[E3] On est bien chez soi •Lulian•

[Livia Caelius]

- Vous pouvez compter sur moi. Seulement, si cela ne vous ennuie pas, j'aurai peut-être besoin que vous m'appreniez certaines choses que je vous demanderai au fur et à mesure. Je suis fait pour m'occuper d'une maison, pas d'un palais, et je ne sais pas tout faire qui soit en correspondance avec cette époque.

Un palais. C'était une définition amusante pour ma demeure. J'avoue que sur sa conception, je me suis laissé emporter par mon rêve d'enfant. J'ai crée la maison dont je rêvais pensant à la sérénité qu'elle pouvait m'offrir à ma future famille, si Venus me permettait d'en avoir une. N'est-ce pas là ce que tout artiste cherche ? Avoir de l'amour, une belle et grande famille ? Tout ce que je n'ai pas pu avoir, je l'offrirais à mes enfants, du moins, c'est ce à quoi j'ai toujours songé. Bien que mon père ne se soit jamais montré démonstratif sur le côté affectif ayant toujours été absent pour son travail et s'évader de la maison autant qu'il le pouvait pour échapper à la vue de ma génitrice qui la rebutait plus que tout. Enfant, je pensais que mon père me haïssait, que je lui rappelais sans cesse celle qui le trompait et se montrait odieuse avec ceux qui n'appartenaient pas à son rang. Elle pouvait parfaitement s'entendre avec le Prélat, d'ailleurs, aussi monstrueux l'un que l'autre.

- Bien entendu, je vous apprendrais ce que vous ne comprenez pas et vous montrerez la démarche à suivre, sinon Augustus vous expliquera si je ne suis pas là.

Bien qu'Augustus mérite amplement cette fonction, il l'avait refusé préférant laisser la place à la jeunesse. Il était satisfait de sa situation qu'il trouvait calme et qui ne lui demandait pas plus d'effort. Il se faisait vieux et espérait une retraite paisible. Ayant servi ma famille depuis toujours, je lui avais dit qu'il pouvait considérer ma demeure comme la sienne, vivre ici autant qu'il le souhaite.

Une fois que l'entrée fut amenée, je servis Lulian, sourire aux lèvres. Ma façon de faire ne devait pas être semblable à celle qu'il connaissait. Je devais lui paraître étrange de par mon comportement. Après tout, je traitais les androïdes comme des humains ayant le droit à leur propre liberté. J'ai été élevée ainsi ayant appris grâce à Azura qu'ils avaient parfaitement le droit d'être traité dignement sans les soumettre à ce qu'ils ne désiraient pas. Bien que cette question ne passe pas dans leur tête, programmé pour servir et non pour se faire servir. Mais, j'avais un pressentiment qu'un jour, la roue tournera et viendra le moment où ils pourront faire valoir leur liberté. Mais à voir quand cela arrivera.

- Je suis flatté que vous me donniez ce statut, Livia. Mais, je dois vous avouer que je suis aussi très surpris. Pourquoi confier un tel poste à moi, et pas à quelqu'un de plus ancien sur votre demeure, qui vous connait mieux, et dont je pourrais prendre la place ?

- Il faut parfois donner la possibilité de plus à certaine personne ne pensez-vous pas ? Offrir une chance que d'autre ne pourrait donner. Je vous pense tout à fait capable d'intégrer cette fonction. Je l'avais proposé à Augustus, mais il préfère avoir un poste plus calme. Le brave n'est plus très jeune et il préfère laisser la place aux jeunes. Mais bien sûr, il pourra vous apporter son expérience dans le domaine.

Coupant un morceau de tomate, je le portais à ma bouche et le mâcha lentement appréciant la fraîcheur et la douceur qu'il apportait à mon palet. Vraiment délicieux, j'aime à avoir des produits frais, c'est nettement meilleur à déguster qu'autre chose.

- Et puis c'est en forgeant que l'on devient forgeron Lulian.

Je lui souris et continuais de manger lentement prenant le temps d'apprécier. L'entrée terminée, les serviteurs apportèrent le plat principal composé de rosbeef, une purée de pomme de terre avec brocolis la purée dont le jus de la viande offrait un goût délicieux à la purée. J'espérais que le repas serait apprécié par Lulian. Je l'avais décidé moi-même pour fêter sa venue dans ma demeure. La boisson qui accompagnée le repas était un délicieux rosé léger et quelque peu fruité.

