[E3] Bout de ferraille en manque d'affection [Livia]

[Lulian Caelius]

Il n'y avait pas à dire, on était mieux à cueillir tout et n'importe quoi dans la Zone plutôt que d'être enfermé dans une cage comme un animal. Cela en valait la chandelle, car finir dans un foyer était quand même mieux que tout le reste quand on était androïde, mais qui achèterait un robot si vieux et peu fonctionnel que lui pour une somme aussi colossale ? Un collectionneur ? Lulian n'y croyait pas. Il restait juste là à tirer la gueule et regarder les rares clients entrer, trouver une androïde belle, faisant le ménage, la cuisine, et très bien l'amour, puis repartir. Toujours pareil. Des fois il y avait des femmes qui venaient chercher un "homme" pour prendre soin d'elle. Ridicule. Ils étaient tous ridicules. Tout ça parce qu'il fait mauvais genre pour un humain de faire le ménage. Et pour les androïdes, on s'en tape les steaks ? Sont faits pour ça eux ? Foutaise. Mais Lulian s'en fichait, il ne croyait pas aux Dieux. Il avait vu défiler trop de guerres pour y croire maintenant. Ce qu'il comprit était que les Hommes étaient bien abrutis, ça oui.

Sa cage avait une allure plutôt confortable malgré l'évident manque d'espace. Un petit lit, un coin vidange, le strict minimum, mais c'était suffisant pour lui. Cependant, il aurait préféré des draps blancs et noirs surplombant un bon lit de cent quarante. Avec un katana accroché juste au dessus. Il n'en avait jamais vu de son vivant, mais il adorait cela, sans savoir pourquoi. La nourriture n'y était elle pas très bonne. Difficile de recharger efficacement ses batteries dans de telles conditions. Il aimait bien la cuisine et ça l'embêtait de manger des choses qu'il ferait meilleures. Et ça manquait de poisson cru et de riz à son goût. S'il avait le temps, ou plutôt l'envie, il se serait volontiers proposé aux fourneaux. Mais il le reportait toujours à plus tard. Il reportait toujours tout à plus tard, et cette procrastination ne lui avait jamais rien apporté de bon. Il pensait qu'à la limite, avec un maître il serait obligé de faire les choses quand on les lui demandait, ça le changerait un peu. Mais il en revenait au fait que personne ne voudrait de lui.

Son voisin savait faire jaillir du feu de son corps, ça c'était classe. Celle d'en face avait un aspirateur sous le pied droit, ça c'était utile. Au fond du magasin, un type pouvait volontairement influer l'humeur de sa maîtresse, rien de meilleur que ça. Lui, il n'avait rien. Il n'avait pas un grain, ne savait faire que le ménage et la cuisine, et encore il avait rarement les aliments pour. Niveau sexuel, il ne savait pas faire grand chose, pour ne pas dire qu'il était puceau. Oui, puceau à plus de cinq cents ans, un problème peut-être ? Enfin il se sentait complètement dévalorisé par rapport aux autres. Sa seule chance était que la demande restait supérieure à l'offre. En effet, les acheteurs étaient plus nombreux que les androïdes. C'était du moins une chance pour être vendu plus rapidement, mais pas une pour tomber sur un bon maître. En tout cas pas un maître qui a une bonne estime de lui. Si il y avait plus d'androïdes que d'humains acheteurs, la personne qui l'aurait choisi l'aurait fait en le comparant aux autres et en le trouvant meilleur. Il aurait donc un maître qui tiendrait à lui pour ses rares qualités, et pas juste quelqu'un qui l'aurait pris en dernier recours. Là, c'est malheureusement sûrement ce qu'il aurait. À moins de tomber sur quelqu'un qui le trouve intéressant, mais ça, il y avait vraiment peu de chance que ça arrive. Si seulement il pouvait lui choisir son maître parmi les autres...

