Si tous les chemins mènent à Rome, on peut dire que tous les chemins mènent aussi au marché de Spurius quand cela me concerne. Une nouvelle fois, un maître venait me rendre. Comme explication, il donna qu'il n'en pouvait plus. Exaspéré, il ne tenta pas de faire la liste de ses reproches à mon égard. En réalité, Spurius ne lui en laissa pas le temps. Il savait très bien ce que le marchand de savon allait lui dire. Il préféra le mener vers d'autres modèles plus "performants" et de meilleures qualités, au prix plus attractifs pour lui.
Je ne comprends pas les humains. Je ne sais pourquoi ils réagissent tous de cette manière. Je ne suis qu'une machine. Je ne fais que répondre à leurs ordres. Cette fois, je suis restée trois semaines chez cette famille. La mine déconfite du marchand d'esclave m'a fait vite comprendre que j'avais plutôt intérêt à m'éteindre toute seule vite fait. Quand je sens que ça sent mauvais pour moi, c'est ce que je fais. Jusque là, cela m'a toujours porté chance. Quand je l'ai vu s'approcher de moi, le regard noir, la veine sur sa tempe devenir gonflée et violacée, je me suis dit que c'était le moment.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée inactive, mais quand j'ouvre les yeux, il fait presque nuit dehors. Je suis dans une ruelle où personne ne passe. Elle est étroite et sombre, sale et humide. Très vite la nuit tombe et je me retrouve dans le noir, chassant du regard les silhouettes des passants de l'avenue voisine. Personne ne m'a demandé de bouger d'ici, alors j'y reste.
Cela fait plusieurs jours que je suis à cette place, immobile. Je commence quelque peu à prendre la poussière. Je suis sale et mes vêtements ont l'air d'avoir été grignotés par les rats. Parfois, des bruits de pas se font entendre. Quelques romains passent, mais ils ne font guère attention à moi. Je souris de toutes mes dents à chaque fois qu'une âme s'approche, mais cela n'a que peu de succès. Les romains n'abandonnent pas leurs androïdes. Nous sommes bien trop précieux. Enfin, ils ! Ils sont bien trop précieux. Pour ma part, il semble que ce ne soit pas le cas. De ce fait, ils doivent penser que je suis la propriété de quelqu'un et personne n'ose faire attention à moi.
Je me mets en veille plusieurs heures par jour pour économiser de l'énergie et pouvoir l'utiliser le moment venu. Cela fait déjà une dizaine de nuits que je continue à sourire aux passants et attends dans cette rue lugubre. Peut-être que quelqu'un finira par me donner un ordre, une mission. Ramasser les crottes de pigeons, dépoussiérer les paver de la rue à la brosse à dent, repeindre les façades ou je ne sais quoi d'autre.
Mon écran bleu s'affiche. Je me suis éteinte cette nuit. Ma barre de chargement se remplie peu à peu et j'attends avec impatience que la lumière se lève. Quelques minutes sont passées et la voilà à son maximum, maintenant je peux ouvrir les yeux.
Surprise !
Devant moi se trouve une jeune femme au visage poupin et au regard angélique. Elle semble surprise que j'ouvre les yeux. Je crois que je lui ai fait peur. Un large sourire illumine mon visage.
Bonjour !
Bout en train, je ne dis rien de plus gardant mon sourire intact. J'attends qu'elle me donne un ordre, n'importe lequel. Je m'exécuterais. Je suis là pour servir et obéir et je sers et obéis.