Elle affirma ne pas avoir confiance en moi, pourtant je ne sentis là aucun risque supplémentaire. Ses doutes ne m’étonnaient pas et témoignaient de sa grande expérience. En imposant à Spurius de venir chercher son or, je la soupçonnais de vouloir rappeler son rang. Elle ne se déplaçait pas. Au contraire, on venait à elle, chercher l’argent. Elle s’imposait avec prestance.
Pour la suite, elle ne sembla pas réagir à ma façon de récupérer la bourse. J’en conclus que je devais arrêter de chercher à lire les expressions de son visage. La politique avait aguerri cette femme dans la dissimulation de ses sentiments. Pourtant, je me trompai. Nous sortîmes ensemble et je vis ses épaules se relâcher. Toute la crispation de cette entrevue retombait. Je l’observai à moitié néanmoins. Mes dons ne fonctionnaient pas sur elle. Je tournai la tête et vit deux femmes. Mes pouvoirs fonctionnaient sur les autres, pas sur elle. J’ignorai les obscures raisons de cette défaillance système. Durant la nuit, je lancerai une analyse plus complète de mes programmes de maintenance. Évidemment, je tus ce défaut.
Elle posa néanmoins sa main sur mon avant-bras, mes systèmes extrasensoriels s’éveillèrent et diffusèrent une profonde et douce chaleur dans sa main. Esclave sexuel, mon corps avait été forgé pour répondre au moindre contact. Elle m’interrogea sur le prénom que je souhaitais. Je la regardai du coin de l’oeil et sourit encore une fois amusé par ces mots si bien choisis.
Eh bien, j’ai toujours voulu qu’on me nomme maître, sénateur ou encore prélat.
Je souriais, mais ne manquai nullement de respect à Domina. Aucune ironie ne dessinait mes lèvres. C’était un simple trait d’humour pour la détendre et la servir au mieux. Et je ne mentais pas. Je n’ai jamais eu l’honneur d’être nommé par un prénom. Malgré mes bribes de souvenirs, aucun prénom ne me revenait. Par contre, pour la suite, je devais mentir. Le programme démarra immédiatement et bloqua certains stimulis liés au mensonge comme la déglutition, le regard en bas à gauche, les sourcils un peu trop relevé.
Je n’ai pas de souvenirs, mais je ne pense pas qu’on m’ait appelé une seule fois par un prénom. J’ai un titre, Servius. Les clients de Spurius nommaient leurs esclaves féminines par leur prénom. Meretrix leur rappelle trop que la femme simule ses sentiments. Les femmes nous appellent par notre rang et cela leur permet de se rassurer sur leur supériorité. C’est l’expérience que je tire de cette courte semaine. Mais vu votre question, vous êtes différente, mes conclusions ne reflètent peut-être pas une généralité. Je n’ai pas besoin de prénom. Mais si vous souhaitez me prénommé, je prendrais le temps de la réflexion pour vous en proposer un chargé de sens.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais des scènes de théâtres urbains en tête et j’appréciai le prénom utilisé par l’actrice qui me donnait la réplique. Seulement, il était encore enfoui par les réinitialisations successives.
Nous quittions les bas-fond. Les citoyens romains changeaient de visage. Plus nous avancions, plus leurs vêtements gagnaient en propreté puis en qualité. Sa main quitta son bras, son attitude se voulut plus altière. Je pris le document qu’elle me tendit et l’ouvris une seconde pour en photographier le contenu. Je le rangeais aussitôt à ma ceinture et nota qu’il me faudrait une petite besace pour ranger ce document entre autre chose. Alors que nous marchions, j’observai la photographie prise et énonçai son identité.
Sénatrice de Minerve, Sibylla Atilius Cérès. Je saurai vous nommer au mieux, en affirmant votre rang ou en le taisant en fonction de votre interlocuteur. Mais avez-vous une préférence au quotidien ?
Certains romains n’utilisaient que leur surnom, d’autres leur prénom. Je savais faire preuve d’initiatives, mais il demeurait des questions nécessaires. «Domina» ne pouvait lui plaire puisqu’elle ne voulait pas m’imposer Servius.