Lulian réfléchissait à ce genre de détail, mais au fond il s'en fichait. Tout ce qu'il voulait était sortir d'ici, qu'importe l'acheteur. Il se demandait s'il allait devoir arrêter de réfléchir ainsi au moment de l'achat, si sa perception du bien et du mal allait être bouleversée, s'il ne pourrait plus penser par lui-même. Cette pensée l'effrayait presque. Sa philosophie était à peu près tout ce qu'il avait et était sa seule fierté. Inquiet mais refusant de le montrer, il passa ses mains derrière sa tête, profitant de ce qui pourrait être ses derniers instants de réflexion. Il était allongé sur son petit lit, les yeux rivés vers le plafond gris et froid. Il aurait préféré y voir des nuages, mais "on fait avec ce qu'on a". Quand serait-il pris ? Par qui ? Homme ou femme ? Peut-être une prêtresse, un musicien, le tenant d'un bar ou autre. Tout était possible. D'ailleurs, une femme entra. Lulian tourna désintéressement la tête et la regarda. Une belle brune aux somptueux yeux jaunes, tels ceux d'un chat. Une telle présence... probablement une adoratrice de Venus. Fallait l'avouer, elles avaient toutes un charisme exagéré. Ce genre d'acheteuse devait déjà exciter les androïdes dont le plot avait été secrètement retiré. Lulian eut un petit rire rien qu'en pensant au ridicule de la scène. Il faisait les paris : qui serait l'heureux élu à être acheté par une telle femme ? M. Fire ? M. Happyness ? Ou l'un des innombrables M. Muscles ? Difficile à dire. Le vendeur la harcelait avec ses "Ha oui, excellent spécimen !" ou "Celui-là vous irait à ravir !". Lui il avait vraiment une tête à claques, il irait bien avec M. Muscles. M'enfin la femme ne semblait pas plus intéressée que ça. Étonnant, d'habitude elles regardaient trois cages maximum avant de se décider. Le vendeur le savait d'ailleurs et faisait exprès de mettre les plus chers et les plus pratiques au début, et les moins utiles à la fin. Lulian était l'avant dernier, juste avant une androïde qui avait un défaut de fabrication. Il savait bien ce que ça voulait dire, qu'on le considérait comme inutile et invendable, mais il ne s'en vexait même pas. Il s'en tamponnait allègrement le sauciflard en fait. De fil en aiguilles, la femme arriva devant sa cage. Ça devait arriver une fois toutes les deux semaines. Lulian avait eu le temps de défaire son chignon laissant sa chevelure brune aussi tomber sur ses épaules. Il savait être plus vendable ainsi. Il s'était assis sur son lit, tourné vers la femme, et la regardait dans les yeux. "Purée, quels yeux !" pensa-t-il. Même s'il essayait de se persuader que cette personne ne l'achèterait jamais, au fond de lui il espérait de tout cœur être pris. Il allait y avoir un genre d'interrogatoires, à tous les coups. Suffisait de pas faire passer pour un abruti et il aurait un avantage par rapport aux autres. C'était là que ça se jouait, Lulian avait des phases d'intelligence, et des phases de débilité profonde. C'était pile ou face. Tu tombes pile sur ce que tu cherchais, ou tu prends un vent dans ta face. Voilà ce que ça voulait dire.

[Livia Caelius]

Avoir un androïde aujourd'hui était presque une obligation. Ne pas en posséder et vous êtes sujet à toutes sortes de rumeurs stupides. Si, je prenais un androïde, ce n'était pas pour en faire un jouet de torture comme la plupart des romains. S'amuser avec eux, les faire souffrir pour voir dans leur yeux une lueur indéfinissable qui satisfaisait la libido des hommes et des femmes qui aiment la violence lors de l'ébat. J'exécrais ce genre de personne qui pour moi ne valait pas mieux que les créatures qui nous effrayaient. Pour moi, un androïde avait le droit à tout ce que l'on lui privait, son libre-arbitre, sa liberté. J'aimerais avoir le privilège de voir dans leurs yeux cette lueur qui disait « Ah ! Me voilà libre ! » Ne serait-ce pas sublime ? Observer cela dans le regard d'un androïde qui n'avait aucune lueur ne répondant qu'aux ordres donnés et parlant sans aucune émotion ni sentiment.

Pourquoi avais-je décidé de prendre un esclave ? Pas pour me montrer avec un petit chien bien dressé au milieu des grands dignitaires, cela ne m'intéressait pas. La seule chose qui devait être au milieu de leur conversation, c'était mon talent dans le chant et rien d'autre. Je ne permettais pas que l'on déballe ma vie privée au grand jour comme si la porte de mes secrets était ouvert aux étrangers.