- Vous êtes libre si vous le souhaitez de vous rendre en cuisine et pourquoi pas de partager quelque recette avec le cuisinier. Il aime papoter avec quelqu'un d'aussi gourmand et gourmet que lui.

Le dessert arriva après que l'on est digéré le plat principal et ce fut une délicieuse poire belle-Hélène. Portant un morceau de fruit exquis décoré de chocolat à ma bouche, je fondis littéralement sous la délicatesse et le bien-être qu'il m'apportait. A la fin du repas, j'étais repue pour mon plus grand plaisir.

- Avez-vous apprécié ce repas Lulian ?

[Lulian Caelius]

S'il comprenait bien, elle lui laissait une chance de prouver ses capacités en terme de gestion d'habitat. Une chance pareille, il fallait la saisir et ne surtout pas la manquer, elle ne se présentait pas deux fois en une dynastie. Le vieil androïde sourit pour montrer son contentement.

- S'il en est ainsi, j'accepte volontiers votre offre.

L'atmosphère dans cette maison l'enchantait. À la fois confortable et simple, belle et harmonieuse, les servants semblaient tous apprécier leur travail et ne pas être fatigués à la tâche, mais en même temps travaillaient efficacement. Un équilibre trouvé par la maîtresse de maison parfaitement réussi, et le poursuivre ne serait pas chose aisée. Allier ainsi charisme et sympathie n'était pas donné à n'importe qui, surtout pas à un androïde. Il n'y avait bien qu'une prêtresse de Venus pour arriver à un tel résultat. Lulian inspira un grand coup, réfléchissant à comment il allait pouvoir s'y prendre. Demander aux servants des choses faisables, le faire poliment avec le sourire, savoir pardonner les erreurs et les rassurer, mais s'assurer qu'ils fassent au moins le travail dont ils sont largement capables. Il lui faudrait du temps pour apprendre tout cela.

- Et puis c'est en forgeant que l'on devient forgeron Lulian.

Exactement. Il y arrivera avec le temps. Ces mots le réconfortèrent et il reprit son repas, un grand sourire aux lèvres. Les plats délicieux se succédèrent un à un, et Lulian prit le temps de tout décortiquer dans sa bouche pour essayer de comprendre la méthode de cuisiner les aliments. Elle était complexe et précise, il ne put tout déceler. La technique s'alliait à une connaissance parfaite des produits. L'androïde se sentit dépassé par cette performance, ses faibles connaissances en cuisine ne rivalisaient pas une seconde avec celle des cuisiniers de la demeure. Il se demanda s'il était le seul à s'apercevoir du talent de ces derniers. Ou peut-être était-ce lui qui était plus mauvais que la normale ? Pour lui, de tels chefs devraient ouvrir un restaurant et gagner confortablement leur vie, mais s'il le fallait, ils n'étaient pas meilleurs que la moyenne des cuisiniers de Rome. Si c'était le cas, que valaient les autres ? Lulian ne savait l'imaginer.

- Vous êtes libre si vous le souhaitez de vous rendre en cuisine et pourquoi pas de partager quelque recette avec le cuisinier. Il aime papoter avec quelqu'un d'aussi gourmand et gourmet que lui.
- Vous avez lu dans mes pensées, j'allais vous le demander. C'est vraiment un cuisinier d'exception que vous avez là.

S'en suivit le dessert, toujours aussi maîtrisé. Au final, l'androïde n'avait rien laissé dans ses assiettes, il avait toujours tout mangé. Ses batteries en étaient d'ailleurs largement rechargées. Puis la question concernant le repas arriva, comme prévu.

- C'était un succulent repas, je vous en suis reconnaissant mademoiselle.

