et pouvoir l'utiliser le moment venu. Cela fait déjà une dizaine de nuits que je continue à sourire aux passants et attends dans cette rue lugubre. Peut-être que quelqu'un finira par me donner un ordre, une mission. Ramasser les crottes de pigeons, dépoussiérer les paver de la rue à la brosse à dent, repeindre les façades ou je ne sais quoi d'autre.

Mon écran bleu s'affiche. Je me suis éteinte cette nuit. Ma barre de chargement se remplie peu à peu et j'attends avec impatience que la lumière se lève. Quelques minutes sont passées et la voilà à son maximum, maintenant je peux ouvrir les yeux.

Surprise !

Devant moi se trouve une jeune femme au visage poupin et au regard angélique. Elle semble surprise que j'ouvre les yeux. Je crois que je lui ai fait peur. Un large sourire illumine mon visage.

Bonjour !

Bout en train, je ne dis rien de plus gardant mon sourire intact. J'attends qu'elle me donne un ordre, n'importe lequel. Je m'exécuterais. Je suis là pour servir et obéir et je sers et obéis.

[Clio Manilius]

On dit souvent que malgré la mort, la vie reprend ses droits. Je ne sais pas si c'est vrai mais depuis la mort des miens, j'ai l'impression de vivre comme un robot. Une chose étrange qu'un être humain se prenne au final pour un androïde. Je les enviais, je dois bien l'avouer. Du moins j'enviais ceux qui avaient un plot en état de marche. Pas de sentiment, pas de ressentit, juste des actes et des actions à accomplir. J'aurai bien voulu être ainsi. Ne plus rien ressentir, juste faire ce que je devais faire. Je n'étais pas très loin de ça dans l'absolu. J'agissais mécaniquement. Chaque matin je me levais, la force de l'habitude, j'avais rouvert mon magasin de fleurs après quelques jours et je servais de nouveau mes clients, habituels et nouveaux. Mais même les fleurs ne me redonnaient pas goût à la vie. J'agissais de manière mécanique. Même mon sourire n'en était pas un. Il était factice, plaqué sur mes lèvres pour ne pas faire fuir les gens ou les rassurer.

Je vivais sans vraiment vivre tel un fantôme. J'assurais les besoins de mon corps quand j'y pensais. J'essayais de manger au moins une fois par jour quand mon ventre me faisait trop mal ou se mettait à gargouiller trop fort. D'ailleurs j'avais du sortir aujourd'hui pour refaire quelques réserves alimentaires. J'essayais de sortir le moins possible de chez moi. Je n'avais pas le cœur à ça. Je n'aurai su où aller d'ailleurs. J'avais plusieurs personnes qui m'avaient dit de passer les voir, de venir dîner mais je n'en avais pas envie. Je ne me sentais pas le courage de tenir des heures devant des pseudo-inconnus à jouer un rôle et à faire semblant d'aller mieux. Je le faisais en journée mais quand le soir venait, que je me retrouvais seule, je me couchais sur mon lit et pleurais jusqu'à finir par m'endormir d'épuisement. Et le matin, tout recommençait comme un cycle sans fin. Si au moins je pouvais ne plus rien ressentir mais ce n'était pas possible. La douleur, la peine, le manque, la souffrance étaient mes compagnons qui ne me laissaient aucun répit sauf dans mon sommeil peut-être. Je revoyais alors mon père et mon mentor dans les jours heureux que nous avions connus. Mais au réveil, ma douleur n'en était que plus vive, le manque encore plus grand. M'en sortirai-je seulement un jour ? Je n'en étais pas certaine.

Quoiqu'il en soit, aujourd'hui je me retrouvais dehors, à arpenter le marché pour acheter quelques aliments. J'étais toujours vêtue de noir. J'avais teint toutes mes tenues en noir. Il ne m'en restait plus une seule de blanche comme si je savais que je ne retrouverai plus jamais ma vie d'avant. Je portais mon panier et décidais de passer par une ruelle peu fréquentée. Je ne tenais pas à rencontrer des visages connus. Je voulais juste rentrer le plus vite possible chez moi. Mais alors que j'avançais, je remarquais sur le sol une forme humaine. Surprise, je me précipitais vers elle et me rendis compte que c'était un androïde, une jeune fille. Mais comment avait-elle pu arriver là ? Dans quasiment une poubelle ? Les androïdes étaient considérer comme très précieux. On ne les mettait jamais au rebut. On les réutilisait toujours. Pourquoi pas celle-ci ? Inquiète, je me penchais vers elle. Même s'il s'agissait d'un androïde, j'avais toujours eu tendance à les voir comme des êtres humains et pour moi, cet androïde était dans le besoin. Lequel ? Je ne savais pas. Mais elle devait avoir un problème. Soudain, elle ouvrit brutalement les yeux me lançant un « bonjour » tonitruant. Je ne m'y attendais pas du tout et résultat je tombais sur les fesses et laissait mon panier se vider d'une partie de son contenu, pommes, poires et pain.