La raison première de cette envie subite. C'était simplement pour respecter une promesse faite, il y a longtemps à celle qui a été pour moi une mère des plus douces et des plus aimantes. Azura. Un exemple à suivre, je m'étais évertuée à grandir dans les enseignements qu'elle m'a donnés. C'est elle qui est la source de mes plus belles créations artistiques, elle est ma muse même si elle n'est plus là aujourd'hui. Cela me fait mal, mais je me dis que je peux me considérer chanceuse d'avoir croisé sa route et qu'elle m'ait offert ces bras pour me bercer et me chantonner de petites ritournelles pour m'endormir.

En sa mémoire et suite à ma promesse, je pénétrais dans le marché aux esclaves afin de choisir un androïde. L'envie était bien sûre de tous les prendre sous mon aile pour les protéger d'un acquéreur loin de posséder douceur et gentillesse, mais c'était impossible. Il y avait un quota à respecter et je me devais de m'y soustraire. Spurius, le vendeur me présentait les androïdes les plus fiables et qui me plairaient sans aucun doute, mais comment pouvait-il savoir ce qui me convenait vraiment ? Bien que les pauvres me touchaient profondément, je cherchais en moi ce petit boum qui me disait c'est lui et personne d'autre. Je ne cherchais pas seulement à le libérer de là, mais également à lui donner une activité particulière, celle de m'accompagner et de me servir de garde du corps. Certes, je savais me défendre, mais mes mains étaient faites pour l'art et la douceur et non pour le combat, même si mon père tenait à son rituel qui consistait à un petit combat amical avec moi.

Continuant le chemin, je m'arrêtais finalement devant une cage rudimentaire où se trouvait un androïde avec des traits finement dessinés, je l'observais un petit sourire sur mon visage. Je pense avoir trouvé mon bonheur. Je demandais à Spurius d'ouvrir la cage et lui demanda ensuite de nous laisser ce qu'il fit sans demander un pourquoi. Après tout, j'étais sur le point d'acheter un esclave dont le prix était exorbitant.

- Bonjour, je m'appelle Livia Caelius et vous ?

Je restais à distance respectable, ne le regardant pas de manière gourmande comme l'aurait fait la plupart des femmes.

- Je vais vous poser une question et je veux une réponse sincère. Accepteriez-vous de me suivre et d'accéder à une liberté plus grande que celle que vous avez actuellement ? Avoir le gîte et le couvert et également un rôle important à mes côtés ?

Pour ne pas qu'il y ait de confusion, je me mis à lui expliquer son futur rôle si bien évidemment, il l'acceptait.

- N'ayez pas de pensées mal placé. Je souhaite simplement à ce que vous soyez mon garde du corps ensuite nous aviserons selon vos compétences. Mais je pense que vous pourrez faire une excellente muse. Enfin si cela vous convient ? J'aime avoir l'autorisation avant de prendre sans demander l'avis au plus intéressé.

Allait-il accepter ? C'était à lui d'en décider à présent.

[Lulian Caelius]

Avant même de dire quoique ce soit, elle fit ouvrir la cage. Lulian n'était pas sûr de comprendre. Il... Il était libre ? Genre, là il pouvait se barrer ? Comme ça ? Non, bien sûr, ça serait trop beau, il allait quand même avoir droit à son interrogatoire. Cependant, quand la femme prit la parole, une impression bizarre envahit l'androïde. Comme si sa voix avait un tout petit quelque chose de... charmant, ou enjôleur, difficile à dire. En tout cas une voix magnifique, et ce fut un bon point de plus pour la potentielle future maîtresse. La conversation commença par une présentation, rien d'inhabituel jusque là. Lulian répondit de sa voix légèrement grave, mais surtout très reposante et un hésitante, à travers laquelle la jeunesse s'entendait clairement.

"Lulian. Enchanté de vous connaître."

