Je regarde Aurélia et soupire lentement. Aujourd'hui est le jour où la prêtresse de Pluton vient rendre visite à Madame et à la jeune maitresse. Il ne s'agit pas d'une prêtresse comme les autres, elle est l'Ambassadrice de notre culte et surtout, elle est proche de notre Dieu. J'ai peur qu'elle découvre la vérité. Mais si jamais on apprenait que notre maître est mort, alors nous serions retiré du service de Madame et Madame se retrouverait toute seule pour élever Lucia. Non, cela ne se peut. Je sers mon poing faisant craquer mes articulations. Je trouverais bien un moyen de ne rien dire, de contourner le problème. Même si je doute que la prêtresse dira quoi que ce soit, c'est Madame qui demandé à ce que cela ne se sache pas. Et je n'ai pas l'intention d'aller contre sa volonté.
Aurélia relève ses yeux et me questionne silencieusement. Nous ne sommes que des androïdes, mais nous avons la liberté de penser. Elle pose sa main sur les cheveux de Lucia qui est perdu dans la contemplation d'une fleur. Il y a bien peu de fleurs en ce moment et je dois remuer ciel et terre pour dénicher quelques bourgeons au marché. Nous n'apprécions guère les humains, car ce sont eux qui nous ont enfermés dans des carcans d'acier, dans des menottes de fer. J'ai connu bien des siècles et bien des ères. Mais Aurélia est encore nouvelle dans ce monde. Même si son plot est inefficace désormais, elle ne peut comprendre tout ce que les humains nous ont fait endurer. Elle ne côtoie que Madame et la jeune maitresse. Je me dois de les protéger, toutes les trois. Aurélia ne parlera pas, elle a tellement peur de dire quelque chose qu'elle ne doit pas. Elle honore Pluton, tout comme toute la famille. Et elle a très peur de mentir. Alors je sais que quand la prêtresse sera là, Aurélia s'effacera et restera auprès de Madame, il n'y aura que moi pour veiller sur l'enfant.
Ma tête se tourne vers la porte alors que mes capteurs m'apprennent qu'un poing vient de cogner sur le bois. Je soupire, même si je n'en ai aucunement la nécessité. Aurélia blêmit, murmure une phrase apaisante pour Lucia et je la vois fuir le petit jardin pour se rendre au chevet de la pauvre maitresse de maison. A nouveau je sers les poings, puis sans un mot, je me dirige vers la porte. Ici, je ne peux me faire passer pour un humain, mais je suis protégé par le silence sur la mort de mon maître. Je pose mes doigts sur le battant. Je sens de tout mon pouvoir la texture du bois, les échardes, les nœuds. Puis doucement, je tire la porte.
Prêtresse Livius. C'est un honneur de vous ouvrir la porte de la demeure des Lurio.
Ce n'est pas faux. Il est vrai que c'est un honneur d'avoir une prêtresse de Pluton venir jusqu'à chez soi. Et il y a encore plusieurs Lurio dans la maison. Je referme la porte derrière elle, personne d'autre ne peut entrer, que cela soit, garde, humain ou androïde, ils feraient peur à Lucia et ici, c'est le sanctuaire de l'enfant. A force de venir ici, elle doit connaître l'endroit, mais d'un mouvement de main, je lui indique le chemin. Je marche derrière elle, comme le souhaite ma condition. Et quand nos pas nous amènent jusqu'au jardin et que l'on voit les boucles blondes de Lucia entre les branches de quelques arbres, j'ajoute, les yeux baissés.
Désirez-vous un rafraichissement? Peut-être voudriez-vous voir Madame avant de dire bonjour à la jeune maitresse?
Malgré la compréhension des adeptes de Pluton pour les androïdes, nous avons toujours tenu, Aurélia et moi, de nous comporter comme des esclaves serviables, surtout en compagnie de gens qui savent parfaitement que nous ne sommes que des androïdes et même si cela implique les prêtres de notre bien aimé Dieu. Je ne porte qu'une simple toge et je marche pieds nus, l'anormalité de mon bras gauche est parfaitement visible, mais je ne m'en suis jamais caché.