La foule s’était tûe au grincement métallique. Mieux que les cors, cette herse imposait le silence quand elle se levait. Ébranlée, une fine poussière s’en détachait et ruisselait jusqu’au sol. Le soleil se reflétant en chaque grain de sable donnait l’illusion d’une pluie d’or. La herse dévoilait alors des jambes puissantes ceintes d’une protection alliant un parfait compromis entre souplesse et résistance. Les soldats avancèrent de concert, marchant au rythme de puissants tambours. Leurs pas tonnaient dans l’enceinte du Coliseum. La ferveur gagna la foule dès le quatrième pas. Les étendards portés bien haut révélaient le blason de la famille Aurélius en dessous de l’aigle impérial. Mes yeux quittèrent le détachement militaire, pour se porter sur cet homme, quelques rangs à ma gauche. Mon meilleur ennemi. Mettius Aurelius Aegilus.
Les soldats marchaient vers lui, il souriait de cette scène qui n’était qu’une représentation théâtrale orchestrée pour asseoir son autorité. Icône dictatorial, il faisait peindre son visage sur certains murs de la ville. Je présageai que, bientôt, il prendrait les pleins pouvoirs. Son règne de dictateur serait court s’il ne se mettait pas la foule dans la poche. Convaincu que Rome ne lui suffisait pas, j’étais surpris qu’il ne prêche pas pour Minerve. Étendre la ville, asseoir son pouvoir sur Rome et sur des colonies devait exciter cet homme. Sentant mon regard sur lui, il tourna la tête vers moi et me salua avec sa coupe de vin. Je le détestais, il me le rendait bien. Je levais alors mes pieds et les étendis sur le parapet dans une pose des plus désinvoltes. Je l’agaçais, il n’en montrerait jamais rien en public et j’adorai ce jeu puéril...
Attrapant un grain de raisin à ma droite, je le portai à ma bouche pour me nourrir de cette saveur sucrée que je préférai cent fois aux vins romains.
-- Quand je pense que j’ai demandé à être assis loin de vous... J’aurais mieux fait de me taire. J’aurais dû me douter que les adeptes de Jupiter me jouerait un tour et vous placerait à mes côtés...
«Ment à ton adversaire, fourvoie-le, montre-lui qui tu détestes et il fera tout pour te le mettre dans les pattes». Très pratique, ce conseil vieux comme l’humanité m’avait été enseigné par l’ancienne Grande Prêtresse.
-- … Camilla.
Je l’avais nommé Camila, pour l’agacer, pour rappeler qu’elle n’était plus sénatrice. Me confier à un sénateur jovanien, lui témoigner combien le dernier entretien avec la sénatrice Camila Veturia Noctua m’avait énervé, tous ces stratagèmes avaient fonctionné. Pensant se venger, il l’avait placé à mes côtés.
« Garde tes ennemis à tes côtés, plus proches encore que tes amis. »
J’avais mon opinion sur ce dernier conseil de l’ancienne grande prêtresse.
-- À moins que ce ne soit vous qui ayez faite cette demande... Ah non, vous auriez demandé à être placée un rang devant moi, pour être à mes genoux.
Simple provocation puisque devant moi, c’était le vide de l’arène. Mon regard se reporta sur la foule et la parcourut. Mes pieds me rapportait toute les vibrations de la foule. Mes yeux changèrent de teinte pour s’ouvrir aux effluves d’Orgone. Je les voyais s’échapper de la foule. dans leurs teintes chatoyantes, j’observais l’impatience, l’excitation et une certaine forme de dévotion. Malheureusement, celle-ci n’allait pas vers Venus. Désinvolte, mais respectueux, je n’usai pas de ce don sur ma voisine. Alors, peu avant d’arriver à elle, mes yeux retrouvèrent leur couleur habituelle.
La parade militaire était terminée. Mettius se leva, me jeta un coup d’oeil, mais mes jambes restèrent en place. Il s’élança dans un discours élogieux... envers sa cité et le plus important en ce monde : sa personne. Il créa néanmoins la surprise en annonçant que cette année, l’homme politique qu’il avait choisi pour son discours n’était autre que le Praefectus Caius Aquilum.
Si la foule était pressée, elle n’en était pas moins respectueuse et très à l’écoute du discours du prélat. Quand il eut finit, la foule applaudit. Mais le coeur n’y était pas. Mon regard de pétrole me permis d’y lire la peur. Notre salut ! Le peuple avait peur de Mettius. Sa propagande ne prenait donc pas aussi bien qu’il le souhaitait. Je n’applaudis pas espérant que cela soit remarqué. Cela me vaudrait quelques taxes supplémentaires.
J’attendis que le nouveau préfet de Rome se lèvât et que Mettius posât son séant pour replier mes jambes, m’asseoir correctement et surtout respectueusement. Je donnai un subtil coup de coude à ma voisine et applaudis le préfet en frappant fort dans mes mains. D’autres notables suivirent mes applaudissements dans un léger chaos et la foule nous reprit en coeur. J’espérai secrètement que les applaudissements pour Caius Aiquilius Eques vinssent faire ombrage à ceux pour le prélat.
J’observai Caïus, puis son épouse croisée ce midi même. Mon attention se reporta rapidement sur le préfet qui allait prendre la parole.