« Euh... Bon... Bonjour – je me rapprochais d'elle – Qui es-tu et que fais-tu là ? Seule comme ça ? »

[Tetris]

Et voilà, je lui ai fait peur. Ce n'était pas du tout mon intention, bien au contraire. Je voulais lui plaire, la charmer. Je voulais lui donner envie de moi. Je veux qu'elle m'emmène avec elle dans sa maison. Je ne sais pas qui elle est, mais je la veux. J'ai été crée pour être au service des humains. Elle est humaine, c'est tout ce que j'ai besoin de savoir.

Je vous attendais maîtresse.

Mes yeux se portent sur les fruits éparpillés sur le sol. Je me relève dans un bruit bizarre. Un bruit de fer qui grince. Ce n'est rien de grave. Je n'ai pas bougé depuis plusieurs jours. Une fois que j'aurai repris une gestuelle normale, les rouages de mon squelette seront de nouveau bien lustrés et mes mouvements ne devraient plus être accompagnés de bruits stridents.

Je commence à ramasser délicatement les fruits pour les remettre dans le panier que je garde en main. Je ne sais pas où on va et j'attends qu'elle bouge ou qu'elle me pose une question pour savoir quoi faire et où aller. Je lui tends la main pour l'aider à se relever.

Je promets de vous servir du mieux que je le peux et de vous être dévouée corps et âme.

Elle va certainement se demander si je n'appartiens pas à quelqu'un d'autre. Il est vrai qu'il est inhabituelle de voir un androide, à disposition dans les rues. Je refuse de me dire que j'ai été abandonnée aux ordures. Je sais au fond de moi que je vaux beaucoup plus que cela. Tout comme je ne comprends pas cet agacement qui habite souvent mes propriétaires. Je ne fais que ce que l'on me demande. Au mot près. Ce n'est pas de ma faute s'ils ne savent pas ce qu'ils veulent.

Avant l'arrivée des temples, je n'avais jamais eu ce genre de désagrément. Mon créateur était fier de moi et de mes services. Je ne désespère pourtant pas de retrouver un jour ce même lien qui nous unissait. Cette jeune femme à l'air douce, mais si triste. Je suis sûre que cette fois c'est la bonne et que nous sommes faites l'une pour l'autre. Je veux qu'elle puisse se reposer sur moi et avoir confiance en moi. Je peux lui être utile. J'en suis sûre et certaine.

Mon maitre m'a apporté au marché pour me rendre, mais le vendeur d'androide n'a pas voulu de moi et m'a mise ici en attendant mon nouveau propriètaire. Vous êtes la première personne que je vois depuis ce jour. Je suppose donc que vous êtes ma maitresse.

Je vois qu'elle hésite encore. Alors, je lui fais mon regard triste et mets tout ce que j'ai pour la convaincre.

Je rouille ici. Je vais m'éteindre à petit feu si je ne quitte pas vite cette rue.

Chacun peut interpréter ce que je viens de dire comme il veut. Il y en a qui vont comprendre que je risque de mourir. Ce qui n'est pas le cas, car je suis indestructible. D'autre qui me connaissent ne vont pas se laisser prendre. Mais je ne mens pas. Mon système risque de se mettre en sécurité comme il y a plusieurs années quand les temples ont été construit et je risque de m'éteindre peu à peu, système après système et de ne me rallumer que dans très longtemps.

[Clio Manilius]

L'androïde était du genre joviale et avenante. Deux qualités qui me plaisaient. D'ailleurs, mise à part le bruit de rouages que la jeune femme émit, rien m'aurait permis de dire qu'il s'agissait d'une androïde. Elle était mignonne, un peu enfantine, un peu.. comme moi. Oui c'était étrange comme sensation. J'avais presque l'impression d'être face à un miroir. Mais ce miroir remontait à quelques temps maintenant, quand les jours avec les miens existaient encore. Je la regardais ramasser mon panier et le tenir, ne semblant pas vouloir me le redonner. Je saisis la main tendue et me relevais en époussetant ma tenue. La bonne humeur de l'androïde était communicative, je me sentis presque obligée de lui rendre son sourire même si le mien était certainement moins vrai que le sien. Maintenant, même quand je souriais, je paraissais triste mais bien parce que je l'étais.

L'androïde me touchait beaucoup. Elle semblait craindre d'être abandonnée en ce lieu. Je ne comprenais vraiment pas comment on avait pu la laisser là. C'était méchant et cruel. Abandonner quelqu'un à son sort au milieu des poubelles sans espoir, c'était monstrueux ! Je ne pouvais pas la laisser là. Même si je n'avais pas vraiment besoin d'un androïde, il n'était pas question qu'elle reste ici, seule. Mais il fallait d'abord que je vois le marchand. Je n'aimais pas cet homme qui s'enrichissait sur le dos de créatures qui étaient comme des humains. C'était purement de l'esclavage comme me l'avait dit Senecca dans le passé. Mais emporter l'androïde comme ça, chez moi, je risquais de gros problèmes.

« Je me nomme Clio et toi ? Comment t'appelles-tu dis-moi ? »

J'essayai de lui sourire pour la rassurer même si en ce moment je n'étais pas très douée pour ça. Je voulais qu'elle comprenne que j'allais faire tout mon possible pour l'aider.