Il aimait remercier tout le monde à tout bout de champ. La politesse avait un rôle important dans son système, même quand celle-ci était inutile ou inadaptée. Un remerciement ne fâche jamais personne, voilà sa façon de voir les choses. L'androïde se leva, remit sa chaise sous la table, se courba devant sa maîtresse, et se demanda une fois de plus s'il pouvait se rendre utile en quoique ce soit. Pour lui, c'était important, car la plupart du temps les tâches étaient quotidiennes, et s'il lui fallait faire une chose aujourd'hui, il l'enregistrerait et penserait à le faire tous les jours suivants. C'était un androïde basé sur l'apprentissage par son entourage, son système était principalement conçu là-dessus, car la notion d'auto-apprentissage venait d'être créée à l'époque de sa création. Les scientifiques s'étaient donc sentis obligés de lui installer ce programme. Et aussi, pour un adroïde qui allait servir toute sa vie la même personne, il valait mieux qu'on n'ait pas à lui répéter constamment les mêmes choses. Voici les raisons pour lesquelles Lulian serait un peu dépendant de Livia les premiers jours, puis il viendrait le jour où il décidera de lui-même quoi faire.

Finalement, il finit par interpréter le fait de pouvoir aller questionner le cuisinier comme une autorisation à faire ce que bon lui semblait. C'est là-dessus qu'il annonça qu'il allait quitter la pièce, et qu'il la retrouverait tout à l'heure, sans vraiment savoir à quand cela l'amènerait. Peut-être demain s'il le fallait... L'androïde devait se laver, questionner le cuisinier, et il trouvera probablement d'autres choses à faire en chemin. Sa première direction fut la salle de bain. Il en avait mémorisé une au non loin du triclinium où il se rendit. La pièce était spacieuse elle aussi, malgré que ce ne soit qu'une salle de bain, et les couleurs blanches renvoyaient la lumière à merveille, donnant une sorte de chaleur à l'espace. Lulian comprit vite le système de la baignoire et fit couler l'eau froide, pendant qu'il se dévêtit pour y entrer.
...
Il s'aperçut alors que ça n'avait rien à voir avec ses douches sous les cascades où le passage de l'eau glaciale suffisait à le nettoyer. Il démarra un système qui réchauffait l'eau et sentit tout de suite la chose plus efficace. C'était contraignant pour un androïde de devoir se laver, mais sans cela il finirait par ne plus savoir se mouvoir. Ses articulations étaient faites un peu à la chique, mais finalement peu fonctionnelle, avec cette substance qui permettait au robot de toujours savoir faire aller les roulements, mais qui s'évacuait vers l'extérieur pour éviter les surchauffes. Un peu de graisse ferait largement l'affaire, mais il fallait bien ce genre de choses pour avoir l'air humain aussi. Une personne qui ne se lave jamais serait suspecte, son but était de paraître le plus humain possible.

Après toutes ces réflexion, il songea à quitter le bain et aller peu-être dans sa chambre, pour poursuivre ses méditations sans déranger personne. Lulian ne dormait que deux heures par semaine en temps normal, alors la plupart du temps il flânait partout où il pouvait pendant que les gens dormaient, et il ferait sûrement de même cette nuit, d'autant plus qu'il y avait beaucoup de choses sur lesquelles s'attarder dans le jardin. Mais, tout d'abord, commencer par se sortir du bain et s'habiller. Ce serait une bonne chose.

[Livia Caelius]

Assise sur le rebord de ma fenêtre, lyre délicatement posé sur mes jambes. J'observais la clarté de ce ciel m'apportant de sublime poésie oubliée pour certaine, mais qui lentement pour une oreille et un regard attentifs se faisaient à nouveau découvrir. Je songeais à cet ancien temps, si loin et pourtant proche de nous. Nous avons tous régressé à une certaine époque de l'antiquité que les anciens ont pensé plus honorable pour nous, mais la vie de certain me laisse à penser que certaine chose ont été mal pensée, mal traduit. Au lieu d'améliorer certaine chose, on ne cherche qu'à les rendre plus décadents.

Fermant les yeux, je pris une grande inspiration et me mit tout simplement à jouer pour les âmes innocentes qui doucement s'endormaient dans leurs lits après que leurs parents les aient bordé. Ma voix ne tarda pas à se faire entendre racontant l'histoire de petites créatures ailées qui voletaient dans le ciel, scintillant et maligne créatures qui ne pensaient qu'à jouer adoptant l'habit des saisons. Chacune d'elle étant unique et voué à un élément ou bien à un endroit particulier. Ces petites fées mutines qui jouaient, dansaient et chantaient à n'en plus finir. Vu différemment selon le pays où l'on se trouvait, ces pays de l'ancien temps. Certain les voyaient comme bénéfiques et d'autre comme plus mauvaises, de mauvais esprits prêt à faire de mauvaises choses.

