Rome

Mes pas m'ont conduit dans le temple de Vénus. La lettre dans ma main, froissée, puis lissée, par les jeux de la frustration et du remords, de l'inquiétude, de l'ignorance. J'ai apporté quelques offrandes, maigres peut-être, mais sincères. Une branche de lilas blanc cueillis dans le jardin de la maison familiale, quelques gâteaux au miel, une mèche de mes cheveux nouée, pour que peut-être - qui sait? - Vénus me reconnaisse. Les déposant sur l'autel, je regarde un instant la flamme vacillante des brûloirs, avant de m'agenouiller, humble devant ma déesse.


" Vénus, douce et puissante déesse...

Ce n'est pas la première fois que je m'adresse à toi, même si, je crois, d'habitude, c'est mon violon qui parle pour moi. Je n'ai jamais voulu que le bonheur de mes proches, leur bonne santé. Permets-moi aujourd'hui de demander quelque chose pour moi. Pour moi... Je n'en sais rien en fait. Sans doute est-ce un conseil que je viens implorer. J'ai reçu d'un homme une lettre d'amour, il y a une semaine. Mais je ne connais rien à ses choses-là. L'amour, le vrai, j'ignore ce que c'est. J'aime tout le monde, moi, mais je n'ai jamais aimé personne en particulier. Et lui... Il me parle d'amour, et ça me fait peur. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai peur, et ça me ronge. Je ne sais que penser de lui, en suis-je amoureuse, moi aussi? Je ne le sais même pas. Crois-tu, Ô Vénus, que si l'amour m'habitait, je le saurais? Ou penses-tu que c'est un sentiment qui se révélera peu à peu à moi?
Je ne peux rien faire dans l'immédiat, et cela me désespère. Je crois que s'il me l'avait avoué en me regardant dans les yeux, je me serais enfuie. L'amour me fait peur, Vénus. Et j'ai peur pour lui.
Je t'en prie, entends mes prières, et aide-le à revenir. Protège Julius du désert hostile, pour qu'il revienne vers moi. Je ne sais pas si j'en suis amoureuse, mais je sais que je ne veux pas qu'il meure. Ce serait trop cruel.

Je ne sais si mes paroles te paraîtront folles, ou si tu voudra m'aider à y voir clair. J'ai besoin de toi en ce jour, Vénus. Je t'en prie, ne m'abandonnes pas."


Je me relève après quelques instants de recueillement, la lettre serrée dans mon poing crispé. Si Vénus ne peut m'éclairer, je n'ai aucune chance d'y voir clair un jour.

La jeune femme priait humblement. Un manant l'observait mais ne dit rien. Pas un mot, il attendait au cas où Venus daigne répondre à cette enfant perdue dans ses sentiments. Venus ne se manifestant pas, il attendit que la jeune croyante sorte pour se diriger vers elle, l'interpellant poliment. Il s'approcha d'elle et lui tint un monologue incongru parlant de contrer inexplorée.

-- J'ai aimé une femme. Je l'appelai Lydria, IL l'appelait Proserpine. Au début, comme vous, je n'ai pas su ce que je ressentais. Pourtant à mon âge avancé, j'aurai parié tout connaître de l'Amour. La prétention m'envahissait. Quand cette jeune femme me parlait, je ne voyais en elle qu'une tête de mûle. En même temps, sa colère était compréhensible car elle était retenue prisonnière sur une île damnée qu'on nommait Gehinnom. Comme nous étions deux têtes de mûles, nous passions notre temps à nous engueuler. Peut-être qu'à Vegas, on aurait pu s'avouer nos sentiments. On s'aimait. Je le savais, elle le savait. Nous vivions même ensemble. Mais on ne se le disait pas. La guerre faisait rage entre les dieux de la cité et nous n'avions pas de temps à consacrer à notre Amour. Aujourd'hui encore je la cherche. Je sais qu'elle est morte, depuis plusieurs millénaires, mais je la cherche encore. Après tout, on ne sait jamais... C'est une telle tête de mûle qu'elle a elle-même claquer la porte des Enfers ! Enfin ce n'est que mon humble avis...

L'homme n'attendit pas de réponse, il continua son chemin manquant par deux fois de tomber dans les escaliers. Visiblement ivre, il empestait l'alcool et Laelia ne put tirer le moindre mot de ce clochard.