Il n'en dit pas plus, pas moins. Pourquoi pas de nom ? Parce qu'il allait probablement changer dès qu'il se ferait adopter. Son nom n'avait donc aucune valeur. Comme à son habitude, il ne donna que son prénom, même si l'idée de donner son vrai nom, Tanaka_beta_test_01, lui effleurait toujours la pensée. Il se retint, son but étant de faire bon genre. Il n'avait jamais été si près du but, si près de la sortie. Et pas n'importe quelle sortie, rares étaient les clientes à cumuler autant de qualités.
La suite des questions lui parut fort étrange. Beaucoup de questions bêtes en fait. Ou plutôt rigolotes. Il esquissa un sourire gentil mais n'eut le temps de répondre que Livia continua. Elle lui fit part de ses projets, de ses besoins, et lui sortit une dernière chose que Lulian n'avait pas soupçonné. "L'autorisation" ? "L'avis" ? À lui ? Haaaa, il comprit ! Elle s'était plantée de magasin ! Évidemment ! Quoique non, faudrait vraiment être à l'ouest...

Lulian mit un tout petit temps avant de répondre à tout ceci. Comment s'y prendre, par où commencer ? Il n'y avait cependant pas quinze mille choses à dire.

"Soyons honnêtes... qui refuserait ? Ma chambre est si classe que ça, pour qu'on me demande si je veux bien être libéré par une artiste pleine de bonté ? Il n'y a pas de mot pour décrire à quel point je serais ravi de surveiller vos arrières, mademoiselle Caelius, dit-il en s'agenouillant et en baissant la tête. Mais je dois vous prévenir, continua-t-il en se redressant, mes capacités au combat ne valent pas celles des autres androïdes. Je suis spécialisé dans les tâches ménagères, bien que j'aie une bonne expérience du corps-à-corps, ayant été sur le front toute ma vie."

Il ne put s'empêcher d'être honnête, pourtant cela risquait de faire foirer son entretien d'embauche. Il ne savait lui-même pourquoi. Sûrement la voix et le charisme de cette femme. Impossible de lui mentir ou de lui cacher quoique ce soit. Il avait sur son visage l'air le plus sérieux qu'il n'avait peut-être jamais eu. Il avait lui-même du mal à y croire, "je viens de m'agenouiller, là ?" qu'il se demandait. Mais surtout, il sentit plus que jamais le moment où il allait être remis en circulation. Ses poings se serrèrent d'impatience sur ses cuisses. Il regardait la femme dans les yeux, en essayant de ne pas être perturbé par la beauté de ses yeux... ce qui n'était vraiment pas facile... Une goutte de sueur traîtresse apparut sur son front et coula le long de sa joue. Soudain, une question envahit sa pensée et in ne sut la contenir.

"Euh... Excusez-moi, mais... Si vous cherchez un garde du corps, pourquoi ne pas vous être arrêtée quatre cages plus tôt, devant l'androïde tout en muscle là..."

Il ne savait même pas vraiment pourquoi il la posait. Ce n'était pas à lui de poser les questions, et encore moins de ce genre-là. Il s'en voulut à mort, ça allait peut-être faire revenir Livia sur sa décision, mais au fond de lui la réponse l'intéressait trop. Peut-être pour savoir si elle ne mijotait pas quelque chose, car ça lui semblait bizarre qu'elle s'intéresse à lui alors qu'il n'avait aucune compétence de combat. Ou peut-être pour savoir ce qu'il avait de spécial, qui l'avait fait choisir lui plutôt qu'un autre. Son visage prit un air tout à fait innocent à l'attente de la réponse. Il était en fait lui-même perturbé par sa propre question.

[Livia Caelius]

"Soyons honnêtes... qui refuserait ? Ma chambre est si classe que ça, pour qu'on me demande si je veux bien être libéré par une artiste pleine de bonté ? Il n'y a pas de mot pour décrire à quel point je serais ravi de surveiller vos arrières, mademoiselle Caelius, dit-il en s'agenouillant et en baissant la tête. Mais je dois vous prévenir, continua-t-il en se redressant, mes capacités au combat ne valent pas celles des autres androïdes. Je suis spécialisé dans les tâches ménagères, bien que j'aie une bonne expérience du corps-à-corps, ayant été sur le front toute ma vie."

Ce fut une véritable surprise pour moi que de voir cet androïde s'agenouiller et rester modeste sur ces qualités. Tandis que d'autre se serait probablement vanté exagérant sur leur talent particulier pour se vendre et sortir de ce trou à rat si je puis dire. On ne pouvait pas vraiment leur en vouloir qui voudrait finir ici, moi-même je ne pouvais imaginer et me mettre à la place de ces pauvres esclaves.