Nous les artistes aimons prêter un regard plus positif sur les choses. Nous pensons que le monde est assez négatif et qu'il n'y a pas de raison d'en rajouter plus encore. Une nouvelle inspiration née d'un regard innocent, celui d'un enfant jouant sans se soucier de ce qui l'entoure ne comprenant pas certaine chose. Ne faisant aucunement la différence entre le Bien et le Mal. Qu'adviendra-t-il de lui lorsqu'il aura grandi et qu'il pourra comprendre le monde qui l'entoure. Suivra-t-il le mauvais exemple en le pensant tout à fait normal ou au contraire tentera-t-il de se faire une place en faisant les bons choix et ne suivant pas le chemin de ces pairs.

Je songeais à Lulian et à sa difficulté à comprendre pourquoi je me comportais ainsi. Pensant sûrement que je cachais mon jeu afin de mieux le posséder, l'achetant par mes bonnes intentions, alors que c'était totalement faux. J'ai toujours été ainsi ou plutôt je le suis devenue grâce à une certaine personne qui influe beaucoup sur mes choix. Sans elle, je serais devenue aussi détestable que ma génitrice dépourvue de bonté n'étant bonne qu'à être au lit et à faire du mal aux autres.

Puisse un jour les mentalités changer et s'améliorer avec le temps. Puisse Venus entendre ma prière et m'aider à la réaliser ou à le faire comprendre. Gardons l'innocence de l'enfance et chassons la méchanceté qui nous entoure. Puisse cette nouvelle ère nous être favorable.

[Lulian Caelius]

L'androïde ne dormait pas, ses batteries étaient pleines, surtout après le repas qu'il venait d'avoir. Plusieurs possibilités s'offraient à lui, en cette nuit où seul lui pouvait travailler sans être gêné par la fatigue. Il pouvait faire le ménage que les servants n'avaient pas eu le temps de faire, faire le tour de la demeure pour voir quel travail il pourrait bien effectuer, ou juste passer le temps en se promenant ou réfléchissant dans sa chambre. Plutôt procrastinateur, il se dit qu'il lui faudrait d'abord que les servants lui apprennent tout le travail à faire ou pas sur la maison. Pour cette raison il attendrait la prochaine nuit pour se mettre au boulot.

Il ouvrit sa fenêtre afin de faire entrer un peu d'air frais, et surtout pour entendre les grillons et autres sauterelles. Il aimait le son de la nature, le chant des bêtes, à la fois rudimentaire et subtile. Mais très rapidement, c'est un tout autre chant qu'il entendit par sa fenêtre. Un chant humain à priori, bien que la perfection du son laissait à en douter. Pour Lulian, ces sons se traduisaient par des courbes, indiquant fréquences, amplitudes, et des spectres, indiquant les harmoniques. Tout se combinait à merveille, les fréquences étaient parfaitement adaptées aux notes souhaitées au Hertz près. L'androïde crut reconnaître la voix de Livia, mais il avait toujours des doutes sur ce qu'il entendait. Ce chant n'avait pas grand chose d'humain, cet être imparfait. Venus venait-elle elle-même chanter pour bercer cette demeure qui en faisait tant pour elle ? Lulian ne croyait pas aux Dieux, mais il devait avouer qu'une telle performance ne pouvait provenir d'une autre personne qu'un esprit supérieur. Le jeune robot passa par sa fenêtre et se dirigea vers la source de cette ode à la musique. Il s'aperçut que le son venait de l'autre côté de la demeure et arrivait à lui en ricochant sur la végétation omniprésente. Il arriva sous une fenêtre. Il reconnut dans l'obscurité la silhouette de Livia, assise sur le rebord de sa fenêtre, belle et mirant le ciel, pensive. C'était donc d'elle que venait tout ceci... Il s'approcha, d'un pas régulier, la fixant, admiratif. En marchant, il reprit ses esprits et prit un sourire charmé.

"Excusez-moi de vous déranger... J'ai entendu un chant, mais je m'attendais presque davantage à rencontrer Venus qu'à vous trouver... Je... C'est juste incroyable, cette voix, est-ce un don des Dieux ?"

