Ô temps, suspends ton vol ! Et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
Le destin est étrange, dérageant voir même incompréhensible, parfois. J’avais donné ma parole que je ne ferai aucun commentaire sur les sentiments qu’il m’avait avouée. Pourtant, j’aurai tant aimé lui dire quelque chose surtout quand je savais que je ne reviendrai peut-être plus. Je m’étais promis de tout faire pour ne rien regretter. De faire en sorte de franchir mes propres limites, comme je l’avais fait avec Tibérius sur le pont de Vénus le soir des élections. Je savais aussi qu’on se reverrait, qu’on se recroiserait d’ici mon départ. Ce soir, avec Caecilius, je devais aller au bout de ce que je désirai. Un long silence se fit entre nous deux alors que mes réflexions ne cessaient de marteler mon esprit. Tenir ma promesse face à lui, c’était très compliqué. Et qu’aurai-je pu lui dire ? Je l’aimais énormément mais mes sentiments étaient très différents de ceux que je pouvais ressentir pour le grand Prêtre de Vénus. J’en avais toujours fait qu’à ma tête. Mon père n’avait jamais pu me marier à un homme riche de la cité car il était hors de question que je fasse un mariage arrangé. Cela m’était inconcevable. Femme politique, femme de la cité, guerrière aussi, j’avais une vie bien mouvementée et certainement loin de plaire à un homme. Mais cela n’était pas ma priorité de plaire aux autres. Soit on m’acceptait telle que j’étais, soit on passait son chemin. C’était ainsi.
Jamais je n’avais réfléchi exactement à ce qui me liait à Caecilius. Peut-être parce que je m’étais toujours dit qu’il ne pourrait pas tomber amoureux de moi, que nous n’étions que des amis, des confidents. Là, effectivement, sa révélation m’avait secouée mais je devais me reprendre et ne rien laisser paraitre. Je n’avais pas terminé. Je savais son appréhension envers les androïdes mais qui mieux que lui aurait pu s’occuper de Caeso ? Tibérius ? Non, je ne pense pas. Ils ne se supportaient pas ni l’un ni l’autre. Et puis Caeso était pour moi une amie, loin d’être une droïde. J’avais forcé la main, j’en étais consciente mais mes jours étaient comptés avant mon départ, et je ne pouvais me permettre de discuter.
- Je peux le comprendre, parfaitement. Mais, je tiens à ce testament. Tu feras de ses objets ce que tu voudras : les garder, les jeter, les revendre. Ce choix te revient, je n’ai aucun mot à dire dessus.
Puis, vint le cadeau, plus beau, plus privé, plus intime. Celui qui me tenait à cœur : une broche finement dessinée et en or, représentant le cheval ailé : Pégase. Mais bien plus encore, mes doigts glissèrent dans le creux de son cou. Je n’étais pas aveugle pour faire une telle demande. Je ne ressentirai pas les mêmes sensations que lui, et ce n’était pas mon but en lui faisant cette demande. Puisque je ne pouvais rien lui dire. Puisqu’il m’avait presque ordonnée de me taire, je devais trouver un moyen de lui faire comprendre ce que j’éprouvais pour lui. Je repris ma position, à genoux devant lui. Lentement, mes mains se levèrent et mes doigts effleurèrent son front. Je tremblais. Je n’avais jamais fait cela auparavant. La pulpe de mes doigts glissait sur ses tempes, redessinant l’arrondi de ses sourcils, l’arrête de son nez. Mes gestes étaient d’une lenteur calculée. Je percevais la douceur de sa peau jusqu’à ce que je caresse le velouté de ses lèvres. Mais je ne m’arrêtais pas à son visage comme il avait pu le faire avec moi. Non, mes paumes flattèrent sa gorge puis ses épaules. Ses vêtements me dissimulaient le contact de son corps mais ce n’était pas bien grave. Il ne pouvait me voir mais j’avais les yeux fermés, comme pour m’imprégner totalement dans ce moment particulier et rien qu’à nous. Je continuais, arrivant sur son torse, descendant progressivement le long de son corps, vers son ventre, pour remonter, et refaire le même parcours jusqu’à glisser le long de ses bras et entremêler mes doigts aux siens pour finir. Je ne désirai pas mettre un terme à ce lien entre nous deux. Je ré-ouvris mes prunelles ambrées le détaillant de nouveau mais avec le regard, cette fois-ci.
- Je ne sais pourquoi il faut attendre un évènement important pour faire ce que l’on a toujours souhaité ?
Je lâchais une de ses mains, gardant l’autre précieusement tandis que mes doigts remontaient contre sa nuque. Je me penchais vers lui, lui indiquant mon approche, mon souffle s’échouant subtilement sur sa bouche avant de poser mes lèvres sur les siennes. Je lui offrais un baiser tout aussi fragile que le sien.