Voir la modestie de Lulian me toucha et me confirma que c'était bien lui que je cherchais. Je n'avais pas besoin de quelqu'un de parfait, même si androïde signifiait la perfection. Pour moi, personne n'était parfait, nous avions tous des défauts que nous dissimulons aux regards des autres, mais n'est-ce pas ces points de notre personnalité qui nous rendent unique et intéressant voir même énervant par moment. Un être trop parfait serait d'un ennui mortel. Peut-être était-ce là une des raisons pour certain propriétaire d'esclave se montrait aussi violent, car il voyait la perfection qu'eux ne possédaient pas. Raison tout à fait ridicule.

"Euh... Excusez-moi, mais... Si vous cherchez un garde du corps, pourquoi ne pas vous être arrêtée quatre cages plus tôt, devant l'androïde tout en muscle là..."

Question tout à fait pertinente, mais néanmoins surprenante. Est-ce que les androïdes disaient tout ce qui leur passait par la tête ? Etait-il muni de curiosité comme la plupart des humains ? Comment a-t-il été programmé pour parler ainsi ? Ce n'était aucunement gênant, au contraire, j'aimais les gens curieux, cela prouvait qu'il possédait une certaine soif de connaissance. Bien entendu, je ne répondis pas tout de suite, préférant observer avec respect néanmoins, l'esclave se trouvant toujours agenouillé comme les asiatiques de l'ancien temps, avant que les androïdes ne voient le jour. J'aimais les traditions quelles qu'elles soient, je leur trouvais un certain charme, au point que j'avais faites une chambre dont l'atmosphère zen rappelait ce merveilleux pays qui désormais était éteint depuis bon nombre de siècles.

- Tu fais preuve d'une honnêteté qui me plaît beaucoup Lulian, c'est un point plus que positif pour toi. Vois-tu, j'aime cette qualité et j'espère que tu continueras sur cette voie. Mais si tu veux connaître les rudiments du combat, je peux demander à ce que l'on implante le programme adéquat si tu le désires.

Je fis une pause, sourire aux lèvres et plongeant mon regard dans le sien. Aucune once de supériorité, je restais telle que je suis, ma nature d'ange gardien devait se ressentir à travers la présence qu'elle imposait autour de moi.

- Devrais-je le choisir selon toi ? Peut-être qu'il aurait fait mon bonheur, mais pas plus que toi. Tu dégages un petit quelque chose de fascinant qui fait naître une mélodie qui me plaît. J'aime ta voix, ce regard égaré et rêveur, cette présence que tu imposes sans le savoir. Quand j'ai croisé ton regard, j'ai su que c'était toi.

Spurius revint pour me demander si j'avais pris ma décision. Ma réponse fut simplement un sourire suivi d'un hochement de tête. Je crus voir de petites rougeurs sur les joues du gardien qui immédiatement se racla la gorge pour reprendre contenance. Le regard qu'il posa sur Lulian ne me plaisait pas et mon regard le lui fit parfaitement savoir. Il m'arrivait d'avoir ce regard de glace hérité par mon père qui dissuadait quiconque de continuer sur le chemin qu'il avait emprunté. Manquer de respect à l'un de mes serviteurs équivaut à me manquer de respect. Spurius m'informa qu'il m'attendrait dans la pièce où le règlement sera effectué.

- Lulian, attende-moi ici, je vais régler les détails et je reviens te chercher, cela ne prendra pas longtemps.

Une fois ceci dit, je suivais le gardien à qui je réglais ce qu'il demandait non sans lui dire que son calcul était erroné. La qualité de Lulian valait bien plus encore et de ce fait, je gagnais bien plus que lui. L'argent ne me posant pas grand soucis, je pouvais dépenser sans compter, mais je faisais tout de même très attention. Les artistes ont beau être connus pour leurs multiples achats, parfois des choses un peu étrange, mais propre à leurs esprits artistiques.

Je revins vers Lulian qui désormais était à mon service.

- Tu es prêt ? Tu n'as rien oublié ?