« Écoute, je te propose d'aller voir le marchand. S'il est d'accord, je te garde avec moi. Est-ce que ça te va ? »

J'espérai que le marchand voudrait bien me la laisser pour pas trop cher. Je n'avais pas beaucoup d'argent devant moi et l'achat d'un androïde n'était pas une petite affaire. L'espoir faisait vivre et j'espérais sincèrement que le vendeur serait compréhensif même si, quelque part, j'en doutais mais j'essayais de ne rien montrer à celle qui, peut-être, allait venir dans ma maison.

[Tetris]

J'essaye de la convaincre de m'emmener avec elle. J'en ai plus que marre de rester assise à moisir dans cette rue. C'est avec beaucoup d'entrain et un large sourire que je lui donne mon prénom.

Je me nomme Tetris ma domina.

Pour moi, c'était fait. Je l'avais déjà adopté et désormais elle était ma domina. Peut-être qu'elle n'en était pas encore consciente, mais d'ici quelques heures, elle ne pourrait plus se débarrasser de moi. Du moins, c'est tout ce que j'espérais. Un androide est fait pour servir. Il n'y a rien de pire que d'être exclu pour nous. En tous les cas, pour moi c'est comme ça que ça se passe dans ma tête. Sans maitre, je ne suis plus bonne à rien.

Alors que je la vois sourire, je me dis que l'affaire est dans la poche, seulement elle veut aller voir le marchant avant. J'aurai dû me douter que ce ne serait pas aussi facile que je l'avais imaginé. Je commence à grimacer et à chercher une solution de lui faire oublier cette idée. Le marchand me déteste et ne veut plus me voir. C'est bien pour cela qu'il m'a jeté à la rue. Il se fiche complètement de ce que je peux devenir. Pourtant, je sais très bien que si la jolie Clio va le voir, il va essayer de me ventre à prix fort. Je ne sais pas si la jolie blonde aura les moyens de m'acheter et si ce n'est pas le cas, je croupirais encore pour longtemps dans cette ruelle. C'est la mort dans l'âme que je me résigne. C'est ce que veut ma maitresse après tout, je n'ai pas à contester ses désirs.

D'accord maitresse.

Je ne sais si elle apprécie que je l'appelle ainsi, mais c'est comme cela que la majorité de mes propriétaires m'ont demandé de les nommer. On finit par prendre le chemin vers la boutique. L'entrée est à l'extérieur de la ruelle. Elle donne sur la grande rue, là où passe tous les passants. C'est un bon endroit. Il y a toujours du passage et cela m'a toujours amusé de les regarder vivre derrière la vitrine. Je croise les doigts pour qu'un miracle arrive ou que les dieux soient avec moi et c'est ce qui se produisit.

La boutique est fermée.

C'est avec le plus grand sourire qui soit que je dis ces quelques mots à Clio. Du coup, je suis toujours là, ses courses à la main et j'attends un signe de sa part.

Des fois, il peut partir plusieurs jours vous savez !

J'exagère un peu, car c'est exceptionnel quand cela se produit, seulement, elle ne le sait pas.

Que dois-je faire Domina ?

J'ai besoin que l'on me guide, que l'on me donne des ordres. Je n'ai pas été faite pour faire preuve d'autonomie. On m'a faite pour exécuter des ordres et c'est ce que je m'évertue de faire ?[/quote]

[Clio Manilius]

Je n'aimais guère me faire appeler « Domina » surtout pare que je n'y étais pas du tout habituée. Personne ne m'avait jamais appelé comme ça jusque là. Le seul androïde que j'avais connu, Senecca, m'avait toujours appelé par mon prénom et réciproquement. La notion de maître/androïde était très vague pour moi vu que je voyais les androïdes aussi humains que les humains. Un défaut pour beaucoup de ceux de ma race mais cela m'importait peu au fond.

« Très bien Tétris. Allons donc voir cet homme. »

La laissant s'occuper de mes courses qu'elle tenait depuis que je les avais lâchées, je me mis en route pour la boutique de Spurius. Cet homme n'était guère réputé pour sa générosité. C'était même tout le contraire. Quelque soit la qualité de l'androïde, il arrivait toujours à le vendre à un prix élevé. Cela n'augurait rien de bon, ni pour moi, ni surtout pour celle qui m'accompagnait. Mais le sort ou peut-être ma déesse, Cérès, fit en sorte que le magasin soit fermé ce jour là. Je fronçais les sourcils devant la porte close. J'aurai préféré réglé le problème tout de suite mais visiblement je devrais attendre. J'étais d'une honnêteté maladive alors prendre un androïde que je n'avais pas payé d'une part et dont je ne savais pas s'il était libre d'autre part, me mettait mal à l'aise mais je n'y pouvais rien. Je poussais un léger soupir, déçue de ne pas pouvoir régler cela maintenant.

« J'espère qu'il reviendra bientôt ! En attendant, tu vas venir chez moi. J'assainirai la situation plus tard. Suis moi Tétris. »

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