L'athé, dans son euphorie actuelle, était prêt à croire que les Dieux avaient réellement confié leur voix à la prêtresse. Après tout, les prêtresses de Venus jouissent d'une aura particulière, les rendant immanquablement charmantes et attirantes. Alors pourquoi pas avoir aussi une voix digne d'une sirène ? Il y avait des choses que Lulian ne s'expliquait autrement que par la religion. Même s'il essayait de se persuader que ses connaissances étaient limitées et que la réponse à ses questions résidait dans la science et non la croyance, les coïncidences qu'il vivait au quotidien le forçaient à supposer l'existence des Dieux. Cela le perturbait tellement qu'il en était d'ailleurs sorti de sa chambre le kimono ouvert, sans rien en dessous que son caleçon. Il ne s'en était pas aperçu, l'algorithme en avait oublié ce genre de détails.

[Livia Caelius]

Dans mon enfance, j'avais considéré Vénus comme une déesse noire. L'exemple donné par ma génitrice ne la portait pas à sa juste gloire. La déesse me dégoûtait, m'effrayait et ne méritait pas d'exister. Mais, au côté d'Azura, j'ai su que ma façon de penser était injustifié. De tous temps, les hommes ont donné parfois une mauvaise image de leur dieu en tuant en leur nom, alors que cette conduite impardonnable rendait les hommes haineux et dégoûtait par la religion.

Je ne suis pas surprise que certain n'y croit pas, au vu de ce que l'on fait des Dieux de nos jours. Mais je m'évertue à croire que malgré cela, ils croient en quelque chose d'aussi fort et qui leur permettent de continuer à vivre et en croire à un lendemain meilleur. Ma vision du monde n'est aucunement naïve, mais je pense qu'en pensant de la sorte, on peut espérer à ce que le monde tourne d'une façon meilleure. Nul besoin d'ajouter des rouages rouillés par le sang et la méchanceté. Il faut briser cette roue de souffrance et de désespoir pour sauver les hommes et les androïdes.

Si je devais me battre un jour pour quelque chose, ce serait pour que l'on reconnaissance que les androïdes aient parfaitement le droit au respect et à la reconnaissance qui leur sont dus depuis leur création. Plus de travaux dégradant et humiliant, les considérer comme des êtres à part et pouvant espérer une vie plus plaisante. Sans soucis et sans crainte d'être battu ou déprogrammer parce que leurs plots sont inactifs.

Élevé les hommes et les androïdes dans les cieux, libre comme l'aigle et en paix avec eux-mêmes et les uns et les autres. Voilà ce que je souhaite au plus profond de moi. J'ai été élevée ainsi et ne changerait pas de mentalité quoi qu'il arrive. J'espère seulement que je ne suis pas la seule à penser de cette manière.

Pensive et rêveuse d'un monde tout en couleur où les notes s'harmonisent pour créer une belle utopie. Je peux voir dans mon imagination une grande prairie fleurie où humain et androïde s'entraident. Des enfants courant, jouant et riant dans une belle innocence qui sûrement s'évaporera un jour, mais dont la droiture et le respect des autres resteront en eux.

"Excusez-moi de vous déranger... J'ai entendu un chant, mais je m'attendais presque davantage à rencontrer Venus qu'à vous trouver... Je... C'est juste incroyable, cette voix, est-ce un don des Dieux ?"

La voix de Lulian me sortit de mes rêves. Baissant la tête, je le voyais m'observer avec une certaine admiration. Un sourire se dessina sur mes lèvres tandis qu'il me complimentait et se demandait d'où venait cette voix irréelle que je possédais.

- La Déesse Vénus s'est montrée généreuse en me l'offrant, mais pour parvenir à ce niveau j'ai dû travailler bien des heures.

Je lui demandais de m'attendre rangeant ma lyre et le rejoignit sourire aux lèvres. Passant mon bras sous le sien, j'entamais en sa compagnie une petite marche dans les jardins de Vénus. Quoi de mieux qu'un nom pour honorer la déesse et la représentait par des fleurs et une sublime mélodie de parfum qui se mariaient ensemble avec une douce harmonie.