[Lulian Caelius]

Un petit silence s'imposa. Petit pour Monsieur le Temps, mais long pour Lulian. Il en profita pour observer de plus belle Livia. Il n'en revenait toujours pas de son charisme naturel... et de son regard qui, il fallait le dire et le redire, était magique. Elle avait vraiment l'air d'un ange, douce et gentille, et ses pensées se confirmèrent avec sa réponse. En plus de lui trouver des qualités là où on aurait critiqué un défaut la plupart du temps, elle lui proposait de s'améliorer. Il n'y avait pas plus belle récompense pour un androïde ayant vécu si longtemps que d'être modifié. C'était tout un traintrain quotidien qui se bouleversait d'un coup et qui donnait l'impression de renaître, de repartir plus frais, aussi infime soit la modification apportée. Après, il ne savait pas si cela coûtait de l'argent. Il ne voulait pas être une charge financière supérieure au prix que Livia devrait déjà mettre pour l'acheter. Sa capacité de combat dépassait celle des humains, il y avait juste le risque de tomber sur un androïde fait pour le combat, où là il ne saurait pas faire grand chose. Quoique... quoique en combat, tout pouvait arriver. Non, il ne jugeait pas nécessaire d'être upgradé.

Alors convaincu, il remonta les yeux vers la femme et s'aperçut qu'elle le regardait souriante. Quelle aura... Lulian fut pétrifié par la douceur de celle-ci. C'était bien ça, un ange. Et cet ange reprit en répondant à sa question déplacée. Tant de compliments... il y avait de quoi griller son processeur. Fallait pas déconner avec les androïdes, pas parce qu'ils étaient pas humains qu'ils pouvaient pas lâcher sous l'émotion. Il ne savait pas quoi dire mais n'eut pas besoin de se forcer à répondre ; le vendeur revint et elle confirma son souhait. L'androïde était trop chamboulé pour s'apercevoir du petit jeu de regard entre elle et le Spurius. C... C'était officiel, il était acheté. Finies les randonnées en champs de bataille, finies les virées en jungle... il avait un foyer, et une maîtresse autant sublime par son physique que par sa bonté. Combien d'androïdes pouvaient se vanter d'avoir eu une telle chance ? Il était probablement le seul. Le plus heureux du monde. Livia s'absenta pour régler l'achat puis revint, posant cette question que tout être libéré rêvait de s'entendre dire. Sans qu'il s'en aperçut, un genre de lien fut tissé entre lui et elle. Un lien qui l'empêchait de désobéir à cette femme ou de lui causer un quelconque tort. Il se leva lentement et, une fois complètement dressé, répondit :

"Oui maîtresse, nous pouvons y aller."

Il fit le pas qui le sortit de cette cage sans le moindre regret. Libre, il était libre. Ils sortirent du marché et, une fois dehors, Lulian inspira un grand bol d'air frais. Il dit ensuite cette chose qui lui tenait à cœur depuis un certain temps. Il se mit face à la femme et s'inclina le plus bas qu'il le pouvait.

"Mademoiselle Livia, merci. Merci d'avoir accepté un vieux modèle comme moi à vos côtés. Je jure sur ma carte mère que je ne vous trahirai jamais."

Hé, ça a l'air con, mais sa carte mère représentait sa vie ! Oui bah un androïde ça fait avec le vocabulaire qu'il a hein, surtout qu'à l'époque de sa création, on ne se souciait pas vraiment de ce genre de choses. En tout cas il prit son rôle de garde du corps très à cœur. Il guettait tout autour d'eux que personne ne vienne les attaquer. Il avait l'air un peu idiot à tourner ainsi le regard dans tous les sens avec son air sérieux. En fait, son rôle de garde du corps lui paraissait étrange, puisque c'était le rôle de tout androïde de protéger son maître. Ce devait être une manière de dire qu'il ne servirait pas à rien. Une fois de plus, Lulian fut touché par la gentillesse de sa nouvelle maîtresse. Ce grand imbécile avait tendance à voir le bien partout, ce qui simplifiait un peu les choses, il fallait l'avouer.
Il était impatient de trouver son nouveau foyer. Il imaginait plein de choses diverses et variées. Un temple dédié à Venus, une cabane de prêtresse, un palais somptueux, une maison de ville normale, une caravane de marchand, tout. Il ne savait vraiment pas quoi mettre comme habitat à cette personne. En fait, ce qui lui allait le mieux était un nuage perché haut dans le ciel. En tout cas... c'était pas à côté ! L'androïde attendait impatiemment que Livia lui pose une question ou engage une conversation pour animer un peu la marche. Lui, il ne se sentait pas le droit de parler sans autorisation. Du moins pas pour ne "rien" dire.