Je prenais un quartier d'orange et m'apprêtais à le porter à ma bouche quand j'entendis l'avis de Sibylla sur les androïdes. Je me ravisai. Mon bras redescendit le long de mon corps, attristé que la sénatrice porte de telles œillères. Je ne répondis pas à sa phrase, espérant simplement qu'un jour elle ouvrirait les yeux. Il n'existait pas pire aveugle que celui qui ne voulait pas voir. Seulement, ironie du sort, de nous trois, j'étais le plus aveugle, incapable d'ouvrir les yeux sur la véritable nature de Sibylla et de remarquer qu'elle me mentait totalement.
Notre pause allait être de courte durée, un homme s'approchait, un sénateur et j'allais devoir m'éclipser. Encore une fois, c'était sans compter Sibylla qui se leva et attira l'homme à elle avec une simplicité enfantine. Ma discussion continua en tête à tête avec Livia qui trouvait le grand-prêtre agréable et enfantin au point d'en être touchant.
Les enfants turbulents sont ceux qui s'ennuient. lui répondis-je.
Sibylla revint vers moi et m'informa que ma couverture n'était pas compromise d'un simple geste sur l'épaule. Sirena nous quitta aussitôt, elle retournait déjà sur l'estrade chanter pour notre plus grand plaisir. Comme tout à l'heure, la musique m'envahit. Comme tout à l'heure, cette mélodie me berçait, s'imprégnait en moi et mon corps frissonna. Le monde autour de moi était occulté, je n'en voyais plus, n'en entendais pas plus. C'est seulement quand la chanson prit fin que je remarquai ce soldat qui me montrait discrètement du doigt. Son acolyte me regardait aussi et l'androïde qui était avec eux, telle la poupée, faisait non non non...
Je ne savais pas lire sur les lèvres, mais je devinai sans difficulté qu'il leur infirmait me connaître.
-- Je crois qu'il est l'heure pour Cendrillon de s'effacer. Sibylla mes hommages... Un dernier baise-main par galanterie, politesse, le tout saupoudré d'un brin de séduction
-- Hep toi l'androïde là !
-- Et saluez Sirena de ma part, s'il-vous-plaît !
Déjà, je m'élançai vers le guéridon, l'enjambai d'un saut alors que deux gardes se jetaient à mes trousses accompagnés de deux androïdes. Je courais, serpentais dans ce labyrinthe que je connaissais par coeur. Les lieux étaient déserts, réservés pour le sénateur. Je cherchai une sortie assez discrète, qui par chance ne serait garder que par un homme. J'arrivai dans le dernier corridor de rosiers, je ne pris guère le temps d'admirer les pétales de rose car je fis vite face à deux gardiens remontant vers moi. A leur visage patibulaire, je comprenais qu'il n'était pas là pour taper la belote avec moi. Je bifurquai aussi à droite, et croisa une sénatrice en compagnie de son amant.
Tu n'aurais pas un peu grossi Solène ? je continuai sans m'attarder...
L'impasse que j'empruntai désormais menait vers le Tibre, j'enjambai le garde-fou et sautai. Les gardes arrivèrent à ma suite. Trop tard, je n'étais plus à portée de vue. Le Tibre était assez calme et ils rebroussèrent chemin me croyant loin. Ils pestèrent quelques instants, un sénateur vint demander des explications qui se résumèrent au fait qu'un instrus avait réussi à s'infiltrer et avait sauté dans le Tibre. Je n'avais pourtant pas plongé. J'étais seulement en dessous d'eux tenant tant bien que mal en équilibre sur un petit parapet.
J'attendis un peu et quand je fus assuré qu'il n'y avait plus personne au dessus de moi, je bougeai pour sortir de là. Un craquement m'avertit que mon idée était bancale...
-- Oups...
Un dernier craquement...
Un cri...
Plouf....