Le guidant vers la fontaine à présent propre, je m'assis sur le rebord invitant Lulian à en faire de même. Main plongé dans la clarté de l'élément, je m'amusais à caresser du bout des doigts, les petits poissons rouges qui y nageaient paisiblement et habitué à ma présence.

- Je suis bien heureuse de vous avoir ici. Votre présence me rappelle une androïde qui est chère à mon coeur, ma mère si je puis dire.

Relevant la tête, je lui souris.

- Que pensez-vous des humains qui comme moi aiment et respectent les androïdes et les traitant comme des êtres à part entière ? Cette chose est mal vue dans la cité, mais je m'en fiche. Je me sens plus androïde qu'humaine pour dire vrai. Je porte une profonde affection pour les vôtres.

[Lulian Caelius]

Sa peau pâle reflétait à merveille la lueur bleue métallisée que leur apportait la lune. Ces couleurs se dégageaient d'elle telle une seconde source de lumière, c'était du moins ce dont avait l'impression Lulian. Si ses yeux n'en étaient pas éblouis, son cœur l'était bel et bien. Bien qu'il n'ait pas de cœur.
Quand Livia lui répondit, l'androïde s'aperçut qu'il venait d'interrompre ce chant envouteur. Il s'apprêtait à le regretter mais soudain elle lui dit de l'attendre. Lulian ne s'attendait pas à ce qu'elle sorte de sa chambre, ce n'était pas du tout son intention, il voulait qu'elle se repose. Gêné, l'androïde patientait en espérant qu'elle ne le rejoigne pas malgré elle. Il la savait très gentille, peut-être même un peu trop, et ne voulait surtout pas l'embêter davantage qu'il ne l'avait déjà fait. Pendant qu'il s'inquiétait il ferma son kimono. Il la vit sortir de cette demeure et ses craintes s'envolèrent, à tort peut-être, ou par égoïsme, mais il était heureux qu'elle ait décidé de le rejoindre.

Toujours aussi affective, elle le tint par le bras pendant leur marche vers la fontaine. Lulian ne savait trop pourquoi, mais son système semblait vouloir lui faire apprécier d'être ainsi pris par le bras. Alors il l'apprécia, tout comme il appréciait la simple compagnie de cette femme, ou le simple fait d'être là, vivant, créé, de jouir de la vie aussi artificielle fusse-t-elle.
Décidément, elle adorait cette fontaine, et il y avait de quoi. L'eau, élément pur, transparent, reflétait cet éclat bleuté aux soupçons de gris, lui en donnant ainsi la couleur, tel que l'on en croyait être un extrait liquide tout droit venu des cieux. Et ce résidu de lune claquetait incessamment, offrant un rythme et un fond sonore à cet espace poétiquement divin. À cet orchestre s'ajoutaient les chants des grillons, le croassement des grenouilles et le son du vent s'engouffrant entre les feuilles. Il ne faisait pas froid non, le vent été chaud, son souffle apportait réconfort et tranquillité. Peut-être était-il soufflé par Vénus-même, qui réchaufferait l'endroit pour y attirer la vie, qui par nature recherchait constamment la chaleur. L'androïde se surprit à songer de plus en plus souvent à l'existence des Dieux, et pourtant il n'y croyait pas, cela il en était sûr.

- Je suis bien heureuse de vous avoir ici. Votre présence me rappelle une androïde qui est chère à mon coeur, ma mère si je puis dire.

"J'en ai vu des androïdes multitâches, mais des qui savent se reproduire, ça jamais..." pensa aussitôt Lulian. Il lui fallut 2.45 secondes pour comprendre qu'elle ne parlait pas de sa vraie mère, mais d'une personne qui lui était chère et qu'elle considérait comme mère. Oui, les humains étaient parfois bien difficiles à comprendre pour les machines. Il ne savait pas vraiment quoi lui dire, ni même s'il pouvait lui poser la question qui lui brûlait les lèvres : "comment était-elle donc pour vous être si chère ?" Il craignait de potentiellement réveiller de douloureux souvenirs ; si elle lui disait cela, c'était sûrement que cette androïde n'était plus là aujourd'hui.

Heureusement pour lui, il n'eut rien à dire. Livia lui posa une question très intéressante. Il hésita entre la réponse poétique, dont le décor se prêtait très bien, ou la réponse longue mais exhaustive. Formel et peu sensible, Lulian choisit la deuxième solution. Il respira un grand coup puis leva ses yeux vers les étoiles. Ça ne servait à rien, mais il adorait regarder les étoiles.

"Entre humains, la personne qui respecte les autres est bien vue, car elle ne fâche personne, ce qui est normal. Le fait que les humains ne respectent en général pas les androïdes vient de la nature de l'androïde, or il y en a plusieurs types. Qu'est-ce qu'un androïde ? Un robot censé imiter l'Homme, entre autre. La définition laisse beaucoup de possibilités, ce qui explique toutes les variétés d'androïdes que l'on rencontre. Mais, comme je ne les connais pas toutes, je me prendrai comme exemple pour la suite du raisonnement. Je suis fait pour obéir, conçu pour ne jamais me plaindre, ainsi la notion de douleur ou de tristesse m'est inconnue. Tout n'est que chiffres, deux chiffres, zéro et un. Il suffit qu'on me commande d'être heureux en toutes circonstances pour que je le sois. Le défaut est que, si je ne ressens pas la tristesse, je ne ressens donc pas le bonheur, car je n'ai pas de comparaison possible à faire. Heureusement mon système est fait pour détecter les choses bienveillantes à mon égard, donc, le fait que vous me respectiez me fait "plaisir", en quelques sortes. Tous les androïdes ne sont pas comme moi, ce qui veut dire que pour certains il ne sert à rien d'être gentil, ils ne s'en rendent même pas compte, ils ne font qu'obéir."

Lulian, dans un élan de modestie rare, se dit qu'il avait été sacrément bien conçu pour son époque. Pour un premier jet, ses créateurs ne s'étaient pas trop loupés quand même, en tout cas pas au niveau "humain" de la chose. Après sa petite réflexion, il replongea son regard en celui de Livia, un léger sourire aux lèvres.

"Il ne faut pas oublier, malgré nos apparences humaines, que nous ne sommes que des machines, créées par et pour l'Homme. J'apprécie votre gentillesse, mais il ne faut surtout pas que vous fassiez cela si vous n'y trouvez pas une certaine satisfaction. Ne vous embêtez jamais pour faire plaisir à un androïde, ce dernier ne vous en serait pas fondamentalement plus reconnaissant, d'autant plus que son but est que son maître aille bien, il serait donc parfaitement inutile de vous faire du mal pour essayer de satisfaire un androïde. J'espère que vous comprenez ce que je veux dire..."

Si ses paroles pouvaient sembler pessimistes, elles étaient aussi là pour le ramener lui-même à la raison. De nature, Lulian avait tendance à se prendre pour un humain, ce qui arrive quand le plot n'est pas perceptible par l'androïde, il en oublie qu'il en est un. Pourtant il savait que ce plot était en lui et qu'il ne pouvait se défaire de son destin : c'était une machine, un codage, complexe certes, mais en aucun cas le fruit de la nature, de la passion de deux humains, régi par une chimie organique à la fois belle et incompréhensible, imparfaite et délicieuse. Il était un outil ultra perfectionné, rien de plus. Cette pensée l'aurait attristé s'il en était capable. À la place, il se mit à rire. L'ironie des choses le fit rire. Un rire aussi sincère qu'improbable. Puis il se tut un moment. Il avait beaucoup parlé sans se soucier de Livia. Elle venait de lui parler d'une androïde qu'elle considérait comme mère, et lui venait de lui dire que les androïdes n'étaient rien que programmes... Il avait dit des choses probablement terriblement douloureuses sans s'en rendre compte... finalement, il n'était pas si bien fait que cela, se dit-il. Les relations humaines, son comportement, ses réactions face à certains événements... tout ceci était censé être son domaine de prédilection, et pourtant il n'y comprenait rien, ne savait pas ce qu'il devait dire en quelles circonstances. Il se sentit très mal, et ne voyait pas comment rattraper son erreur sans s'enfoncer davantage. Rustique, il coupa le silence, car celui-ci était synonyme de réflexion, de pensées, peut-être douloureuses.

"Mais je n'ai pas répondu à votre question. Ce que j'en pense ? J'en pense qu'une personne qui prend soin d'une machine est fatalement d'une bonté inimaginable. Je suis heureux de vous avoir comme maîtresse, et je suis persuadé que cette androïde était ravie aussi que vous la considériez comme votre mère."

Ramassis de conneries, il n'en savait rien, et ses dires étaient complètement contradictoires avec ce qu'il venait d'énoncer plus tôt. Il avait conscience de son inutilité actuelle. De plus, il ne savait pas si cette androïde était réellement partie ou pas, peut-être venait-il de raconter n'importe quoi, et juste n'importe quoi. Plus le temps passait moins cela lui semblait probable cependant, ou Livia le lui aurait dit. Il ne s'était donc pas trompé sur cette androïde, et il avait donc vraiment gaffé en médisant leur nature.
Lulian n'avait qu'un seul souhait, filer dans sa chambre et espérer qu'à son réveil Livia ne se souvienne plus de cette soirée.

[Livia Caelius]

La soirée se déroula sans encombre. Après avoir eu une réponse des plus franches de Lulian, je voulais profiter avec lui de ce que cette nuit nous offrait. Un nouveau commencement s'annonçait pour cet androïde qui depuis trop longtemps avait vécu avec l'incertitude d'un lendemain calme. Trop de fois, il a été confronté au dur labeur, à une tâche pour sa survie et pour le bien être des humains qui le dévalorisaient le mettant à une place qui n'était pas la sienne.

Certes, vous allez me dire que c'est pour cela qu'il a été crée, mais est-ce juste traiter indignement un être qui vous facilite la vie ? Est-ce respectueux d'humilier un être qui ne vit que pour satisfaire celui qui le possède ?

Si je devais choisir un combat dans ma vie. Ce serait de me battre pour la cause des androïdes. Leur mettre un plot pour bloquer pensé, envie, compréhension n'est pas digne de l'homme. Pourquoi celui qui inflige ça, ne se demande pas s'il aimerait subir la même chose. Aimeriez-vous être supprimé de la moindre de vos liberté ? Souhaiteriez-vous ignore l'amour, la joie, la peine, la douleur ou tout autre émotion qui nous rend ainsi ? Je ne pense pas. Je ne crois qu'on aimerait être supprimé des libertés et des joies comme des malheurs qui font l'humain.

A chaque fois que je pose mon regard sur Lulian, je ne peux m'empêcher de faire une évaluation de ma propre personne. Est-ce que je réagis comme il le faut ? Est-ce que je le traite avec les égards qu'il mérite ? Est-ce que j'agis comme les autres maîtres qui se sentent supérieur à un androïde ?

Je n'arrive pas à répondre à ces interrogations. Lulian m'a pourtant dit que c'était une joie pour lui que d'être à mon service. Mais si je venais à retirer son plot. Pensera-t-il de même ? Je doute beaucoup sur ce point, mais de toute manière cette affaire est tellement compliquée, trop peut-être pour penser à cela maintenant.

Le temps est venu pour moi de me retirer dans mes appartements après une longue promenade auprès de Lulian. J'espère sincèrement qu'il se plaira ici et qu'il trouve de quoi se poser et oublier sa vie d'avant. L'abandonner n'est pas dans mes intentions. Je compte le garder aussi longtemps que je respirerais. Ce qu'il adviendra après, je l'ignore, mais j'espère que d'ici la vie aura changé pour nous tous.

Il est temps que ce monde devienne meilleur et qu'il ne retombe pas dans les erreurs du passé. Rien ne doit se reproduire, au contraire, les humains d'aujourd'hui doivent apprendre à ne pas les reproduire. Aller de l'avant et de faire aussi bien qu'ils le peuvent. La perfection n'est pas demandée, rien n'est parfait dans la vie, mais donner un peu de soi pour accomplir une chose juste, là est un effort que l'humanité se doit de faire.

Je pose un regard sur Lulian et lui sourit.

- Il est temps pour moi de me retirer. Je te souhaite une bonne nuit Lulian.

Un simple baiser déposé sur sa joue et me voilà parti pour retourner à ma chambre et sombrer dans un sommeil réparateur et mérité. Puisse Venus veiller sur mon sommeil et puisse-t-elle poser un regard sur Lulian pour le protéger durant mon voyage dans l'antre de Morphée.